Quelles pratiques des jeux d’argent et de hasard chez les adolescents de 17 ans ?
La fin de l’adolescence est une période propice à l’expérimentation des jeux d’argent et de hasard (JAH), dont la pratique précoce et répétée est susceptible d’entraîner une pratique de jeu problématique, à l’instar de la consommation de substances psychoactives (INSERM, 2014). Ce comportement relève du champ des addictions comportementales, dénommées parfois « addictions sans produit », qui sont définies comme « la focalisation sur un objet d’intérêt unique (ou très prévalent), devenu un véritable besoin plus qu’un désir, et la poursuite de ce comportement malgré ses conséquences négatives sur la vie sociale ou affective ou sur la santé » (Reynaud et al., 2016). Si le concept d’addiction comportementale est relati- vement récent, la dépendance liée au jeu d’argent est décrite dès le XVIe siècle (Inserm, 2008, 2014 ; Nadeau et Valleur, 2014). Les JAH sont des « jeux faisant naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquels un sacrifice financier est exigé » (1).
L’enquête sur la santé et les consommations lors de l’appel de préparation à la défense (ESCAPAD) mis en place par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) se déroule auprès de tous les adolescents de 17 ans convoqués à la Journée défense et citoyenneté (JDC). L’enquête a intégré, pour la première fois en 2011, un module de questions sur la thématique des JAH qui a ensuite été renou- velé lors des enquêtes 2017 (Brissot et al., 2018) et 2022, offrant ainsi une évolution des pratiques à l’adolescence au cours de la décennie passée. Faisant suite à une première publication des résultats principaux (OFDT, 2023) à l’automne 2023 qui s’attachait notamment à mettre en avant les grandes évolutions de la pratique des JAH intervenues sur la période 2011-2022, ce document propose une analyse détaillée des joueurs en 2022.
Le module JAH de l’enquête 2022 aborde les types de jeux de manière plus fine que lors des deux vagues d’enquêtes précédentes. Ainsi, la pratique des JAH est questionnée selon les six catégories de jeux suivantes :
▬ les jeux de tirage (type Loto®, Amigo®) et les jeux de grattage (Cash®, Morpion®) regroupés auparavant sous la dénomination commune de « jeux de loterie » ;
▬ les paris sportifs et les paris hippiques regroupés auparavant sous la dénomination commune de « jeux de pronostics » ;
▬ le poker et les jeux de casino/machines à sous regroupés auparavant sous la dénomination commune de « jeux de casino ».
Cette grille d’analyse permet de proposer, à la lumière de données sociodémographiques disponibles dans l’enquête, un éclairage plus fin de ces premières pratiques de JAH à l’adolescence.
De fait, chacune des six catégories de jeu d’argent et de hasard étudiée repose sur une mécanique de jeu dont les modalités d’offre sont régies par un cadre réglementaire spécifique. Par exemple, les jeux de grattage diffèrent des jeux de tirage, tant dans le panel des gains possibles que dans les modalités de jeu. De plus, le cadre réglementaire varie selon le canal de distribution. De même, l’offre de paris sportifs diffère selon que les paris sont réalisés sur un site de jeu en ligne ou en points de vente.
Outre ce nouvel éclairage, l’enquête ESCAPAD 2022 comporte un questionnement spécifique à la pratique des paris sportifs relatif au comportement de mise, au comportement de jeu sur Internet et à l’auto-évaluation de l’impact monétaire de la pratique de ce JAH. Ces informations apportent de nouveaux éléments sur les modalités de pratique des paris sportifs en population adolescente.
La première partie de cette note s’attache à décrire les profils des joueurs pour chaque type de JAH en fonction des caractéristiques sociodémographiques des joueurs. Les jeux de tirage et les jeux de grattage sont-ils pratiqués à parts égales et à la même fréquence ? Le sexe, la situation scolaire et la situation socioprofessionnelle des parents ont-ils une incidence sur les modalités de pratique des JAH ? De la même façon, ces questions se posent pour les jeux de paris sportifs et de paris hippiques ainsi que pour le poker et les jeux de casino. Proposée pour la première fois, une analyse à l’échelle régionale révèle l’existence de disparités territoriales, tant sur la pratique annuelle des JAH que sur la pratique de jeu hebdomadaire. Une approche géographique basée sur la taille de l’unité urbaine de résidence de l’adolescent vient compléter cette analyse.
Une deuxième partie s’attache à décrire les modalités de pratique des JAH chez les adolescents de 17 ans, telles que la place d’Internet et les principales associations des JAH. Observe-t-on des différences dans l’usage d’Internet selon le type de JAH ? La multi-activité, c’est-à-dire le fait de jouer à plusieurs types de JAH, est-elle une pratique répandue parmi les joueurs de 17 ans ? Un focus sur les comportements des joueurs de paris sportifs est également proposé.
Enfin, la dernière partie de cette note concerne les impacts négatifs que la pratique des JAH peut engendrer chez les adolescents de 17 ans, en mettant en avant l’existence et l’identification de certains facteurs de risque dans la survenue du jeu problématique.
(1) Article L320-1 du code de la sécurité intérieure modifié par l’ordonnance n°2019-1015 du 2 octobre 2019 – art.
LES POINTS CLEFS A RETENIR
▬ Les jeux de grattage constituent le premier type de jeu d’argent et de hasard (JAH) pratiqué par les adolescents de 17 ans (un adolescent sur cinq), suivis par les paris sportifs (un adolescent sur dix).
▬ Les fréquences de pratiques des JAH varient fortement selon le type de jeu, la pratique hebdomadaire reste ce- pendant limitée et concerne principale- ment les paris sportifs.
