Interview de Lionel ANDRÉ, Conseiller technique montagne auprès de la Gendarmerie Nationale

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30 novembre 2020 – Miss Konfidentielle s’est rapidement intéressée à la personnalité et au parcours de Lionel ANDRÉ, conseiller technique montagne auprès de la Gendarmerie Nationale.  De tempérament spontané, bienveillant, curieux et passionné par la montagne, les conversations ne pouvaient qu’être joyeuses et instructives. Un bol d’air frais en toute simplicité !

Bonjour Lionel,

Vous exercez la fonction de Conseiller technique montagne auprès de la Gendarmerie Nationale depuis le mois d’août 2020. Pouvez-vous nous éclairer ?

  • La gendarmerie est éminemment intégrée dans les territoires.

30% du territoire national sont constitués de montagnes; la vocation de la gendarmerie est donc de s’intégrer dans ce que Jean Castex a appelé la « France des vallées » lors de sa déclaration de politique générale après sa nomination en qualité de Premier Ministre. Ses propos ont évidemment résonné à mes oreilles, au mois de juillet, à quelques jours de prendre mes fonctions.

Les montagnes recèlent une population à fort caractère, forgée par la rusticité et la saisonnalité.
Il y a une identité forte dans la population de montagne, ou plutôt des identités fortes.

L’enjeu de la gendarmerie est d’être dans cet écosystème, d’y participer, d’en être un élément structurant, protecteur et régulateur.

Cet écosystème et ses équilibres sont à nouveau mis à mal avec une saison hivernale à venir qui laisse l’ensemble des professionnels dans le doute et l’inquiétude. La gendarmerie doit être présente pour accompagner ces professions et la population vers une saison qui sera bien différente des autres, avec de vrais enjeux en termes de sécurité, dans tous ses aspects.

Je vois mon rôle de conseiller technique montagne dans cette perspective, en conseillant au mieux les différents échelons de commandement et en tissant des liens avec les partenaires évoluant dans ce milieu. Je le vois aussi, en interne, en structurant mieux encore notre composante montagne.

La gendarmerie de montagne compte 6600 personnels au sein de plus de 700 unités.
11 escadrons de gendarmerie mobile sont également qualifiés « montagne », et appuient les unités territoriales.

Et bien entendu, nous avons les unités spécialisées : les PGHM et PGM, qui effectuent l’ensemble des missions de la gendarmerie, y compris le secours à personne. Plus de 7000 victimes sont secourues chaque année par les PG(H)M. 370 militaires y servent avec des qualifications techniques et un sens du service très élevés. Ces unités sont le fer de lance de l’action de la gendarmerie en montagne.

Cette composante montagne a été récemment engagée, en octobre, dans les Alpes-Maritimes à la suite de la tempête Alex, pour porter assistance aux populations sinistrées.

Dans le premier temps de l’action, les brigades de montagne et le PGHM de Saint Sauveur sur Tinée ont agit au cœur de la crise, parfois avec un héroïsme qui a été largement relayé par les médias, et que je salue également.

Très rapidement, l’action de l’État s’est structurée autour du préfet de département. Plusieurs militaires des PGM et PGHM d’autres massifs sont venus renforcer le dispositif de la gendarmerie pour développer des techniques propres et ainsi pouvoir ravitailler, aider, secourir et assister les populations. A titre d’illustration, outre toutes les missions héliportées, les gendarmes de PGHM ont mis en place des tyroliennes ou des mains courantes pour permettre à certains villages de sortir de l’enclavement.

Le modèle gendarmerie a été conforté à mon sens : un modèle global de gestion de crise, modulaire et rustique, interopérable, capable de rester dans des vallées, non ravitaillées durant plusieurs jours, avec des moyens radios très peu énergivores et performants.

  • Mais notre modèle, historique et performant, doit s’adapter aux évolutions de son temps.

Nous devons anticiper les changements. Nous projeter vers l’avenir.

A ce stade, j’identifie deux facteurs structurants de modifications fortes qui vont impacter le modèle :
– le réchauffement climatique d’une part,
– et la crise sanitaire d’autre part.

Ces deux facteurs entraîneront inévitablement un accroissement des populations vers les zones de montagne, mieux préservées jusqu’à présent, mais plus fragiles également.

Par ailleurs, la crise sanitaire a révélé la santé comme la valeur pivot de nos concitoyens : là aussi, un afflux vers les zones montagneuses est à prévoir aux fins de rechercher des zones plus proches de la nature, des circuits courts d’alimentation, des rythmes plus biologiques et moins citadins.

