Interview de Bruno KARL, Président du Tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion

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4 octobre 2020 – Miss Konfidentielle s’est entretenue avec joie avec Bruno KARL alors présent sur la splendide île de La Réunion. Amical, pédagogue, dynamique et fondamentalement humain, Bruno KARL nous livre son parcours, ses actualités, des affaires marquantes, sa vision de l’évolution de la Justice et des relations police/justice, des sujets plus personnels. Un témoignage spontané qui nous vient d’Outre-mer fort intéressant !

Bonjour Bruno,

Racontez-nous un peu votre parcours comme il vous vient pour commencer…

Je suis originaire de Troyes, dans l’Aube.

Dès l’âge de 13 ans, j’ai voulu devenir juge, juge d’instruction. J’ignore pourquoi.
Je ne suis pourtant pas issu d’une famille de juristes et à cette époque il n’y avait pas vraiment d’émissions ou de films dédiés au métier de juge d’instruction. Je crois que j’étais surtout intéressé par l’aspect enquête, recherche de la vérité.

Mon père souhaitait que je sois ingénieur et je lui ai répondu « non, je préfère être juge d’instruction ». Pour l’anecdote, si j’étais en terminale scientifique, je n’étais pas fort en maths, ce qui me semblait un frein important pour réussir en tant qu’ingénieur (sourire).

En 1989, j’ai rencontré à l’IEJ un directeur des services extérieurs de l’administration pénitentiaire (Francis BONDIEAU). J’ai alors décidé de passer le concours.

En 1990, j’intégrais l’école nationale de l’administration pénitentiaire.
J’ai découvert un univers avec des moyens humains limités, même s’ils sont bien supérieurs à ceux des juridictions. En prison, on gère de l’humain, tant les personnels que les personnes détenues. Je me souviens être allé souvent voir les détenus dans leurs cellules, avoir beaucoup parlé avec eux. Ce rapport humain permet d’être respecté par les collègues et les personnes détenues. Une confiance s’instaure. Le directeur devient un peu comme le père. Il punit et récompense. Un rôle humain et paternel. Il incarne la loi.

Suit la préparation au second concours de l’ENM et l’ENM à Bordeaux.
Bien plus tard, j’étais auditeur à la 26ème session nationale de l’INHESJ.

Aujourd’hui, j’ai trois enfants, l’aîné est vétérinaire, la seconde est en 4ème année de médecine. Nous avons des points communs dans nos choix de métier que sont la technicité, le volet humain énorme, le travail au service des autres et la régulation du service social. La petite dernière est en crèche.

Votre parcours professionnel est ponctué par des étapes clefs. Quelles sont-elles ?

Je pense à huit étapes :

– Sous-directeur puis directeur-adjoint de la maison d’arrêt de Grasse (ouverture de la prison
programme 13.000)
– Juge d’instruction au TGI d’Avranches (2000-2003)
– Juge d’instruction au TGI de Cayenne (2003-2007)
– Président du TGI de Rochefort (fusion avec le TGI de La Rochelle), 2007-2010
– Président du TGI de Pau (2010-2015), président du CDAD 64
– Magistrat de liaison au Maroc (2015-2017)
– Président du TGI puis du TJ de Saint-Denis de La Réunion depuis 2017
– Président du CDAD 974.

J’ajouterais que j’ai adoré vivre en Guyane. Mes enfants aussi, ils se sentent un peu guyannais.

Mon expérience de magistrat de liaison a été un moment très fort aussi dans ma vie. Elle est notamment un bon apprentissage de la diplomatie. On sert de relais avec les administrations françaises et marocaines, d’autres pays aussi. Ce recrutement n’était pas un hasard, j’avais déjà mené des missions dans différents pays.

Comment définissez-vous votre rôle de Président du Tribunal de grande instance de Saint-Denis de La Réunion ?

Le Président du tribunal judiciaire, c’est à la fois un juge qui continue à présider des audiences et à juger (les référés, notamment, qui sont des mesures urgentes en matière civile) ce qui constitue le cœur du métier, ce pour quoi je suis entré dans la profession.

C’est aussi un chef d’orchestre, un chef de juridiction, un chef d’établissement, d’une entité à deux têtes (président et procureur).

Le fait d’avoir deux « chefs » est la particularité de la justice.
Il n’y a pas un patron, mais deux, outre les prérogatives du directeur de greffe, qui exerce ses fonctions sous l’autorité ou le contrôle des chefs de juridiction.
Le président organise les services du tribunal, répartit les moyens alloués pour faire face au volume de contentieux à traiter. Il fixe les priorités. Il travaille avec ses collègues, évidemment, qui émettent des avis lors de structures (commissions, assemblées générales…). Il fixe le rythme et le nombre des audiences, veille à ce qu’elles aient une durée raisonnable, il organise les services de manière à traiter les contentieux dans des délais raisonnables.

L’avantage de ce métier ? Celui de pouvoir varier les activités. Je ne me verrais pas faire tout le temps la même chose (sourire).

Un point important ? Les activités sont les mêmes qu’en métropole. Nous sommes cependant davantage exposés car sur une île il est facile d’être observé. Il faut être vigilant. Faire attention à l’image que l’on donne.

Quelles sont les affaires marquantes tout au long de votre carrière ?

Je dirais que j’ai vécu quatre grands moments dans le temps, pas forcément chronologiques.

L’ouverture d’une prison. La sécurité, la discipline, les relations avec l’extérieur ont été des moments forts humainement.

