Interview de Jacques Diacono, Chef de l’Office Central de Lutte contre les Atteintes à l’Environnement et à la Santé Publique (OCLAESP)

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Miss Konfidentielle est heureuse d’interviewer Jacques Diacono qui a tant à dire sur deux sujets qui préoccupent fortement les français : l’environnement et la santé publique. Loin des « fake news », place à la réalité. Bonne lecture.

Bonjour Monsieur,

Vous dirigez des actions de terrain, stratégiques et politiques au sein de l’OCLAESP. Les lecteurs seront intéressés de découvrir l’ensemble des missions menées par l’Office Central ainsi que les enjeux.

L’OCLAESP est avant tout une unité de police judiciaire à compétence nationale, créée par décret interministériel en 2004 et spécialisée dans les atteintes à l’environnement (pollutions, trafics de déchets, d’espèces protégées, de pesticides…) et à la santé publique (grands scandales sanitaires et agroalimentaires, trafics de médicaments, dopage dans le sport de haut niveau, …). Il procède exclusivement à des enquêtes judiciaires et ne dispose donc pas de pouvoir de contrôles administratifs. Il est, dans son champ de compétence, le point de contact français d’EUROPOL et d’INTERPOL pour la coopération policière internationale. Il se voit confier par les magistrats les dossiers les plus complexes et sensibles (Dieselgate, Dépakine, Lactalis, Lévothyrox,…), mais également ceux impliquant des groupes criminels organisés. 

  • Il s’agit là du premier des enjeux pour l’OCLAESP : conserver son expertise face à une délinquance hautement qualifiée (que l’on peut qualifier de «délinquance en cols blancs»), tout en développant ses capacités à faire face à une criminalité de plus en plus organisée et en plein essor en Europe depuis 5 ans environ.

L’OCLAESP est aussi en charge de coordonner et d’animer les investigations de police judiciaire menées dans ses domaines de compétence et d’assister les enquêteurs et les fonctionnaires des autres administrations dans la conduite de leurs enquêtes. L’office a donc développé une véritable culture interministérielle et travaille toujours en partenariat avec d’autres unités ou services de l’État. Cette culture interministérielle se concrétise d’ailleurs dans l’organisation même de l’office, puisque j’ai la chance de disposer directement sous mes ordres de conseillers techniques mis à disposition de l’office par les ministères de l’environnement, de la santé et des sports. Elle se concrétise également par diverses conventions signées avec nos partenaires, la dernière en date étant celle conclue avec l’Agence Française pour la Biodiversité en avril dernier.

  • Cette approche multidisciplinaire constitue à mes yeux le deuxième enjeu majeur pour l’OCLAESP.

Enfin, l’OCLAESP est chargé d’observer et d’analyser les phénomènes émergents, d’étudier les comportements les plus caractéristiques des auteurs, de centraliser les informations, de développer des actions de formation aux niveaux national et international et de participer aux évolutions normatives. En résumé, il doit identifier les nouvelles menaces et contribuer au développement des capacités pour y faire face.

  • J’y vois là le troisième enjeu majeur de l’office : sensibiliser les décideurs à l’existence de criminalités environnementale et pharmaceutique en plein essor et de plus en plus organisées, afin de se doter des moyens humains, juridiques, techniques et financiers d’y faire face.     

Vous rencontrez les ministres et autres dirigeants afin de les alerter et témoigner d’une réalité de la criminalité organisée liée à l’environnement et la santé publique. Ces réunions vous permettent-elles d’avancer concrètement ?

Les choses évoluent petit à petit, mais il y a une réelle prise de conscience. A l’initiative de l’OCLAESP, le Code de Procédure Pénale a évolué en 2016, puis en 2019, reconnaissant la dimension organisée des criminalités environnementale et pharmaceutique et conférant aux enquêteurs les mêmes outils (techniques spéciales d’enquête) que ceux utilisés pour lutter contre les trafics de stupéfiants par exemple.

Pour la première fois, la criminalité environnementale a été inscrite à l’agenda des ministres de l’intérieur du G7 lors de leur réunion à Paris début avril, avec des perspectives pour l’avenir.

Au niveau européen, sous l’impulsion de l’OCLAESP, la France a obtenu que la lutte contre cette criminalité environnementale constitue l’une des dix priorités de sécurité du cycle politique 2018-2021 de l’UE et que l’OCLAESP en soit désigné le pilote. Des moyens y sont donc consacrés, notamment à EUROPOL, et des actions concrètes menées dans le cadre de plans annuels. L’OCLAESP, avec le soutien de 13 États-Membres, vient en outre d’obtenir de la Commission Européenne un fond de près de 1,5 million d’euros pour développer encore plus d’actions en 2020 et 2021 contre cette forme de criminalité. A titre d’exemple, l’École Nationale de la Magistrature est étroitement associée à ce projet et développera des formations dédiées aux magistrats en France, mais également au sein des pays ayant soutenu ce projet.

