La parole à … Grégoire CHARLE le 2 avril, journée internationale de sensibilisation à l’autisme
Le 06 octobre 2022, journée des aidants, moment clé de la Semaine bleue, j’interviewais Grégoire CHARLE, officier supérieur et chef de la Mission Accompagnement du Handicap de la Gendarmerie nationale.
Le 02 avril, journée internationale de sensibilisation à l’autisme, j’ouvre une Tribune à Grégoire CHARLE afin de prendre des nouvelles.
Une pensée douce à la famille de Grégoire et à toutes les familles touchées par l’autisme.
Un vœu ferme aux systèmes de santé et éducatifs pour une bien meilleure prise en charge des autistes et de leurs familles. Le vœu d’une capacité d’écoute et de bienveillance forte à l’endroit des autistes. La différence est une richesse, elle fait grandir, en avoir peur conduit à l’étroitesse de l’esprit et des actes regrettables.
Bonjour Grégoire,
Bonjour Miss Konfidentielle,
Tout d’abord, je suis très touché que tu aies pensé à moi à l’occasion de ce 2 avril qui est évidemment, pour ma famille, un jour si particulier.
En effet, depuis 2007, l’ONU a érigé le 2 avril comme journée internationale de sensibilisation à l’autisme.
Année après année, la mobilisation autour de cette journée prend de l’ampleur, à la hauteur des enjeux (700 000 personnes concernées en France, prévalence évaluée entre 1 naissance sur 50 et 1 naissance sur 100) et autour d’une couleur : le bleu. De nombreux édifices publics et monuments seront illuminés dans cette couleur ce soir !
Peut-être que cette couleur a d’ailleurs contribué à ce que tu fasses le rapprochement avec un gendarme !! Je te confierais du coup bien volontiers qu’il m’est du coup compliqué de me singulariser dans mon uniforme aujourd’hui…
Quelques mots sur la particularité des troubles du spectre de l’autisme (TSA) ?
C’est un trouble complexe et le synthétiser en quelques mots est un défi.
Ce qui rassemble au sein des TSA : une altération des interactions sociales, de la communication, des intérêts restreints et comportements stéréotypés.
Autres conséquences : au-delà de ces critères communs, qui s’expriment déjà d’une manière très différente d’une personne à l’autre, les personnes porteuses de TSA peuvent avoir des sensorialités atypiques (ayant des incidences en matière de troubles du comportement, de l’alimentation, du toucher, etc), un développement intellectuel atypique (avec déficience intellectuelle pouvant être sévère, ou des capacités hors normes), ne pas développer le langage verbal, etc
Causes principales : les TSA trouvent essentiellement leur origine dans des variations génétiques, dont l’expression est influencée par des causes environnementales. La recherche mondiale implique actuellement environ 300 gènes dans les TSA. Parfois la mutation d’un seul d’entre eux suffit à engendrer une forme sévère de TSA, dans d’autres cas il s’agit d’une combinaison de variations sur plusieurs gènes, liée à des facteurs environnementaux. En tous les cas, ces gènes sont globalement tous impliqués dans les processus biologiques de fonctionnement de nos synapses ou de construction de nos réseaux neuronaux. [1]
En synthèse, la diversité des profils des personnes avec TSA est infinie, à l’image de la complexité des facteurs qui les causent. Cela complique ainsi la détection, l’adaptation des méthodes de développement et d’accompagnement… et cela dessert aussi bien souvent la cause de l’autisme en raison des profils les plus médiatisés, qui ne sont pas nécessairement les plus représentatifs de la réalité !
Quels enjeux en 2024 autour des TSA ?
Comme évoqué, la prévalence des TSA est tout sauf anecdotique : 1 à 2 % des naissances, soit grosso modo 6 à 12 000 enfants avec autisme tous les ans en France… C’est un enjeu majeur de santé publique et un défi immense pour inclure dans la société tous ces enfants, ainsi que tous leurs aînés, respecter leurs droits fondamentaux, ceux de leurs proches, leur garantir un développement optimal et la meilleure participation sociale à terme pour les adultes.
Aujourd’hui, plusieurs milliers d’enfants sont encore sans solutions d’accompagnement et à la charge complète des familles, d’autres avec des solutions très partielles ou inadaptées. Les difficultés tendent aujourd’hui à se propager à l’âge adulte, où les solutions d’accompagnement sont encore plus saturées par ces enfants devenus majeurs. Il est ainsi fréquent que des majeurs approchant 30 ans soient encore maintenus en structure enfant, faute de place adulte.
Dans le milieu ordinaire, l’insertion sur le marché de l’emploi d’adultes avec autisme s’avère souvent complexe, faute de compréhension des besoins et fonctionnements spécifiques, et de mise en place d’adaptations. Les adultes avec TSA se présentant sur le marché de l’emploi sont ainsi très majoritairement au chômage, avec des taux de fait très significativement du taux général.
Au plus jeune âge, l’enjeu principal est celui d’un repérage et d’un diagnostic précoces, point sur lequel la situation tend à s’améliorer par la structuration de plateforme départementales de repérage. Mais ce diagnostic précoce est de fait inutile, voire particulièrement frustrant, s’il ne s’accompagne pas d’une prise en charge tout aussi précoce, et massive. Or, les familles restent confrontées à la saturation des solutions et aux difficultés d’accès aux soins et accompagnement, tant en sanitaire, en médico-social qu’en libéral.
