Interview : Pierre Josse, suivez le guide !

« Chroniques vagabondes : Petit dictionnaire des insolites itinéraires d'un Routard »

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Rédacteur en chef du Guide du Routard depuis près de 40 ans, Pierre Josse vient de sortir aux éditions Hachette « Chroniques vagabondes : Petit dictionnaire des insolites itinéraires d’un Routard ». Plus que des souvenirs, ce sont 80 tranches de vies classées de façon alphabétique qui racontent les anecdotes d’un globe-trotter au grand cœur épris d’aventures humaines. Rencontre avec un Breton voyageur qui aux dernières nouvelles affichait 107 pays au compteur …

Chroniques vagabondes, après 39 ans passées à la tête de la rédaction du Guide du Routard était-il le moment de faire un premier bilan ?

A un moment donné, on sent qu’il faut faire un bilan. En outre je suis en semi-retraite. Donc tout à coup, au lieu de faire 10 voyages par an, je n’en faisais plus que 5. Cela me laissait des plages importantes de liberté. Au départ, j’avais sélectionné 200 chroniques et on m’a dit, tu n’as que 340 pages de textes. Il a fallu faire des choix. J’ai sélectionné les aventures qui me touchaient le plus en termes de richesse de souvenirs et d’émotions. Il fallait aussi que j’arrive à un équilibre entre les pays et les périodes. Une des chroniques peut surprendre. C’est celle de mon passage dans la classe ouvrière quand j’ai travaillé quatre ans dans l’imprimerie en tant que rotativiste. Je me suis dit que cela fait partie de ma démarche et de ma construction psychologique et professionnelle.

Vous parlez de l’influence prépondérante de votre mère dans votre destin de vagabond professionnel, mais très peu de celle de votre père. Etait-il hermétique à toute notion de voyage ?

Ma mère était prof d’anglais et issue de la petite bourgeoisie. Elle n’est apparue qu’au fur et à mesure de l’écriture. C’était une routarde-née, adhérente de la première heure des randonnées et des auberges de jeunesse. Mais surtout, c’était un personnage extraordinaire qui m’a pris par le col et m’a mis sur un bateau à l’âge de 17 ans pour les Etats-Unis en me disant « Go West young man ». Quant à mon père, il est évoqué dans l’ouvrage parce que nous avons suivi tous les deux des cours à l’Ecole Estienne, moi, afin de passer un diplôme professionnel de lecteur-préparateur de copie et lui comme ouvrier relieur plusieurs décennies auparavant. J’ai dû échanger à peu près 300 mots différents avec lui dans ma vie. De mon père qui a eu une vie très rude, je puise mes origines ouvrières et de ma mère, mon côté littéraire et ma passion pour les langues, ce qui constitue en définitive un bon équilibre.

Avant de rentrer au Routard, vous avez eu un parcours pour le moins atypique. Pouvez-vous nous en parler ?

Je suis bac-3. L’école n’était pas adaptée à ma personnalité. Je suis rentré tout de suite  dans la vie active et j’ai fait très tôt mon service militaire à 18 ans. Avant de rentrer au Routard, j’ai été tour à tour enfant de cœur, décorateur-étalagiste, étudiant à l’université libre de Vincennes, instituteur en prison, ouvrier imprimeur, correcteur de presse. J’ai même pensé que je pouvais être cadre…

Votre expérience dans l’imprimerie semble vous avoir particulièrement marqué. Pour quelle raison ? 

Je suis rentré dans l’imprimerie car c’était un secteur dans lequel il n’y avait pas de routine. L’objet imprimé, l’odeur de l’encre, je trouvais cela génial. Vous mettez une feuille de papier au cul de la machine et au bout il y a quelque chose qui est imprimé et qui s’exprime. Cela me faisait rêver et en plus les rotatives avaient des faux-airs de bateaux, avec leurs coursives, leurs bastingages et leurs échelles. J’avais vraiment l’impression de naviguer. Après cette expérience, je suis rentré à l’Ecole Estienne. J’en suis ressorti bardé d’un joli diplôme qui m’a permis de travailler comme correcteur dans la presse, Combat, Le Matin de Paris, Le Monde, L’Humanité, mais aussi au Journal officiel où je gagnais très bien ma vie. En même temps, je proposais mes services aux Guides Bleus. Quoi de mieux en effet que de corriger des récits ou des guides de voyages ? 

