Interview de Laurent Choukroun, Chef de chant à l’école du ballet de l’Opéra de Paris

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Miss Konfidentielle est heureuse de partager avec vous le parcours et les actualités de Laurent Choukroun, Chef de chant à l’école du ballet de l’Opéra national de Paris. Une rencontre conviviale réalisée grâce à deux points communs : la passion de la musique classique et l’apprentissage à l’École Normale de Musique de Paris. Vous découvrirez un homme plein de sensibilité, de générosité, d’humilité, de curiosité qui a voyagé dans le monde entier et rencontré de grands artistes. 

Bonjour Laurent,

Vous avez choisi un bel instrument de musique : le piano 

Quand j’ai commencé mes études musicales à l’âge de 6 ans à Toulouse, le piano était pour moi un instrument magique, polyphonique, multi-timbral permettant à lui tout seul une multitude de possibilités sonores, orchestrales, une palette de couleurs digne d’un peintre et un des instruments les plus complets.

Classique, jazz, toutes les musiques peuvent être retranscrites et interprétées par un instrument comme le piano. Il est l’instrument par excellence. Le piano, plutôt le pianiste… peut vous faire sourire, pleurer, vous attendrir, vous agacer, bref rentrer en communication avec votre esprit sans même vous parler, juste quelques fréquences habilement harmonisées et interprétées.

Je ne suis pas issu d’une famille de musiciens mais d’une famille de mélomanes, ce qui m’a donné la possibilité, dans un premier temps, d’essayer de pratiquer une activité artistique et de très vite travailler comme un fou pour aller toujours plus loin et plus haut. Ma famille m’a toujours soutenu, épaulé et guidé dans ce chemin artistique qui n’est pas des plus facile. J’ai ainsi obtenu mes prix de musique très tôt dans les années 80 : pédagogie, accompagnement, musique de chambre, formation musicale notamment. Puis je suis venu à Paris en 1987 afin de suivre la formation de Direction d’orchestre à l’École Normale de Musique de Paris, ma préparation au CA de professeur de formation musicale avec Odette Gartenlaub parallèlement à mon engagement au conservatoire de Toulouse comme musicien accompagnateur.

De nombreuses personnes ont pu, à travers leur enseignement, me sensibiliser aux qualités nécessaires pour essayer de devenir un musicien professionnel. Je remercie mes Maîtres tels que Maître Sancan, Melle Simone Féjard, Monsieur Pietro Galli. Mais également les danseurs qui ont éveillé en moi cette curiosité qui est nécessaire à tous les artistes tels que Melles Bessy, Verdi, Thesmar, Chauviré, Vaussard, Oudard, Guillem, Loudières, Arbo, Guérin, Mrs Noureev, Akimov, Fadeechev, Bryans, Namont, Golovine, Perretti, Bart, Dupont. La liste est incomplète.

Mon apprentissage s’est fait en deux étapes. La première : conservatoire, études, concours. La seconde : début de carrière à l’Opéra de Paris après deux années passées en tant que titulaire au CNR de Toulouse. J’ai réussi le concours mais il est vrai que j’ai réellement appris mon métier en arrivant à l’Opéra de Paris.

En 1988, vous intégrez le prestigieux Opéra national de Paris

  • Comment cela s’est-il passé ?

C’est en lisant un jour Paris Match en 1988, que je suis tombé sur une annonce. L’Opéra de Paris recrutait des pianistes à l’occasion du transfert de son école de danse dans les nouveaux locaux à Nanterre. Pour l’anecdote, je n’ai pas pu être présent le jour de l’audition car il y avait une grève du transport aérien ! Je suis resté cloué au sol à Toulouse. Fort heureusement, j’ai été recontacté par l’Opéra de Paris puis reçu pour mon plus grand bonheur !