La fusion du TGI de Rochefort et du TGI de la Rochelle. Un gros travail tout en ayant le suivi des contentieux.

Deux affaires très difficiles.
A l’instruction, une affaire de noyade d’une enfant qui avait l’âge de ma fille. C’était dur de la regarder sur la table d’autopsie.
Une autre affaire à l’instruction, où j’avais mis en examen deux frères pour meurtre, faits reconnus, saisie d’armes… En fait, ils n’avaient pas tiré ce soir-là mais un autre soir et étaient innocents. Heureusement, je ne me suis pas limité au dossier et je les ai libérés grâce à la rigueur des investigations notamment techniques. Cela marque. Eux-mêmes n’avaient pas d’animosité car ils pensaient être coupables.
Il est important d’arriver à garder une distance par rapport aux affaires, tout en restant humain.

Que pensez-vous de l’évolution de la justice en France ?

Il y a une amélioration du budget depuis quelques années, mais qui reste très insuffisant au regard des autres pays comparables, notamment du ressort du conseil de l’Europe.

Beaucoup de réformes sont insuffisamment préparées, pas accompagnées d’une analyse des moyens. Avec souvent des textes d’application publiés quelques jours avant l’entrée en vigueur de la réforme. Cela insécurise les magistrats et fonctionnaires, les auxiliaires de justice (avocats, huissiers…).
Les logiciels ne sont pas adaptés aux réformes ce qui génèrent des difficultés aux greffiers qui ne peuvent travailler correctement. Le greffier est un maillon extrêmement important. Il a besoin d’outils de travail à jour.

Des suggestions d’amélioration ? accompagner les réformes procédurales d’une étude d’impact, anticiper les besoins en personnels, anticiper les textes d’application…

Que pensez-vous de l’évolution des relations police/justice ? Juges/avocats ?

Je n’ai jamais rencontré de difficultés (en 30 ans) de relations avec les services de police et gendarmerie, pas plus qu’avec les avocats, huissiers, notaires. L’important est de communiquer, d’avoir la volonté de travailler ensemble, dans le respect des attributions de chacun. Il peut y avoir ponctuellement des difficultés avec telle ou telle personne, mais si chacun respecte l’autre, a conscience des attributions de l’autre et des difficultés de son activité, il n’y a pas de problème. Il ne doit pas y avoir de conflit institutionnel. Nous sommes tous au service de quelqu’un, chacun est un élément, un maillon de l’institution. Et même si j’incarcère une personne du maillon, on se comprend et il n’y a pas d’animosité.

Lorsque j’arrive dans un ressort, je passe une nuit avec les unités de police ou gendarmerie pour découvrir le ressort, comprendre les particularités, les difficultés, échanger librement. C’est intéressant et utile de s’ouvrir.

L’ENM est une excellente école, particulièrement ouverte vers les autres, vers l’extérieur et l’international, l’axe est celui de la culture du doute, tout le contraire de l’entre-soi. L’école organise des stages très divers dans des milieux tels que le milieu pénitentiaire, les entreprises privées, publiques, les préfectures, la diplomatie, chez les auxiliaires de justice comme les avocats, les huissiers de justice… afin de connaître les difficultés de l’autre. Ces formations permettent au futur juge de comprendre les difficultés de ses partenaires, comme les temps d’attente par les avocats avant les audiences, la relation client.

Je suis d’abord juge avant d’être président. Actuellement, je manque de juges alors je gère les deux fonctions. Ce qui génère du retard pour les audiences. Montrer que je respecte les les policiers, les gendarmes, les avocats… qui attendent est essentiel.

En piste d’amélioration ? Il existe des formations de magistrats permettant de connaître les partenaires que sont la police, la gendarmerie, les avocats, les huissiers, AP… Peut-être faudrait-il les développer encore, mais si elles existent et sont nécessaires.

Je vous propose de poursuivre notre entretien sur une note plus personnelle. Trouvez-vous le temps de vous détendre ?

Je trouvais le temps, avant.
J’aime partager des moments avec ma famille, mes amis. Le sport aussi comme le squash (tout ce qui est cardio), la plongée sous-marine et voyager.

Je découvre La Réunion. J’ai adoré voyager au Brésil et en Afrique du Sud. Les Seychelles aussi.
Une ville que j’aime beaucoup ? New-York. A visiter mais pas à vivre.

Depuis quelques mois, ce n’est plus le cas.
Depuis janvier 2020, j’ai pris trois jours de congés… Trop de réformes à mettre en œuvre, la grève des avocats, le Covid-19. Heureusement, l’île de La Réunion est idéale pour la randonnée (sourire).

Avant de nous quitter, avez-vous un message à faire passer aux lecteurs ?

Le juge applique des règles techniques, avec un volet humain essentiel.

L’important, lorsque l’on rend la justice, c’est de montrer que l’on a écouté les parties, de motiver sa décision, au-delà du contenu même de la décision.

J’ai lu dans vos interviews que vous appréciez les citations (sourire). J’évite les citations qui ne m’appartiennent pas, j’essaie déjà d’être moi-même !
Cependant, il y a une citation positive de Nelson Mandela, qui n’est pas en lien direct avec la justice mais que j’apprécie particulièrement, qui me correspond bien, dans ma vie de tous les jours qui est « Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends. »


Copyright obligatoire de la photo publiée : Interview de Bruno KARL par Miss Konfidentielle © Bruno KARL

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