Est-ce à ce moment-là que vous avez rencontré Philippe Gloaguen ? 

Effectivement. C’est aux Guides bleus que l’on m’a proposé de diriger techniquement la collection des premiers Guide du Routard. Après avoir été refusé par 19 éditeurs, Philippe Gloaguen le co-fondateur et actuel directeur du Guide du Routard avait réussi à faire paraitre en avril 1973 un premier guide chez Gedalge, un petit éditeur. Mais à peine lancé, le Routard manque de périr: un autobus écrase l’éditeur et entraîne la faillite de sa maison d’édition. Un soldeur rachète les 1500 guides non vendus et les écoule sans peine. Il contacte alors Philippe et le met en relation avec Hachette, éditeur des Guides bleus. Au bout de quelques mois, je le rencontre dans un couloir et il me dit qu’il est très content de mon travail, que je m’implique vraiment dans la correction, en faisant même des propositions, ce qui lui plait beaucoup. Le problème, lui dis-je, c’est que j’en ai marre de voyager par procuration, j’aimerais bien aller un peu sur le terrain. A ce moment, il me tombe dans les bras en me disant qu’il est tout seul et qu’il cherche justement quelqu’un pour le seconder. Au début, je dois bien avouer que cela n’a pas été très rentable parce qu’il n’y avait que 6 guides. J’ai donc continué mon activité de correcteur. En 1981, le Journal officiel m’a proposé d’être embauché définitivement avec le salaire, le double statut, travailleur de l’Etat et de l’imprimerie, la protection sociale et la possibilité d’exercer des activités syndicales. Le truc de rêve quoi ! De l’autre côté, j’avais pris goût au voyage. Philippe Gloaguen me laissait une liberté totale. Je pouvais donner libre cours à mes partis-pris et à mes coups de gueule.  Je me rendais compte qu’écrire, partager mes passions avec les lecteurs, c’était vraiment ce que j’avais envie de faire. J’ai donc eu un véritable état d’âme. Qu’est-ce que je fais ? Choisir la sécurité, ou alors l’inconnu, mais avec en perspective, le Mexique, le Brésil et tant d’autres à venir. Finalement j’ai choisi la route…

Quel regard portez-vous sur le succès du Guide du Routard ?

Le Routard est un fait de société. C’est un objet nomade qui a su taillé sa place dans la société parce qu’il a su comprendre son évolution. Si nous n’avions pas compris les nouvelles façons de penser le voyage, les nouvelles techniques, nous n’aurions pas subsisté très longtemps. Nous avons su tenir compte de nos erreurs, sous les coups de boutoir de notre lectorat qui nous donnaient des tuyaux et des conseils. C’est une histoire de renvoi d’ascenseur perpétuel. On leur apporte une info, ils nous confirment de façon fraternelle, si on a tout bon ou tout faux. On en tient compte et chacun évolue comme cela. L’un des atouts du Routard est aussi d’être intergénérationnel. Il a su au fil du temps répondre aux critiques des lecteurs et avancer avec lui.

Que dites-vous à ceux qui estiment que le Routard s’est embourgeoisé ?   

Je leur fait un sourire affectueux en leur disant que sur le fond ils ont raison. Mais je leur rétorque également qu’embourgeoisé n’est pas le bon terme. Je préfère dire que le routard a évolué. Le routard moyen, l’étudiant fauché des années 70, le hippie, chemise à fleur, bandana dans les cheveux et gratte dans le dos, quand j’en vois un, je cours après et le prends en photo. Le symbole du routard ce n’est plus cela. Dans une randonnée dans la Vanoise, il peut y avoir aujourd’hui un prolo de chez Renault derrière un banquier de chez Rothschild. En fait, le Routard, c’est avant tout un état d’esprit. Et puis parfois c’est le voyage d’une vie et il faut donner l’occasion aux gens de vivre des expériences exceptionnelles. Je pense à des palais de Maharadjahs dans le Shekhawati en Inde. C’est moins de 100 dollars par nuit dans une chambre de 80 m2 avec des serveurs en livrée et des lits à baldaquins. On descend manger le soir avec une retraite au flambeau, tout cela pour des prix extrêmement raisonnables.

