Interview du général Sylvain NOYAU, commandant du Commandement pour l’environnement et la santé (CESAN), Gendarmerie nationale
🌐 Du 13 au 16 novembre 2023 se tenait en Croatie le colloque Strengthening the fight against crimes that affect the environment in South-East Europe ou Renforcement de la lutte contre la criminalité environnementale en Europe du Sud-Est.
Le colloque était soutenu par la Commission européenne dans le cadre du partenariat stratégique franco-croate signé le 25 novembre 2021 par le Président Emmanuel MACRON et le Premier ministre Andrej PLENKOVIĆ.
Le général Sylvain NOYAU, commandant du Commandement pour l’environnement et la santé (CESAN) était présent au colloque, l’occasion pour Miss Konfidentielle d’échanger sur ses missions encore peu connues et pourtant essentielles à la protection de l’environnement et de la santé publique.
Aujourd’hui nous sommes au CESAN situé à la limite de Bagneux et Montrouge, près de Paris, entouré d’espaces verts. Le cadre idéal pour un entretien exclusif !
Bonjour général,
Un remerciement de me recevoir au CESAN, un acronyme encore peu connu du public et qui mérite un éclairage.
Le CESAN, c’est le commandement pour l’environnement et la santé.
En vous retournant, vous verrez sur le mur une illustration du peintre provençal Paul Cézanne. C’est un clin d’œil pour mémoriser le nom de ce commandement. Et pour le comprendre, il faut le placer dans son contexte.
La gendarmerie a toujours été très engagée sur les sujets environnementaux.
A titre d’exemple, le décret de 1903 qui fixait l’organisation et les missions de la gendarmerie jusqu’à son intégration au ministère de l’Intérieur en 2009, insistait déjà sur la répression des dépôts sauvages, la surveillance des cours d’eau et la police des forêts. Reconnaissez qu’il s’agit aujourd’hui de sujets très contemporains.
Et au fil du temps, cette mobilisation s’est intensifiée :
En 1993, on décide de former des enquêteurs spécialisés.
En 2004, c’est la création de l’OCLAESP, l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique, placé sous l’autorité du directeur général de la Gendarmerie nationale. Sa création intervient deux ans après l’intervention du président de la République Jacques CHIRAC à Johannesburg, devant l’assemblée plénière du IVe sommet de la Terre, avec cette formule qui marque encore aujourd’hui les esprits : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Prenons garde que le XXIème siècle ne devienne pas pour les générations futures celui d’un crime de l’humanité contre la vie ».
Un nouveau coup d’accélérateur est donné lorsque le général d’armée Christian RODRIGUEZ, prend ses fonctions comme directeur général de la Gendarmerie nationale, en 2019. Il fait alors de la lutte contre les atteintes à l’environnement, qui constituent une préoccupation forte chez nos concitoyens comme chez les élus, une de ses priorités. Il crée, entre 2020 et 2022, 10 détachements de l’OCLAESP. Sept sont basés en métropole et 3 outre-mer : en Polynésie-française, en Guyane et à la Réunion. Les enjeux environnementaux y sont considérables.
Sous l’impulsion du ministre de l’Intérieur, le DGGN décide d’aller encore plus loin, en 2023, avec la création du CESAN.
Cette unité a vocation à garantir une meilleure prise en compte de la sécurité environnementale et sanitaire par la gendarmerie. Elle est placée directement sous son autorité, avec un champ d’action reposant sur 6 piliers :
– Le premier pilier est stratégique, c’est notamment l’établissement d’un état de la menace car pour bien lutter il faut connaître.
– Le deuxième pilier, c’est l’animation et la coordination de l’action, avec l’objectif, pour toute la gendarmerie, de faire mieux et plus.
– Le troisième pilier, c’est l’appui aux personnels de terrain, avec la volonté de faciliter la prise en compte de ces sujets considérés complexes. L’appui constitue une priorité pour le CESAN et prend plusieurs formes. Il peut être immédiat avec notre hotline ouverte H24 ou l’envoi d’experts du CESAN sur le terrain. Il peut aussi s’inscrire dans le temps lorsqu’il s’agit, par exemple, de développer des outils innovants qui seront mis à la disposition des gendarmes pour faciliter leur action. Ailleurs, c’est l’appui aux élus, etc.