Décrocher ce poste était un aboutissement pour un musicien et surtout le début d’un apprentissage d’une carrière qui s’ouvrait à moi. Je saluerais ici le professionnalisme du jury, trois chefs de chant : Michel Quéval, Robert Gardel, Piétro Galli ainsi que Melle Noella Pontois qui donnait la classe ce jour-là.
Une pensée particulière pour Piétro Galli qui deviendra un ami, mon maître à l’Opéra de Paris puis témoin à mon mariage.

  • Que dire de l’histoire de l’Opéra national de Paris ?

Depuis la fin du XXème siècle, l’activité de l’Opéra de Paris s’organise entre les deux salles de l’opéra Garnier (inauguré en 1875) et de l’opéra Bastille (inauguré en 1990). Dans le langage courant, le terme Opéra de Paris désigne souvent le palais Garnier au sens architectural du terme. Entre 1939 et 1990, la compagnie était unie à l’Opéra-Comique (salle Favart) sous l’appellation de Réunion des théâtres lyriques nationaux.

La compagnie a le statut d’établissement public français à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle du ministère de la Culture. Elle a pour mission de rendre accessible au plus grand nombre les œuvres du patrimoine lyrique et chorégraphique et de favoriser aussi la création et la représentation d’œuvres contemporaines. L’Opéra national de Paris contribue par ailleurs à la formation professionnelle et au perfectionnement des chanteurs et des danseurs, par son centre de formation d’art lyrique et par l’école de danse de Nanterre. Enfin, son secteur animation et jeune public élabore chaque saison un programme pédagogique.

Depuis 2014, l’Opéra de Paris est dirigé par Stéphane Lissner, directeur, nommé par le ministre de la Culture pour un mandat de six ans (décret du 24 juillet 2009) renouvelable une fois pour une période de 3 ans. L’Opéra national de Paris est membre de la Réunion des Opéras de France (ROF), de RESEO (Réseau européen pour la sensibilisation à l’opéra et à la danse) et d’Opera Europa.

Nous avons appris le décès de Monsieur Nicolas Joel, ancien directeur de l’Opéra de Paris de 2009 à 2014. Jai connu Monsieur Joel personnellement à Toulouse avant mon départ pour l’Opéra de Paris. Il a su apporter une touche différente dans le choix des mises en scène d’opéra. Je voudrais à travers ces quelques lignes avoir une pensée sincère pour sa famille.

  • Et de votre évolution de carrière au sein de l’Opéra national de Paris ?

J’ai eu la chance d’être pianiste officiel du concours de Varna  (Bulgarie) en 1988, pianiste au concours international de Paris en 1990 et 1992 par exemples.

En 1988, j’étais engagé comme pianiste accompagnateur à l’Opéra de Paris. Le Directeur du ballet de l’Opéra de Paris était alors Rudolf Noureev pour lequel j’avais énormément de respect. J’avais énormément d’affection pour Monsieur Jean-Albert Cartier administrateur général de l’Opéra de Paris. Je travaillais en même temps avec Claude Bessy, directrice de l’école du ballet de l’Opéra de Paris.

En 1993, j’ai été reçu au concours de chef de chant. Un chef de chant est le musicien qui assure toutes les répétitions au piano et qui fait le lien entre le maître de ballet et le chef d’orchestre. Il assure également les répétitions au piano en direct avec le chef d’orchestre quand celui-ci est présent.

Je pense qu’il est important de définir ce qu’est ce métier méconnu de musicien accompagnateur.
Pendant de longues années, celui-ci était plus ou moins réservé à des musiciens très modestes… mais heureusement que nous sommes quelques-uns à nous être battus pour revaloriser à sa juste valeur ce métier magnifique qui est d’accompagner, de soutenir, d’aider, de porter un danseur dans l’extrême de ses performances comme dans la plus grande sensibilité qu’il pourrait dégager.