La gendarmerie de montagne doit s’adapter à ces évolutions que l’on constate déjà.

A la protection des populations doit s’adjoindre un engagement plus fort encore vers la protection de l’environnement et la sécurité économique, qui structure fortement certaines vallées. Elles sont le gage du modèle économique et du poumon des vallées.

La protection de l’environnement recouvre des domaines très vastes : protection de l’eau, des réserves naturelles, de la faune, de la flore, problématique de l’immobilier, des flux saisonniers, des voies interdites à la circulation (quad, motoneige, etc), des réintroductions d’espèces (loups, ours). Autant de sujets dans lesquels la gendarmerie doit avoir une action dans une logique menant-concourant, avec les différents partenaires : office français de la biodiversité, élus locaux, gestionnaires de parcs, etc.

J’échange sur ces sujets avec l’OCLAESP, et notamment avec le major Gérard VALLE, que vous connaissez. Un « homme de la montagne » également : nous nous sommes connus en Ariège il y a 15 ans.

Afin de vous connaître plus avant, que pensez-vous de l’idée d’évoquer votre chemin de vie ?

  • J’ai choisi de m’orienter vers une carrière militaire en 2001.

Mon objectif était d’être militaire par adhésion aux valeurs que cet état porte en lui, et d’être gendarme pour me sentir utile sur le territoire national, au plus près des gens.

Mon père était lui-même militaire, médecin militaire pour être précis.

Je peux dire qu’il y a une certaine forme d’atavisme dans mon choix puisque mon grand-père était également officier dans l’infanterie coloniale et mon arrière grand-père légionnaire.

Il doit y voir un gène kaki dans nos veines ! (sourire)

  • Ma famille est originaire de Provence mais je suis né à Soissons (Aisne); mes parents sont rapidement partis en région Parisienne, proche des hôpitaux militaires.

J’ai alors effectué mes études de droit qui m’ont mené vers le concours d’officier de gendarmerie.

Pour l’anecdote, en 2002, le concours d’officier de gendarmerie s’ouvrait pour la première année aux civils détenteurs d’un bac+4 (bac+5 aujourd’hui).

Nous étions un peu regardés comme des bêtes curieuses à l’époque : les premiers officiers de gendarmerie sans passé militaire, une sorte de groupe de hippies encasernés, des objets militaires non identifiés ! (sourire)

C’était plutôt cocasse!

  • Ma première affectation à la sortie de l’EOGN en 2004 fut en Ariège, à Foix.

C’est vraiment là que ma vie de montagnard a commencé.

Pour la montagne, je suis un “bébé gendarmerie”: je ne suis pas né dans une vallée et c’est par la gendarmerie que je suis venu à la montagne et non l’inverse. Je dois beaucoup à l’Institution car cette découverte a structuré et orienté ma vie et celle de ma famille.

J’étais plutôt sportif à l’époque mais les débuts de ma pratique pyrénéenne m’ont fait découvrir des muscles dont je ne soupçonnais pas l’existence ! Purée, c’est dur la montagne ! (sourire)

Et c’est bien ce qui m’a plu : le défi de la difficulté et l’exaltation de la course aboutie.
Il y a une sorte de spiritualité de l’altitude; c’est un lieu où on ne peut pas se mentir et où les masques tombent : on est dans le vrai.

Bref. Je commence mes stages montagne à Foix et les poursuis lors de ma mutation à la compagnie de Bonneville (74) en 2008.

  • Ayant validé les différents stages, je suis appelé à servir en PGHM, en Corse.

D’abord pour prendre le commandement, en 2010, du PGHM de Corté, en Haute-Corse, puis, deux années plus tard, celui d’Ajaccio, fraîchement créé.

Ces quatre années en Corse ont été particulièrement denses et intéressantes.
Les PGHM ont une vocation naturelle au travail interservices et à la gestion des crises. La création du PGHM d’Ajaccio est également une expérience professionnelle qui me marquera.

L’ancrage dans la population s’est bien passé. Je ne me suis pas pris pour un Corse, simplement un gendarme de passage, proche de la population. Je me considérais comme un invité, tout en assumant pleinement mon rôle de gendarme.
Et puis les Corses sont historiquement un peuple de montagnards. Lors des différentes invasions, ils se retranchaient au coeur de l’île; il y avait donc une culture commune finalement entre nous, une reconnaissance et un respect mutuels.