– Le quatrième pilier, c’est la formation, absolument indispensable pour traiter efficacement ces contentieux souvent techniques, avec près de 3 000 infractions disséminées dans 15 codes différents. Cet effort de formation était réclamé par le ministre de l’Intérieur. Aujourd’hui, 4 000 gendarmes sont formés, répartis sur tout le territoire.
– Le cinquième pilier, ce sont les partenariats, avec les autres acteurs institutionnels, les associations d’élus et la société civile organisée, notamment les ONG. Au travers de ces coopérations, il s’agit de mieux coordonner notre action entre partenaires et de profiter de nos compétences complémentaires pour une plus grande efficacité. Évidemment, en matière judiciaire, ces collaborations se mettent en place sous l’autorité des magistrats, au travers des cosaisines.
– Le sixième pilier, pour finir, c’est l’action à international, à partir de laquelle on développe des coopérations et on partage notre expertise comme cela a été fait, par exemple, à l’occasion du colloque en Croatie avec la Direction de la coopération internationale de sécurité. Bien-sûr, on regarde aussi ce que font les autres et on s’en inspire.
Par le renforcement de l’OCLAESP, la création du CESAN, la mise en place d’officiers adjoints environnement dans les régions et dans les groupements ou encore la formation de ses personnels, l’ambition de la gendarmerie est de s’investir encore davantage, sur l’ensemble du territoire, pour la sécurité environnementale, sans la dissocier du volet santé publique, profondément lié.
Dans ce domaine, comme dans les autres pans de son activité, elle s’attache à inscrire son action dans une approche globale, de la prévention à la répression lorsqu’il le faut, en engageant toutes ses unités.
Quels sont les profils de vos équipes ?
Aujourd’hui, on est 45 au CESAN, avec une répartition en 3 tiers : un tiers d’officiers de gendarmerie, un tiers de sous-officiers et un tiers de personnels civils. On bénéficiera d’un renfort de 20 effectifs supplémentaires, cet été.
Cette proportion importante de personnels civils, qui baissera sensiblement avec les renforts de l’été, est assez atypique pour une unité de gendarmerie. Tous ont été recrutés au titre de leur expertise qui nous est précieuse et qui est très complémentaire de celle des gendarmes. On trouve, entre autres, parmi eux, des spécialistes du droit de l’environnement et du droit international. Un agent de l’Office français de la biodiversité (OFB) nous est également détaché. De la même manière, un élu est placé à mes côtés comme conseiller technique, chargé d’apporter son expertise pour les actions que nous menons et impliquant les collectivités territoriales et les élus. Il s’agit de M. Arnaud DUMONTIER, maire de Pont-Sainte-Maxence, commune de 12 000 habitants dans l’Oise.
Enfin, un magistrat judiciaire va nous rejoindre cet été. Il est actuellement affecté à l’École nationale de la magistrature (ENM) où il a notamment monté un cycle de formation à la justice environnementale. Il maîtrise donc parfaitement le sujet.
Nous pouvons également nous appuyer sur plus d’une vingtaine de réservistes. Certains sont réservistes opérationnels spécialistes, d’autres appartiennent à la réserve citoyenne. Ce sont des juristes, des avocats spécialisés en droit environnemental, des professionnels de la santé ou encore des cadres d’entreprise.
C’est une réelle richesse pour le CESAN. Ils apportent beaucoup par leurs connaissances, par leur regard extérieur et bien-sûr par leur enthousiasme. Tous sont très impliqués et disponibles !
Quel parcours initiatique vous a mené au poste de commandant du Commandement pour l’environnement et la santé ?
Je comprends deux sens à votre question.