Enfin, en matière de criminalité pharmaceutique, l’office dirige depuis 2017 la principale action européenne de lutte contre les trafics de médicaments, avec l’appui de la Finlande et d’EUROPOL, et mobilise de plus en plus de pays. Les résultats enregistrés en 2018 par les 16 pays participants à cette action montrent l’étendue de la problématique : 13 millions de médicaments contrefaits ou falsifiés saisis, 435 arrestations et 24 groupes criminels organisés démantelés.

Quel message fort souhaitez-vous faire passer aux français ?

Les forces de l’ordre, et tout particulièrement la gendarmerie nationale, œuvrent pour la protection de l’environnement et de la santé en luttant contre les délinquants. Mais seules, elles ne pourront jamais résoudre les problèmes. 

S’agissant de l’environnement, tout citoyen est acteur de la protection de notre planète et les petits gestes que nous pouvons chacun faire sont essentiels. La délinquance commence par des actes d’incivilités que trop de personnes considèrent comme pas ou peu graves. Il est pourtant si facile, par exemple, de ne pas jeter de déchet par terre.

S’agissant de la santé, n’achetez pas n’importe quoi sur internet. Vous n’avez aucune garantie sur la qualité des «médicaments» qui y sont vendus. Il est en effet communément admis, notamment par INTERPOL, que 50% des médicaments vendus sur le net sont falsifiés.  

Vos études solides telles que l’EOGN (criminologie), l’Ecole de Guerre et l’INHESJ vous aident-elles au quotidien afin d’avancer dans vos missions ?

Oui, bien sûr. L’EOGN a complété ma formation d’officier reçue à l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr, en m’apportant la maîtrise de la procédure pénale et la connaissance des acteurs administratifs et judiciaires avec lesquels la gendarmerie travaille au quotidien. A ce propos, et comme indiqué plus haut, la dimension interministérielle de l’OCLAESP est essentielle puisque son champ de compétences et l’organisation de notre pays l’amènent à travailler très régulièrement avec plusieurs ministères et de nombreuses administrations.

L’École de Guerre et l’INHESJ m’ont apporté une ouverture d’esprit et des clés pour mieux comprendre le monde dans lequel nous évoluons, grâce à un enseignement de haut niveau (conférences, travaux de groupes,…) et à une grande diversité des élèves (militaires venant du monde entier pour l’École de Guerre, auditeurs de tous horizons pour l’INHESJ). L’École de Guerre m’a également permis de développer mon sens de l’analyse, ainsi que mes facultés de conception et de planification. Ces qualités sont utiles au quotidien, notamment pour mener un véritable audit de l’office, définir une stratégie, des objectifs concrets et réorganiser l’unité pour les atteindre, mais également pour conduire au mieux les investigations dans les dossiers qui nous sont confiés.

Face à ces enjeux majeurs, prenez-vous le temps de vous ressourcer ?

Oui, bien évidemment. C’est très important de couper de temps en temps pour se ressourcer. J’aime beaucoup le théâtre, la lecture, le sport, particulièrement la course à pieds, le rugby pour ses valeurs (j’y ai joué dans ma jeunesse), le ski et la randonnée en montagne ou dans de grands espaces.

Un grand remerciement pour toutes ces précieuses informations. Les français ont besoin de prendre connaissance des « réalités ». Grâce à vous, nous avons des éléments concrets qui nous éclairent et nous aident à réfléchir à l’avenir. Notre avenir, et celui de nos enfants. Miss Konfidentielle, sensible à l’environnement et à la santé publique vous souhaite une pleine réussite dans vos projets !


Légendes et copyrights des photos à respecter impérativement :

Photo en Une : Signature de la convention de l’OCLAESP et l’AFB en avril 2019. A droite, Jacques Diacono.
© OCLAESP
Seconde photo : Trafic de médicaments démantelé très récemment dans le cadre de l’opération européenne dirigé par l’OCLAESP © OCLAESP

Troisième photo : Trafic d’ivoire démantelé © OCLAESP
Quatrième photo : Affaire de trafics de déchets toxiques (une centaine de tonnes abandonnée dans un hangar agricole) © OCLAESP
Cinquième photo : Bébé tigre blanc d’un mois saisi le 1er mai 2019 au domicile d’un individu se livrant au trafic d’espèces protégées © OCLAESP

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