  • Puis le commandement d’une compagnie : 

Villefranche-sur-Saône en 2015, la capitale du Beaujolais

Après la Corse, je suis allé une année à Paris en qualité de stagiaire à l’école de guerre, avant de prendre le commandement de la compagnie de gendarmerie de Villefranche-sur-Saône en 2015.

Une compagnie du Rhône, pas franchement montagneuse (!) mais à forte activité.
Je ne me suis pas vraiment ennuyé, c’est le moins que l’on puisse dire, ni dans ma vie professionnelle car l’activité délinquante, en périphérie lyonnaise notamment, était intense; ni dans ma vie personnelle car le Beaujolais est une terre accueillante et festive.

J’y ai laissé bon nombre d’amitiés fortes.
J’ai passé trois années inoubliables pendant lesquelles ma famille s’est stabilisée après plusieurs déménagements à brèves échéances.

L’administration centrale au commandement des réserves en 2018

En 2018, je rejoins l’administration centrale au commandement des réserves, en qualité de chargé de mission, aux côtés du général de division Olivier Kim. Un rythme fou, des projets toutes les minutes et une ambiance de travail d’équipe de rugby (!). Deux très belles années.

Je découvre les impératifs et les enjeux d’un poste non opérationnel pour la première fois.
Non opérationnel mais au service de l’opérationnel car la réserve de la gendarmerie est véritablement un “pion stratégique” pour l’Institution, et une réserve de talents et de personnalités extrêmement riches. 30 000 réservistes arment notre réserve opérationnelle et 1500, la réserve citoyenne. Ils sont essentiels à chaque échelon de commandement. Aujourd’hui, tout chef travaille avec ses militaires d’active et ses réservistes. Ils ont des parcours de vie très variés, des professions hétérogènes (cadres, électriciens, boulangers, etc) et surtout, un sens de l’engagement admirable. J’ai beaucoup apprécié de travailler avec eux dans chacune de mes affectations, et d’avoir participé à leur valorisation durant mes deux années au CRG.

A vous écouter, vous attachez de l’importance à votre famille…

La semaine je suis très pris par mon métier de gendarme.

Le week-end, je m’occupe de ma famille : c’est mon centre de gravité.
Je suis père de sept enfants, quatre garçons et trois filles.
Développer leur conscience, leur capacité de discernement, leur sens critique, tout cela occupe beaucoup mon attention, surtout à notre époque où le problème n’est pas l’accès à l’information mais son tri et la capacité à définir sa route dans un brouillard assourdissant d’informations.

J’aime beaucoup de choses dans la vie ; je suis d’un naturel curieux.

Les sports de nature évidemment : escalade, alpinisme, ski, randonnée, etc.
Le rugby comme un bon spectateur (sourire) parce que mes enfants le pratiquent.

La lecture, qui va de Oui Oui avec les enfants (sourire), à des ouvrages plus philosophiques, en passant par les romans historiques ou les récits d’aventure. Je lis actuellement Jean Guitton, après avoir laissé Sylvain Tesson.

Prendre aussi le moment de déguster des bons vins du Beaujolais avec des amis. Et oui, il en existe bien plus qu’on ne le soupçonne. (sourire)

Un petit mot de la fin ?

Je sais que vous appréciez les citations. Il se trouve que moi aussi.

Il y a une citation que j’aime beaucoup.
Le Maréchal Foch disait dans les marais de Saint-Gond en 1914 (bataille de la Marne) : « Ma droite est enfoncée, ma gauche cède ; tout va bien, j’attaque ! ».

Je la cite souvent.

Déjà parce que j’ai une admiration profonde pour ce grand chef militaire qui était avant tout un grand homme, aussi simple qu’admirable.

Ensuite, parce que cette phrase révèle un état d’esprit tendu vers l’optimisme, la liberté d’action, la volonté féroce d’aboutir à l’objectif. Totalement acculé, c’est encore lui qui prend l’initiative, défiant tout défaitisme.

Remarquable !

Lionel ANDRE en 2010 en Corse à la découverte du massif du lac de Capitello © Lionel ANDRE

Note importante :
Il est obligatoire d’obtenir l’autorisation écrite de Valérie Desforges, auteur de l’interview, avant de reproduire tout ou partie de son contenu sur un autre media.
Il est obligatoire de respecter les copyrights des photos publiées dans l’interview.

1 commentaire
  1. Bruet dit

    Merci de mettre notre belle spécialité montagne à l’honneur.

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