Avec le temps avez-vous changé votre manière de voyager ?

Oui, avec regret. Dans les années 70-80 et jusqu’au début des années 90, nous voyagions dans des conditions rustiques parce que nous n’avions pas beaucoup d’argent. Et malheureusement, nous perdions beaucoup de temps. Durant la période héroïque du Routard, je devais prendre des taxis-brousse au Burkina Faso soit trois ou quatre heures d’attente dans la gare des bus, quand il n’était pas en panne. A partir du moment où nous avons eu un petit peu plus de moyens, nous avons pu louer un 4X4 avec chauffeur. A partir de ce moment-là, nous avons pu travailler de façon beaucoup plus efficace. En même temps, nous nous privions de toutes les expériences personnelles que l’on peut vivre quand on voyage à la « Routard » comme ses propres lecteurs. Les rencontres, les discussions, les galères, les petites catastrophes qui se transforment vite en bons souvenirs. Ce n’est pas un hasard, si plus des deux tiers des chroniques rapportées dans le livre se passent dans les années 80-90. J’ai même eu du mal, à chroniquer les années 2000, alors que j’ai fait des voyages fantastiques. Parce que, il n’y a pas eu comme paradoxalement sur l’île de Pâques ou aux Galápagos de rencontres telluriques, sentimentales ou affectives très fortes avec des individus ou des paysages. Le véritable critère est là.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui voudrait devenir en 2017 un voyageur professionnel ?

Qu’il taille la route ! Les seules émotions qui sont vraiment importantes sont celles qui ne se payent pas. Et la seule façon de les vivre, c’est de se tirer… Je n’ai pas de leçons à donner sur la façon d’appréhender le voyage. Il y en a qui préfèrent les paysages, d’autres la jungle des villes, le gaz carbonique, les quartiers délabrés ou les villes en transition qui sont en train de changer socialement et architecturalement.  Mais surtout, qu’il se délivre des contingences et des chaînes qui le relient au quotidien, à cette vie un peu imposée par le système et qu’il se fasse plaisir. La curiosité, est très importante mais aussi le doute. Quand vous arrivez dans un pays et que vous ne le comprenez pas, essayez de prendre ses considérants historiques, humains, littéraires, voir comment il fonctionne afin de vous plonger dedans. J’avais par exemple des préjugés contre les combats de coqs. On m’avait dit c’est sanglant, ils mettent des lames de rasoir sur les ergots. En général, le coq qui est blessé est sacrifié. A un moment donné, même si ce n’est pas un spectacle très ragoutant, je me suis rendu compte que ce qui se passait dans les gradins était beaucoup plus intéressant que ce qui se passait dans l’arène. Les paris, l’ambiance, les tensions, les engueulades, c’était totalement fascinant. Là, j’ai appris sur le terrain que je ne n’avais pas le droit de juger. Il fallait que je restitue à chaque fois ce que je voyais dans le contexte politique, économique et social du pays. Cette démarche m’emmenait beaucoup plus loin que celle d’avoir des idées toutes faites et des préjugés sur le pays.

Pour finir, quelle est l’anecdote du livre que vous préférez ?     

J’aime beaucoup celle du Mali, où je préfère poser mon sac à dos chez un joueur de balafon plutôt qu’à l’hôtel, parce que je savais que j’allais vivre des moments extraordinaires. C’est pour cela que je voyage seul, parce qu’on a une vraie disponibilité à ce qui se présente. Il y a aussi les rencontres fantastiques que j’ai faites dans les pubs irlandais. Au bout de 5 minutes tout le monde vous appelle par votre prénom et vous connaissez tout le monde. Je l’ai ressenti encore plus vivement durant la période de la guerre où il y avait une fièvre particulière, un vrai sentiment d’idéal, des rapports paradoxalement extrêmement chaleureux, malgré la gravité de la situation, parce que les gens partageaient la même cause. Ce sont des moments que je ne pourrai jamais oublier…     

Pierre Josse, Chroniques vagabondes : Petit dictionnaire des insolites itinéraires d’un Routard
400 pages – 19,90 € – Hachette Tourisme

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