Interview de François Kohler, délégué à l’information et à la communication du ministère de la Justice

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Le 30 août 2022 – Une rencontre très sympathique au ministère de la Justice, place Vendôme à Paris, avec François Kohler, délégué à l’information et à la communication du ministère. Nous avons échangé sur tout un tas de sujets dont celui de sa mission, de son bilan à trois années d’exercice et de ses actualités de la rentrée. J’ai interrogé sur le travail de rapprochement « justice-population » et son souhait de rendre attractif les métiers de la justice. Nous avons conclu en évoquant la littérature.

Bonjour François,

Quelle est votre mission au sein du ministère de la Justice ?

Je suis délégué à l’information et à la communication (Dicom). La mission de la « Dicom », comme son nom l’indique, est d’accompagner le ministère de la Justice dans ses problématiques de communication qu’elles soient internes ou externes. Nos publics internes sont essentiellement les différents corps de métier (surveillants pénitentiaires, agents de greffe, éducateurs, magistrats, personnels administratifs, etc). Nos publics externes sont nos parties prenantes, les avocats, les opérateurs, les associations, la presse… mais aussi bien sûr, les citoyens et les justiciables. Notre mission est de concevoir, produire et animer des outils, supports et rendez-vous d’information et de communication à destination de ces différents publics.

Comment percevez-vous votre bilan après trois années d’exercice ?

Je dirais que c’est un bilan d’étape. J’ai rejoint le ministère avec une vision personnelle de ce que devait être la communication de la Justice basée sur mes convictions de citoyen, mon expertise et mon expérience de communicant public. Cette vision était aussi celle de nombreux décideurs du ministère (singulièrement au cabinet du ministre et au secrétariat général). Avec la conviction, au cœur de la démarche, de la nécessité de renforcer sensiblement notre communication vis-à-vis des citoyens et des justiciables.

Pourquoi ? Pour dire les choses avec beaucoup de retenue, disons que les citoyens sont « assez éloignés » de leurs institutions. En réalité, le divorce est même largement consommé ! Pardon de le dire avec emphase mais il s’agit là d’un enjeu démocratique fort dont dépend la vitalité de l’État de droit. Je fais ce métier avec la conviction « militante » que c’est aux organisations publiques de faire les efforts qu’il convient pour essayer de retisser les liens, de reparler aux gens, d’être de nouveau audibles, crédibles, acceptables. Pour revenir à votre question du bilan, au regard de tels enjeux, il ne peut être qualifié que de modeste.

Pour avancer sur cette voie, j’ai d’abord piloté, en lien avec le Cabinet, le SG et les Directions, une réorganisation de la fonction communication du ministère de la Justice au niveau central. Celle-ci a consisté à réunir les forces vives de « production » de la communication au sein de la Dicom ministérielle et de remettre le focus sur l’externe. Jusque-là, on consacrait l’essentiel de nos efforts, de notre énergie et de notre intelligence collective à communiquer à destination des réseaux des directions, plutôt en silo d’ailleurs. Ces communications restent absolument indispensables pour piloter une direction et accompagner les politiques publiques qu’elle porte. Mais elles ne sauraient suffire face aux enjeux démocratiques que j’évoquais tout à l’heure. L’idée a été de remettre la « marque » justice au centre des communications et de replacer nos publics externes au centre de nos objectifs pour mieux communiquer à destination des justiciables et des citoyens. La communication doit expliquer ce que nous sommes, ce que nous faisons, ce que tout justiciable est en droit d’attendre de la justice.