Je me suis très rapidement intéressé au langage du danseur et j’ai donc développé une méthode d’interprétation musicale du mouvement dansé. Chaque mouvement à un besoin physiologique, organique. Une prise d’espace tout en étant en appui au sol ou dans les airs. Il fallait codifier, écrire une partition qui pourrait retransmettre la totalité des paramètres qui aideraient le danseur à se laisser aller à travers la musique sans se poser de questions. J’ai donc codifié tous les éléments nécessaires aux danseurs pour les remettre dans une partition qui, une fois déchiffrée, fait que la danse et la musique deviennent indissociables. On ne danse pas sur une musique on danse à travers une musique. Cette méthode m’a permis d’être responsable pédagogique des Diplômes d’État aux fonctions de musicien accompagnateur pendant de nombreuses années pour ARIAM Île-de-France, et de faire de nombreuses master-classes à travers le monde. J’ai eu la chance de former de nombreux pianistes dont certains travaillent eux-mêmes à l’Opéra de Paris à ce jour, au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris et de Lyon, dans de grandes compagnies en Europe et aux États-Unis.

J’ai eu la chance de côtoyer les plus grands artistes, les plus grands danseurs français et étrangers. La chance “d’être tout près des étoiles”, de partager une passion commune, l’Art. Toutes ces années, j’ai approché les grands, des chorégraphes tels que Maurice Béjart, Roland Petit, Youri Grigorovitch, Alvin Ailey, Pierre Lacotte, John Neumeier, Maguy Marin, Thierry Malandain, et j’en oublie… Des danseurs et danseuses célèbres aussi, telles que Sylvie Guillem, Violette Verdi, Sarah Lamb, Rudolph Noureev, Rudy Bryans, Boris Akimov, Nikolaï Fadeechev, Ninel Kurgapkina, Isabelle Ciaravola, Marie-Agnès Gillot, Élisabeth Platel, Attilio Labis…

Certaines répétitions seront inoubliables comme les répétitions du Lac des Cygnes avec Sylvie Guillem et Guislaine Thesmar dans un studio, juste tous les trois, une pure merveille ! J’étais privilégié de partager ces moments magiques même si j’occupais mon rôle de pianiste pour la répétition.

Depuis 2001, j’ai créé en accord avec l’Opéra de Paris, sous la direction de Monsieur Hugues Gall, une société au service de la danse et des danseurs, Dance Arts Production. Une société qui a pour vocation de fournir aux danseurs tous les éléments nécessaires à la pratique de leur art, enregistrements, supports pédagogiques, mais également formations destinées aux musiciens accompagnateurs ainsi qu’aux danseurs désirant mieux comprendre le langage musical.

Et si nous évoquions maintenant des sujets d’actualité.
L’Opéra de Paris a fermé pour raison de crise sanitaire du Covid-19. Comment gérez-vous la situation ?

Les activités de l’Opéra de Paris se sont retrouvées très perturbées depuis le mois de mars 2020.

Il est très difficile dans nos métiers artistiques, que ce soit danseur ou musicien, d’arrêter de s’entraîner car outre le côté artistique, il existe également le côté technique. Toute mécanique bien huilée à l’arrêt met un peu de temps à redémarrer, c’est pour cela que nous ne nous arrêtons que très rarement. Si vous arrêtez de travailler vous perdez en technique, en endurance… Ceci est encore plus vrai pour les danseurs. C’est pour cela que l’Opéra de Paris a proposé des classes dispensées par des Étoiles de l’Opéra de Paris pendant le confinement, ces classes étaient libres d’accès sur internet. De nombreuses étoiles ont ouvert au public sur la toile. Ces classes étaient accompagnées par mes musiques extraites des différents CD que j’ai pu enregistrer depuis quelques années. Il s’agit des classes de Melles Dorothée Gilbert, Léonore Baulac et Eleonora Abbagnato. Ces classes se retrouvent facilement sur la toile.

Pour ma part, j’ai repris du service et je dois dire qu’avec trente-et-un ans de présence dans ces murs, il est difficile de rester confiné hors de ma seconde maison.

Vous avez un projet qui vous tient à coeur… pouvez-vous nous en parler en avant-première ?

