Tribune de Xavier BONHOMME, Procureur de la République de Nice

© Xavier Bonhomme, Procureur de la République de Nice
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Miss Konfidentielle avait eu l’honneur d’interviewer Xavier BONHOMME, Procureur de la République de Nice le 04 mai 2020. L’occasion de découvrir un homme au parcours passionnant qui inspire le respect et qui s’exprime sans détour sur des sujets d’actualité. Aujourd’hui, Miss Konfidentielle lui ouvre une Tribune afin de faire le point sur la situation à la date du 1er mars 2021.

L’année 2020 a été sur un plan judiciaire pour le tribunal judiciaire de NICE d’une particularité sensible et je dirais même hors norme.

En effet nous avons été confrontés non seulement à plusieurs difficultés majeures mais aussi à une actualité judiciaire d’une sensibilité extrême que peu de ressorts ont pu connaître et qui ont impacté considérablement l’activité judiciaire notamment pénale, sans éluder les conséquences sur l’activité civile de la juridiction et qui ne sont pas minces.

  • En 1er lieu, la grève du barreau de début janvier au 15 mars qui si elle répondait à des craintes fortes des avocats, n’a pas été sans conséquence sur notre activité alors qu’en même temps elle impactait également la leur.
  • Le relais pris ensuite immédiatement par un concours de circonstances sans précédent, par la crise sanitaire qui dès le 15 mars nous a imposé une période de confinement impactant toujours notre activité en nous conduisant face à un événement jusqu’alors inconnu à rechercher des solutions adaptées et à faire preuve, souvent seuls, d’ingéniosité et d’imagination organisationnelles et procédurales pour maintenir l’activité judiciaire aux activités essentielles, en résumé, à ce qui ne pouvait être différé.
  • En 3ème lieu, des affaires judiciaires hors norme, en particulier deux…
    D’abord celle de la tempête ALEX qui le 1er week-end du mois d’octobre a dévasté les vallées de ce département occasionnant de nombreuses victimes dont le bilan n’est toujours pas à ce jour totalement consolidé, nous en sommes à ce jour à 18 personnes décédées ou disparues, mais qui a conduit sur un plan judiciaire à la mobilisation de ce parquet dans des conditions extrêmes du fait :
    1- de l’ampleur de cette catastrophe climatique,
    2– de l’ampleur des dégâts matériels occasionnés et je puis vous dire que les photos ou reportages que nous avons tous pu voir ne sont rien par rapport au ressenti sur place, à cet immense chaos que nous avons constaté quand je me suis déplacé sur les lieux avec ma procureure adjoint,
    3- de l’ampleur du bilan humain particulièrement lourd avec cette donnée jusqu’alors inédite, celle de la destruction totale dans les vallées touchées, de deux cimetières comprenant près de 400 sépultures nous plaçant ainsi dans l’obligation d’avoir recours à des moyens et investigations exceptionnels et complexes pour discriminer l’origine des corps retrouvés ce qui scientifiquement n’était pas acquis et aujourd’hui près de quatre mois après cette catastrophe naturelle, ces investigations et ces recherches se poursuivent. A ce sujet, l’engagement et la disponibilité de la gendarmerie des Alpes maritimes sans oublier le laboratoire de l’IRCGN (Institut de Recherche Criminelle de la Gendarmerie Nationale) ont été remarquables. Ils ont su mettre avec une grande réactivité les moyens qui s’imposaient et gérer avec professionnalisme ces aspects qui étaient pour tout le monde y compris pour les professionnels de l’enquête et de la sphère judiciaire, inédits !
    4- Enfin, la 4ème donnée de complexité rencontrée, a été celle du caractère international de ce dossier donc des investigations menées ce qui nous a imposé de mettre en oeuvre rapidement les outils de coopération et d’entraide judiciaires avec nos homologues italiens et de MONACO puisque d’une part, l’Italie avait été également touché par la tempête et d’autre part, un corps avait été retrouvé dans les eaux monégasques.
    Le 2ème événement majeur a été évidemment quelques semaines plus tard alors que nous étions toujours mobilisé sur ce 1er événement, le terrible attentat survenu à la basilique Notre Dame de Nice le 29 octobre touchant trois malheureux, leur famille et évidemment bien au delà et qui dans un écho terrible et cruel, venait ainsi résonner funestement sur celui du 14 juillet 2016 évidemment toujours présent dans la mémoire collective, résonance qui allait une nouvelle fois, dépasser le strict cadre de NICE. 

J’indiquais que la crise sanitaire nous a contraint à faire preuve d’ingéniosité, parfois d’audace juridique tant dans l’organisation des services que nous devions coûte que coûte maintenir qu’au travers d’une vision prospective des difficultés auxquelles la juridiction allait être inévitablement confrontée si on ne faisait rien et bien sûr autant que pouvait nous le permettre la maitrise d’une situation instable dont les perspectives étaient inconnues, elles le sont d’ailleurs encore grandement aujourd’hui.

Ainsi la situation de nos chambres correctionnelles a été fortement impactée par cette crise alors que nous avions retrouvé en quelques mois depuis mon arrivée à Nice, une situation meilleure en terme de délai de convocation.

Il a donc fallu prendre des mesures drastiques pour que la situation ne soit pas davantage obérée par deux actions notables, étant précisé que pendant la grève du barreau, c’était déjà près de 600 dossiers pénaux qui avaient été renvoyés.

D’une part, l’étude de plusieurs centaines de procédures qui étaient en cours d’audiencement c’est à dire dans nos tuyaux d’alimentation du tribunal correctionnel mais procédures dont les convocations n’étaient pas encore formalisées, réexamen qui nous a conduit à mettre en oeuvre de nombreuses ré-orientations.