Ensuite, nous avons proposé des campagnes de communication, sur la justice de proximité ou sur la justice commerciale. Dans ce dernier cas, la communication peut aider les chefs d’entreprise qui globalement se méfient eux aussi de la justice à mieux comprendre ce qu’elle peut leur apporter… si elle est saisie à temps en cas de difficultés de trésorerie. Dans un certain nombre de cas, le tribunal de commerce peut sauver une entreprise proche de la faillite. Mais si on ne le dit pas, cela ne peut être su des potentiels bénéficiaires et la justice commerciale ne peut jouer pleinement son rôle. Nous avons communiqué dans ce sens-là notamment via le témoignage de chefs d’entreprises sponsorisés sur les réseaux sociaux de manière ciblée afin de tenter de toucher les entrepreneurs (voir, Justice / Portail / Entreprises en difficulté : comment la Justice peut vous aider ?). Mais il faudrait faire tellement plus pour faire progresser durablement ce niveau d’information ! Travailler notamment avec les chambres de commerce et d’industrie, les chambres d’agriculture, les avocats ou encore les experts-comptables comme clé d’entrée vers les PME-PMI … Malheureusement, nous n’en n’avons pas complètement les moyens tant les sujets sont nombreux et les sollicitations de la communication ministérielle fortes.

Notre mission avec les équipes de communication du ministère est passionnante… et très compliquée ! Travailler sur les opinions, le niveau de connaissance de ce qu’est un juge, de ce qu’est l’administration pénitentiaire, la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), mais aussi sur les comportements (accès au droit, recrutement) : tout cela prend du temps, alors même que nous sommes dans un univers très concurrentiel et très critique. Car ce divorce entre les citoyens et les institutions n’est pas propre au ministère de la Justice. Tous les communicants publics sont dans le même bateau, – nous sommes confrontés aux mêmes enjeux et aux même difficultés – et d’ailleurs nous échangeons beaucoup entre nous sur comment s’y prendre pour y répondre (voir par exemple, Accueil – Communication Publique (communication-publique.fr).

Pour revenir à la Dicom justice, nous faisons, je crois, plutôt du bon travail en ce sens mais – évidemment ! – je sais aussi que la marche est haute et les résultats toujours insatisfaisants.

Miss K – A vous écouter, je comprends que vous travaillez sur le rapprochement justice-population. Est-ce bien cela ?

Exactement. Un des axes importants pour la communication du ministère de la Justice est l’accès au droit, car il n’y a pas de bonne justice si elle ne peut être saisie. Or les citoyens ne sont pas toujours suffisamment informés et/ou ont des préjugés (« la justice réservée aux riches », « la justice trop lente » …), parfois justifiés mais qui ne doivent pas les détourner du recours au droit au risque de créer un dysfonctionnement de l’Etat de droit.

Une autre conviction forte de communicant : ce n’est pas aux citoyens de supporter la complexité administrative, c’est aux institutions publiques de leur permettre de mieux s’y repérer ! Notre travail est donc de faire en sorte que la justice soit davantage « lisible » pour les justiciables. La communication doit apporter sa pierre. D’où l’idée de parler au nom d’abord du ministère de la justice et ensuite seulement de ses directions. Nous avons aussi travaillé à une démarche de visibilité et de lisibilité des points d’accès au droit (qui pouvaient porter des noms administratifs très différents – PAD, RAD, CDAD …) dans une logique de simplification voulue par le Garde des Sceaux. C’est ainsi que sont nés les « Point-justice ». (voir, Justice / Portail / Justice de proximité : lancement du label « Point justice »). Avec des partenaires spécialisés, nous travaillons enfin à produire de plus en plus de documents en « français simplifié » ou en FALC (« facile à lire et à comprendre ») à destination des publics les plus éloignés.

De même expliquer aux justiciables dans des campagnes d’information et de communication ce qu’est l’aide juridictionnelle ou encore ce que la justice peut faire pour une personne dont l’ex-conjoint refuse de payer la pension alimentaire, c’est aussi favoriser l’accès au droit et donc à la justice (voir, Justice / Portail / La justice de proximité : avec vous, au quotidien). La communication publique ne doit pas être réduite comme on le fait trop souvent à sa fonction « support », elle doit aussi poursuivre des objectifs « stratégiques » au service de l’intérêt général.