Absolument. Je travaille depuis trois ans à l’étude d’une plateforme de streaming musical destinée au seul monde de la danse. La première plateforme spécialisée Danse pour les danseurs de tout âge, tout niveau. Une plateforme professionnelle regroupant les meilleurs artistes du monde à disposition de tous les danseurs professionnels ou non. Son nom est IDance Music.

La plateforme de streaming musical IDance Music proposera aux danseurs une seule et même interface multilingue (anglais, japonais, espagnol, portugais, italien, coréen, allemand..) d’ici fin 2020 leur permettant de travailler. Vous pouvez d’ores et déjà retrouver IDance sur les réseaux sociaux Instagram et Facebook

Quelles sont les autres passions, occupations qui vous animent ?

J’aime la vie, les gens, la cuisine, la musique qu’elle soit classique, baroque, jazz, musique du monde. La littérature : Voltaire, Victor Hugo, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud. La sculpture : Camille Claudel, Auguste Rodin, la peinture : Pablo Picasso, Vincent Van Gogh.

Les activités professionnelles m’ont permis de beaucoup voyager à travers le monde. Le Japon a marqué mes souvenirs pour sa culture, sa philosophie, ses cerisiers en fleurs. Les États-Unis pour leur immensité, leur diversité, leur culture, les spectacles, les musées. Chaque voyage a également enrichi ma curiosité de vivre, de découvrir les richesses de chacun et d’apprendre à travers ce qui m’était offert. En famille, c’est surtout au soleil que je voyage.

Depuis 2014, je mets mes compétences au service des habitants de ma commune. Je me suis rapproché du maire de ma ville, car il n’existait pas de structure d’enseignement musical de qualité et je pense que notre devoir, à ce jour, est d’offrir toujours le meilleur de nous-même pour donner envie à nos jeunes de s’épanouir dans des domaines encore méconnus pour certains. Monsieur le maire m’a intégré dans son équipe comme conseiller, vice-président Art et Culture, ce qui m’a permis d’être à l’origine de la création d’une école de musique intercommunale qui a été reprise depuis deux ans maintenant par l’agglomération. Je suis resté bien entendu au comité directeur pour décider des différentes orientations à donner à cette structure qui sera un jour j’en suis persuadé le Conservatoire du Val d’Europe. Je suis profondément persuadé que la culture n’a pas que vocation à distraire, mais est un véritable générateur de socialisation, de vie en communauté et de rapprochement. La culture, la musique, rapprochent les êtres, les peuples, les pensées. Donner un enseignement culturel à nos jeunes revient à éduquer nos enfants, leur donner des valeurs, leur apprendre le respect, leur donner la possibilité de se sentir bien. Certaines de ces valeurs font tristement défaut aujourd’hui quand on se plonge dans l’actualité.

Souhaitez-vous dire un dernier mot avant de nous quitter ?

Après trente-et-une années passées à l’Opéra de Paris, je suis convaincu que ma vie n’aurait pas été la même si je n’avais pas baigné dans cette institution exceptionnelle. Pourtant en 1992, avec mon épouse danseuse, nous avions la possibilité de partir tous les deux aux USA pour y faire carrière (contrat de travail, Green Card, tout était organisé pour que notre départ se fasse dans de bonnes conditions), mais l’Opéra de Paris a eu ma préférence. L’art, la culture, m’aura permis de vivre de ma passion au sein de l’Opéra de Paris, et j’espère que je continuerai encore de longues années à découvrir ou redécouvrir les œuvres les plus belles qui se présentent à nous et qui ne sont pas toujours appréciées à leur juste valeur. La plus petite sculpture, œuvre musicale, peinture, mérite d’être abordée avec les plus grands égards et la plus grande réflexion afin de déchiffrer ce qu’a voulu interpréter l’artiste.

Je terminerai sur une citation « La danse est la musique du corps et la musique est la danse de l’esprit » et un morceau joué au piano, une de mes compositions, qui je l’espère plaira à vos lecteurs.

 

 

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