▬ Une tendance à sous-évaluer les pertes et/ou à surévaluer les gains : près de la moitié des parieurs sportifs estiment gagner de l’argent.
▬ Il existe des disparités territoriales avec une pratique de JAH plus marquée parmi les adolescents de Bourgogne-Franche-Comté, des Hauts- de-France et de Bretagne, et moins marquée chez ceux d’Île-de-France.
▬ Des différences importantes de pratiques apparaissent selon le sexe et la situation scolaire : des garçons davantage joueurs dans l’année, une prévalence de JAH au cours de l’année moindre parmi les élèves en enseignement général ou technologique.
▬ Environ un joueur dans l’année sur dix présenterait un risque de jeu problématique.
▬ Le jeu hebdomadaire et la pratique des paris sportifs sont parmi les premiers facteurs de risque du jeu problématique.
LES CONCLUSIONS DE LA NOTE
L’exercice 2022 de l’enquête ESCAPAD a permis d’observer pour la troisième fois les niveaux de pratique de jeux d’argent et de hasard chez les adolescents de 17 ans. Les jeux de grattage sont les JAH le plus souvent pratiqués : près d’un adolescent sur cinq (18,9 %) y a joué au cours des douze derniers mois, et 1,2 % y ont joué au moins une fois par semaine. Viennent ensuite les paris sportifs avec plus d’un adolescent de 17 ans sur dix (11,6 %) qui y a joué dans l’année et 2,9 % au moins une fois par semaine. Les autres types de JAH sont pratiqués par moins d’un adolescent sur dix : 7,6 % pour les jeux de tirage, 3,0 % pour les jeux de casino ou les machines à sous, 2,7 % pour le poker et 1,0 % pour les paris hippiques.
Si l’offre des JAH est importante dans le nombre de types de jeux proposés, la majorité des joueurs n’a misé de l’argent qu’à un seul type de jeu d’argent et de hasard.
Tous types de jeux confondus, la pratique hebdomadaire des JAH concerne 4,0 % des adolescents, 6,7 % pour les garçons et 1,3 % pour les filles. En termes de fréquence de jeu, les jeux de paris sportifs sont ceux pour lesquels on observe la plus forte part de joueurs hebdomadaires.
L’utilisation d’Internet s’inscrit dans une numérisation croissante des pratiques de JAH : plus d’un quart des joueurs (27,9 %) ont déclaré jouer majoritairement à des JAH sur Internet avec des disparités fortes selon le type de JAH, les jeux de paris sportifs étant les seuls à être pratiqués majoritairement sur ce support. Cette digitalisation est susceptible d’exposer davantage les adolescents aux communications commerciales des opérateurs renforçant d’autant la normalisation des comportements de jeu. En 2022, 56,9 % des adolescents de 17 ans ont rapporté avoir vu ou entendu une publicité relative à un site de paris sportifs la semaine précédant l’enquête (77,2 % dans les trente derniers jours). Seuls 8,8 % n’en font pas mention.
Certaines caractéristiques sociodémographiques sont liées à la pratique d’un JAH au cours de l’année, au premier rang desquelles on retrouve le sexe, puis la situation scolaire. Le développement d’un comportement de jeu à risque apparaît fonction à la fois du contexte social et du contexte de pratique de jeu dans lequel l’adolescent s’inscrit. La répétition, appréciée à travers le jeu hebdomadaire, et le type de JAH pratiqué sont autant facteurs de risque dans la survenue du jeu problématique. La pratique de paris sportifs, qu’elle soit ou non en concomitance avec d’autres types de JAH, apparaît liée à la survenue de jeu problématique.
La perception par une majorité de joueurs d’avoir gagné de l’argent avec leurs paris sportifs laisse entendre une erreur d’appréciation. Il est intéressant de mettre ce constat en relation avec la rhétorique du marketing des paris sportifs, mettant toujours en scène des joueurs qui gagnent et jamais des joueurs qui perdent. Dès lors, la correction de cette distorsion pourrait être une piste d’axe de prévention de pratiques à risque.
LA NOTE EN SON ENTIER A LIRE
Je vous invite prendre connaissance de la note datée Avril 2024 en cliquant sur le lien.
Eroukmanoff V., Philippon A., Le Nézet O., Spilka S. Pratiques de jeux d’argent et de hasard en 2022 chez les adolescents de 17 ans. Paris, OFDT, coll. Notes de résultats, 17 p.
FOCUS SUR… l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT)
Créé en 1993, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), alors observatoire français des drogues et des toxicomanies, est un groupement d’intérêt public qui a pour objet d’apporter à ses membres ainsi qu’aux professionnels du champ et au grand public un éclairage sur le phénomène des usages de drogues, licites et illicites, et des conduites addictives, et notamment des jeux d’argent et de hasard, en France et de contribuer au suivi du phénomène au niveau européen. A cet effet, il constitue un dispositif permanent d’observation et d’enquêtes tant en ce qui concerne les évolutions des consommations et des conduites addictives, les produits et les profils et pratiques des consommateurs que leurs conséquences sanitaires, sociales, économiques et pénales des consommations et des trafics ainsi que les pratiques professionnelles des intervenants concernés par ces politiques. Il assure le recueil, l’analyse, la synthèse et la valorisation des connaissances sur l’ensemble du champ de la politique publique. Il apporte un concours méthodologique à la préparation et au suivi des travaux d’évaluation du plan gouvernemental.
L’OFDT est l’un des relais nationaux de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA), agence de l’Union européenne basée à Lisbonne, qui a pour mission de fournir des informations objectives fiables et comparables au niveau européen sur le phénomène des drogues illicites et des toxicomanies et leurs conséquences (http://www.emcdda.europa.eu).