Miss K – Il me semble avoir compris au travers de vos campagnes que vous souhaitez rendre attractif les métiers de la justice …

C’est en effet un des autres axes majeurs de notre stratégie de communication. Là encore, les enjeux ne sont pas minces car pour faire fonctionner le service public de la justice il faut des professionnels à tous les échelons. Or, l’attractivité des concours de la fonction publique à tendance à baisser dans tous les secteurs (justice, santé, éducation nationale, métiers du social…). Or, nos besoins sont majeurs que ce soit pour renouveler les nombreux départs à la retraite dans certains métiers ou accompagner les nombreux recrutements annoncés dans d’autres…. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé dès 2020 une démarche globale dite de « marque-employeur » pour voir comment la fonction communication pouvait mieux participer aux campagnes de recrutement du ministère et de ses directions. Cette démarche a une autre vertu : celle « d’embarquer » tous les métiers de la justice dans une même « expression publicitaire » : « Soyez au cœur de la justice », pour montrer qu’un surveillant pénitentiaire comme un magistrat ou un éducateur de la PJJ participent à une même œuvre de justice au sein d’un même ministère.

Cette démarche – alors novatrice au sein du ministère de la justice – a reçu de nombreux prix de communication (Prix Effie, Top Com et Grands Prix Stratégies), entre autre grâce à sa capacité à « parler vrai ». Car c’est une autre de mes convictions de communicant public : nous devons développer des communications sincères et réfutables pour être crédibles et donc, audibles. Par exemple, les campagnes visant à favoriser le recrutement de surveillants pénitentiaires ou d’éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ne méconnaissent pas les difficultés du métier. Oui il y a de la violence dans les établissements pénitentiaires, mais le métier c’est aussi d’accompagner dans ce contexte les détenus et de travailler à leur réinsertion. Idem pour le travail avec les jeunes placés sous-main de justice. Donc, notre communication ne doit pas tenter de repeindre en rose ce qui ne l’est pas mais de donner à voir ce qu’il y a de positif et d’attractif pour des métiers qui ont profondément du sens (voir, Justice / Portail / Soyez au cœur de la Justice).

Quelles sont vos actualités ?

La délégation à la communication a été fortement mobilisée par les Etats généraux de la Justice depuis un an, pour lesquels nous avons notamment organisé de nombreux débats en régions avec le ministre. Aujourd’hui, le rapport du Comité Sauvé issu des travaux de ces États généraux a été remis au président de la République, il y a des concertations qui ont eu lieu au mois de juillet et qui se poursuivront en septembre. Nous serons mobilisés pour faire connaitre la nouvelle feuille de route… mais aussi pour en assurer partiellement la mise en œuvre. Car à l’évidence, une meilleure connaissance de la justice de la part des élèves, des étudiants, des citoyens et des justiciables fera également partie des attendus.

Donc, la Dicom travaillera sans doute dans les mois et années à venir autour de deux axes : le premier, que tout le monde attend de la fonction communication : valoriser nos avancées, nos feuilles de route. Le second, pour lequel vous l’aurez compris, je milite beaucoup : participer de manière stratégique à la réussite des politiques publiques. A ce titre, nous lançons dès ce mois de septembre, une nouvelle campagne (« Besoin de la justice ? ») de promotion du « 30 39 » pour mieux faire connaitre ce nouveau numéro qui permet à chacun d’entre nous de bénéficier d’une première orientation dans le système judiciaire près de chez soi. Là encore, si les gens ne savent pas que le 30 39, numéro unique de l’accès au droit, gratuit et accessible aux personnes sourdes ou malentendantes, existe, ils ne prendront pas leur téléphone. À la Dicom, ce type d’action de communication nous rend particulièrement fiers de notre métier !

Vous appréciez la littérature, source de détente. Souhaitez-vous partager avec les lecteurs des références ?

Je tente de saisir toutes les occasions pour attraper un bon bouquin.

J’ai été il y a longtemps un lecteur addictif de Georges PEREC, j’ai découvert beaucoup plus tardivement certains classiques profitant des études littéraires de ma fille (« Madame Bovary », « Le Rouge et le Noir »…) et mes toutes dernières lectures montrent mon éclectisme : « Les années » de Annie ERNAUX, « L’élégance des Veuves » d’ALICE FERNEY et j’ai entamé il y a quelques jours « V13 » d’Emmanuel CARRÈRE. Mais pouvait-il en être autrement ?! (sourire)

Un remerciement François pour l’entretien instructif et la visite guidée du ministère de la Justice laquelle m’invite à revenir pour affiner mes connaissances. A très bientôt donc (sourire)


Note importante

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