De manière générale, la France a été condamnée 5 fois depuis 2004 pour ses lacunes dans la prise en charge de l’autisme, sans réellement parvenir à ce jour à ce que la situation sur le terrain, pour les personnes concernées et les familles, ne change radicalement. A travers les différents plans autisme, la réponse publique se structure néanmoins, même si les efforts et la réalité de leur impact peinent à satisfaire les attentes de familles durement éprouvées.
Quelles perspectives ?
La recherche est aujourd’hui un motif d’espoir majeur. En particulier dans le domaine de la génétique. Mieux comprendre est essentiel pour pouvoir au mieux proposer des réponses médicales limitant les effets vécues négativement des TSA, au moins pour pouvoir adapter les accompagnements de manière individualisée. Elle permet aussi d’éliminer progressivement les prises en charge pseudo-professionnelles qui ont tant fait de tords et de ravages pour les familles concernées, en particulier celles liées à la psychanalyse.
En matière d’accompagnements, nous avons aussi beaucoup progressé sur les méthodes proposées, la façon de mieux comprendre les profils individuels et d’adapter ces accompagnements. La vraie limite est dans notre capacité à réellement mettre en place ces accompagnements, qui trouvent généralement une mise en place en « un pour un » : personnels formés et disponibles sur tout le territoire, financements associés…
De manière plus globale, la société s’ouvre progressivement à ces différences, la sensibilisation a progressé et de nombreux exemples positifs d’inclusion et d’accompagnements respectueux ont fleuri sur le territoire, et pas uniquement pour les situations les moins sévères. Nous progressons, toujours trop lentement, mais nous progressons !
Un vœu particulier pour 2024 ?
Ne plus entendre le terme « autiste » utilisé à des fins d’insulte ou de dénigrement. Je ne vois pas en quoi on se permet encore se genre d’usage, que l’on entend encore fréquemment en privé, dans le monde du travail, ou encore dans les media… C’est un usage à caractère discriminatoire, et l’on n’utilise plus (c’est heureux !) de termes renvoyant à des discriminations de genre, de religion, d’ethnie… Force est de constater qu’avec le handicap, les esprits restent moins choqués. Cet usage renvoie à des clichés péjoratifs, alors même que les capacités et potentiels des personnes sont infinis !
Qu’êtes-vous devenu depuis votre entretien-portrait (du 6 octobre 2022) ?
Après 3 années de création et de structuration de la Mission Accompagnement du Handicap à la DGGN, j’ai vécu la douloureuse « rupture du cordon ombilical » l’été dernier ! Non pas que je l’ai mal vécue, elle était nécessaire et d’ailleurs signe d’une maturité suffisante pour transmettre, mais lorsqu’on vit intensément un sujet, sur lequel on porte une part de militantisme, il peut évidemment y avoir une part de nostalgie de ne plus pouvoir s’impliquer de la même manière sur ce sujet, et pour toutes les familles concernées en Gendarmerie. J’ai pris depuis l’été dernier des fonctions en matière de ressources humaines au profit de la région de gendarmerie du Centre-Val de Loire. Ces fonctions sont passionnantes car elles regroupent l’ensemble des facettes de la fonction RH, de manière transversale, à un échelon essentiel et fréquemment décisionnaire en matière RH vis-à-vis de nos personnels. C’est une étape très enrichissante de mon parcours professionnel, que je trouve très complémentaire à la fois avec les étapes précédentes et celles que j’appelle de mes vœux pour la suite !
Quel bilan en tirez-vous ?
La Gendarmerie a eu un rôle éminemment précurseur dans le soutien aux aidants, et a pu à la fois déployer un plan d’action global et, à travers la mission, trouver les voies d’amélioration dans la coordination des réponses à chaque situation individuelle. Je me rappelle évidemment de nombre d’entretiens et de situations de familles de camarades. Ces échanges m’ont marqué par leur dignité, le nivellement de fonction que peut engendrer la pair-aidance, la bienveillance de nombre d’acteurs internes, et parfois tout cela dans des configurations où la détresse était bien présente.
Sur ce volet, nous avons eu la satisfaction de voir la Gendarmerie labellisée dans son soutien aux aidants, première administration de l’État à recevoir une telle distinction.
S’agissant du handicap au sein du personnel militaire, il reste encore du chemin à parcourir pour faire évoluer les esprits. La situation reste liée à une approche caricaturale consistant à penser que nos normes médicales rendent de facto le handicap absent de nos rangs, ce qui est réducteur et factuellement faux. Au-delà du constat, je reste persuadé qu’une approche non défective du handicap doit désormais nous guider, avec des impacts que j’estime positifs à la fois pour les personnes concernées et pour l’institution, ce qui n’est pas intuitif pour tout le monde. Je pense prochainement conceptualiser cet aspect.
Un mot de la fin ?
2 avril et gendarmerie obligent : « life is blue ! »
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[1] Une lecture incontournable à recommander à nos lecteurs les plus intéressés : « Des gènes, des synapses, des autismes », par le Professeur Thomas Bourgeron, éditions Odile Jacob, 2023.