D’autre part, la réorientation encore de plusieurs centaines de dossiers moins prioritaires dont les audiences, pendant la 1ère période de confinement, avaient dû être supprimées.

Cet effort considérable a été fait en conscience dans le cadre de l’exercice des prérogatives du ministère public mais aussi dans un souci de gestion et sans oublier pour chaque dossier lorsque c’était le cas, l’intérêt des victimes.

Or, aujourd’hui malgré ces mesures, la situation est à nouveau délicate du fait notamment d’une capacité de juger totalement insuffisante pour un tribunal d’une telle taille qui je le rappelle, se trouve en terme d’activité, vers la 15 ème place sur un total de 164 tribunaux judiciaires.

Cette insuffisante capacité de juger résulte du manque de magistrats notamment du siège dont un déficit de l’ordre de 10 % est aujourd’hui constaté, ne nous permet pas de redresser à ce jour notre activité correctionnelle alors qu’une lutte efficace contre la délinquance, la crédibilité et la lisibilité de l’action judiciaire passe par des délais de jugements empreints de rapidité.

Cette situation est d’autant plus regrettable que des renforts et moyens supplémentaires très qualitatifs nous ont été alloués par le Garde des Sceaux qui a souhaité avec une efficacité certaine, dans le cadre du plan de soutien à la justice de proximité mis en oeuvre dès le mois de juillet dernier, que tout soit fait pour mettre en place ou conforter les outils de l’action judiciaire de proximité et traiter plus rapidement les infractions du quotidien dites de basses ou moyennes intensité.

C’est ainsi que nous avons pu recruter du personnel en nombre tant en juristes assistants qui viennent assister au quotidien les magistrats sur des sujets ou problématiques sensibles qu’en personnels contractuels de greffe.

Ainsi, le recrutement d’une juriste assistante en charge du partenariat avec les maires et de la prévention de la délinquance nous permet de développer avec efficacité les outils existants et de renforcer des partenariats comme la mise en oeuvre avec les municipalités des procédures dites de rappel à l’ordre, transaction municipale, et d’activer ou de réactiver les structures de prévention (conseil local ou intercommunal de prévention de la délinquance) dans le cadre d’une démarche pro-active. Il s’agit également de développer les échanges maire/parquet notamment en matière d’ informations à donner concernant le traitement judiciaire des infractions les plus graves commises sur le territoire d’une commune donnée notamment celles qui comprennent des quartiers particulièrement sensibles.

De même, le recrutement d’une 2de juriste assistante chargée du suivi et de l’animation des délégués du procureurs nous permet d’améliorer nettement le processus de nos réponses pénales dont ils ont la charge et qui sont constituées soit d’alternatives aux poursuites, soit de poursuites correctionnelles rapides et simplifiées, soit de réponses pénales se situant à mi chemin entre ces 2 modes. Si ces réponses pénales sont au coeur de la justice de proximité c’est parce que le périmètre de ces procédures est bien sûr celui des infractions du quotidien, de basse ou moyenne intensité pour lesquelles et légitimement nos concitoyens attendent une réaction rapide et lisible.

Ces moyens sont donc essentiels mais ils ne concernent pas évidemment le traitement de la délinquance de haute intensité ou celui qui concerne les infractions complexes comme la délinquance organisée, économique et financière pour lesquelles nous devons de manière impérative obtenir des moyens pérennes à défaut desquels l’institution judiciaire sera nécessairement prise en défaut donc critiquable et critiquée.

Autre sujet sensible et prioritaire, la lutte quotidienne contre les violences conjugales qui ne s’est pas arrêtée avec la COVID, bien au contraire, ces dossiers étant du fait de leur sensibilité prioritaires pour tous, enquêteurs et magistrats, alors que le département des Alpes-Maritimes a connu en la matière une hausse des faits constatés de 8,75 % entre 2019 et 2020 (le ressort de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui comprend entre autres, les Alpes-Maritimes a pour sa part connu une augmentation de 6,80 %….). Il est me semble t-il prématuré en tout cas bien difficile de tirer des conclusions sur les raisons de cette augmentation même si les périodes de confinement que nous avons connues peuvent être de nature à favoriser les passages à l’acte. Ce qui est en revanche certain c’est que les moyens de signalement de ce type de faits ont été depuis plusieurs années développés y compris récemment encore par de nouveaux dispositifs destinés à contourner en période de crise sanitaire, les obstacles induits par des situations de confinement. C’est essentiel car comme vous le disait si justement Isabelle ROME que vous avez interviewée « Le silence peut tuer ».

Je n’oublie pas non plus le développement de moyens indispensables destinés à protéger les victimes de violences conjugales comme le téléphone grand danger (TGD) dont le parc niçois a été porté sur ma demande à 30 appareils, du développement des ordonnances de protection (145 ont été prononcées à Nice en 2020 contre 82 en 2019) et surtout la mise en oeuvre récente depuis début janvier 2021, du bracelet anti-rapprochement (BAR) qui est un dispositif technique efficace, de nature à empêcher une personne de s’approcher d’une victime ou d’une victime potentielle en instaurant un périmètre large de sécurité autour d’elle-même.

2020 aura donc été marquée par une crise sans précédent impactant toutes les sphères de la société, l’institution judiciaire n’aura pas été épargnée dans son fonctionnement mais aussi parce qu’à Nice comme ailleurs, des affaires d’une ampleur considérable ont dû être gérées indépendamment de ces inédites contraintes.

Gardons l’espoir d’un lendemain plus heureux, « La fin de l’espoir est le commencement de la mort » disait DE GAULLE.

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