Au niveau professionnel, j’ai eu, jusqu’à aujourd’hui, une carrière essentiellement orientée vers la police judiciaire. Cela m’a notamment conduit à commander la section de recherches de Marseille qui disposait, à l’époque, d’une division de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. Au contact des enquêteurs, qui étaient passionnés par leur métier, je m’y suis imprégné de ces contentieux qui me sortaient du banditisme traditionnel. Dans mon poste suivant, comme sous-directeur adjoint de la police judiciaire, j’ai continué à m’investir sur ces sujets, notamment dans le cadre de la rédaction d’une importante convention de partenariat avec l’OFB. Cela a certainement contribué à ce que je sois désigné, en 2021, pour prendre la tête de l’OCLAESP, ce qui, je dois le reconnaître, correspondait à mes choix. Une fois à ce poste, j’ai participé à l’équipe de préfiguration du CESAN, avant d’en prendre le commandement. Il y a donc dans ce parcours une cheminement logique dont je suis très heureux.
Car à titre personnel, je m’efforce d’être attentif à ce sujet de la protection de l’environnement qui me paraît être, comme pour beaucoup, un des grands défis de notre époque, en raison de ses conséquences sur la préservation de la vie. Mon environnement personnel immédiat a de toute évidence contribué à développer mon intérêt autour de ces différents enjeux. L’une mes filles est d’ailleurs aujourd’hui chargée de mission adaptation changement climatique dans une grande métropole.
J’ai aussi été forcément marqué par certaines enquêtes d’atteintes à la santé publique que j’ai eu à traiter avec mes équipes, à Marseille puis à l’OCLAESP, et derrière lesquelles se cachaient de véritables drames. Certaines d’entre elles nous renvoyaient à des milliers, voire des dizaines de milliers de victimes. Je pense bien-sûr, immédiatement, à l’enquête relative aux prothèses mammaires PIP avec un nombre de femmes victimes, dans le monde, évalué à plus de 400 000. J’ai aussi à l’esprit ces dentistes marseillais, père et fils, condamnés à de lourdes peines de prison après avoir infligé des mutilations dentaires à plus de 400 patients, bien souvent vulnérables, simplement par appât du gain.
Je comprends. Vous avez été sensibilisé, imprégné, formé aux enjeux de l’environnement et de la santé. De fait, quels messages souhaitez-vous transmettre au grand public ?
Comme chacun sait, nos écosystèmes subissent aujourd’hui une dégradation sans précédent. De nombreux scientifiques signalent même qu’une 6ème extinction de masse des espèces aurait débuté, la précédente datant de 13 000 ans. Le dérèglement du climat annoncé au début des années 70 par Robert Meadows, chercheur du MIT répondant alors à une commande du club de Rome, n’est aujourd’hui plus contesté par personne, en tout cas raisonnablement. Souvenons nous que les 10 années les plus chaudes enregistrées depuis l’aire industrielle l’ont été depuis 2005, les 8 dernières étant les plus chaudes. Et que pour ces 8 dernières années, la température de chacune a été supérieure à celle qui la précédait. La protection de l’environnement constitue donc indéniablement un défi individuel et collectif.
Et les atteintes à l’environnement contribuent, à leur niveau, à cette dégradation. A titre d’exemple, c’est évidemment le cas lorsque les scientifiques nous annoncent qu’en 2050 le poids du plastique dans l’océan sera supérieur à celui des poissons. On est, là, à la croisée de la problématique des abandons de déchets, qui sont un véritable désastre, et de la surexploitation des espèces, qui s’apparente par endroits à un pillage en règle.
C’est encore le sujet de la déforestation importée, lorsque l’on sait que 20 à 40 % du bois entrant dans l’Union européenne serait d’origine illégale et que la France est désignée comme le 6ème pays importateur de bois et produits forestiers d’origine illégale en Europe.
Ce défi environnemental est donc aussi celui des forces de sécurité intérieure. La lutte contre la délinquance environnementale constitue à cet égard un enjeu crucial au regard des conséquences dévastatrices qu’elle peut avoir sur la planète.
Je pourrais naturellement donner des exemples du même ordre s’agissant des atteintes à la santé publique.
En la matière, il ne s’agit pas uniquement de délinquance environnementale de grande ampleur, au travers des trafics internationaux de déchets, de bois, d’espèces protégées ou encore de produits phytosanitaires interdits. Ce sont aussi les incivilités du quotidien, particulièrement pénibles pour nos concitoyens, contre lesquelles il faut lutter.
… aux jeunes en particulier ?
C’est bien-sûr le même message.
Souvent, les jeunes sont impatients sur le sujet environnemental considérant, pour certains d’entre eux, que l’on ne fait pas assez ou que l’on ne va pas assez vite. C’est ce qu’on perçoit en parcourant le livre de Bruno DAVID, Le jour où j’ai compris. Il y répond à des milléniums, qui pourraient être ses petits enfants, lui reprochant, ainsi qu’à toute sa génération, une partie de la dégradation de la planète et, pour autant, de ne pas suffisamment faire aujourd’hui pour réparer ce qui pourrait l’être.
Pour la partie que je connais, c’est-à-dire la sécurité environnementale et sanitaire, je peux vous assurer que la mobilisation est forte, même s’il reste beaucoup à faire. Des progrès et des avancées ont été réalisées depuis les dernières années au moins pour moderniser et étoffer les dispositifs et le cadre répressif. La mobilisation de la gendarmerie telle que je viens de vous la décrire me paraît en être une bonne illustration.
Au-delà, il faut bien-sûr souligner l’impulsion donnée au plus haut niveau de l’État. Renforcer la lutte contre les atteintes à l’environnement constitue aujourd’hui une des politiques prioritaires du gouvernement, ce qui témoigne, s’il le fallait, d’un volonté forte, avec des résultats attendus et dont on rend compte régulièrement.
Enfin, les jeunes peuvent nous aider. Ils peuvent notamment nous apporter leur concours dans le domaine de la prévention et de la sensibilisation, dans la perspective de voir changer les comportements infrationnels de certains de nos concitoyens. Les cadets de la gendarmerie le font déjà. Toutes les énergies et les bonnes volontés sont les bienvenues !
L’innovation est un sujet incontournable. Quelle est la feuille de route du DGGN ?
Développer des innovations technologiques et numériques peut effectivement être un bon levier pour faciliter la prise en compte de la matière par les enquêteurs et pour accroître la capacité des unités . Il peut s’agir de gestion de données massives, de détection d’atypies reposant sur l’IA, de capteurs intelligents, par exemple, pour identifier avec exactitude des essences de bois, de données d’imagerie optique et satellitaire, etc.
Le CESAN dispose justement d’un département dédié aux innovations. Il travaille avec de multiples partenaires en interne et en externe gendarmerie, y compris en développant des coopérations étroites avec des start-ups. Un capitaine avec une formation d’ingénieur de haut niveau est à sa tête. Sa préoccupation permanente : s’imprégner des besoins du terrain et y coller.
Je crois savoir que votre agenda est contraint et que vous avez une famille. Comment conciliez-vous le travail et la vie privée ?
C’est déjà du temps en famille.
C’est du sport aussi souvent que possible, principalement de la course à pied. J’essaye de courir plusieurs fois par semaine, y compris lorsque je suis en déplacement ce qui m’arrive assez souvent. J’ai d’ailleurs couru dans le Parc national des lacs de Plitvice en Croatie lors de la conférence régionale à laquelle vous avez participé.
Je joue également au tennis. J’ai beaucoup joué étant jeune avant d’arrêter assez longtemps et de m’y remettre récemment avec beaucoup de plaisir.
Je suis aussi passionné de ski. C’est bien-sûr plus difficile à pratiquer, mais c’est parfait pour se vider l’esprit, pour des sensations grisantes et pour un bon bol d’air pur !
Le mot de la fin de Miss K : Un excellent moment d’échanges général, un remerciement appuyé. Le plaisir aussi de rencontrer vos équipes sympathiques et efficaces !