Interview de Thierry Assonion, Conseiller Défense à l’Inria

Mercredi 16 juin 2021 – Miss Konfidentielle vous invite à lire le fruit de longues heures d’échange passionnantes avec Thierry Assonion, Conseiller Défense à l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique). Une synthèse riche d’informations sur les sujets relatifs à l’innovation technologique, la cyberdéfense… en lien avec le ministère des Armées.

Bonjour Thierry,

Vous avez, je crois, récemment quitté le service actif

Bonjour Valérie.
J’ai fait mon adieu aux armes le 4 juillet 2020 à Saint-Cyr l’Ecole, face au mat des couleurs du lycée militaire après plus de 30 ans de carrière. Je suis colonel. Ce mat des couleurs représente un glaive tenu par une main. On l’appelle le poing de César parce qu’il est l’œuvre de l’artiste « César ».

Vous semblez ému en me montrant votre album photo de cet adieu aux armes

En effet, on ne quitte pas cette institution sans émotion. C’est l’engagement de toute une vie. Je me suis souvenu ce 4 juillet de mon père à qui je dois ma vocation de Soldat. Il a servi dans la première armée au sein de la 4ème division marocaine de montagne. Il a combattu à Monte Cassino, en France et en Allemagne pour libérer notre pays et l’Europe.

Ma fille effectuait « une relève sur position » comme on dit dans l’armée de terre, en devenant cet été 2020 élève-officier.

Tournons la page, pour aborder un autre chapitre ! Celui de ma reconversion dans le monde civil.

Dès le mois de septembre, je me suis orienté vers l’innovation technologique, sujet que j’avais déjà abordé comme directeur-adjoint d’Intelligence Campus, pôle d’Innovation de la DRM.

Ce service du premier cercle est le premier à avoir créé en 2015 une entité visant à faciliter et à accélérer le processus d’innovation ouverte.

En effet, détecter, tester et utiliser des technologies et méthodologies nouvelles n’est pas simple et ce, pour plusieurs raisons. Je n’en cite qu’une qui me parait essentielle : la difficulté de mettre en place et de roder les nouveaux outils sans déséquilibrer les chaines de traitement opérationnel de l’information.

J’ai eu à cœur durant toute ma carrière d’explorer de nouvelles pistes, d’éviter les sentiers battus et c’est aujourd’hui en tant que conseiller à la mission Sécurité Défense d’Inria que je m’y emploie.

Qu’est-ce qu’Inria ?

Inria est un institut de recherche 100% public créé à l’initiative du Général de Gaulle en 1967 dans le cadre du « Plan calcul ». Il était destiné à assurer l’autonomie du pays dans les techniques de l’information, et à développer une informatique européenne. A l’époque le nom était IRIA (institut de recherche en informatique et en automatique). IRIA s’installe sur le site de Rocquencourt qui était occupé par le Grand Quartier général des puissances alliées en Europe jusqu’au retrait de de la France du commandement militaire de l’OTAN.

Cet institut d’un genre nouveau est chargé alors de créer un lien entre recherche publique et industrie, et de faire avancer des projets risqués et ambitieux en sciences et technologies du numérique. Cela reste l’ADN de l’institut. Si Internet est devenu l’outil que l’on connaît actuellement, c’est en partie grâce au projet Cyclades, mené dans les années soixante-dix à l’IRIA. C’est en explorant des solutions innovantes pour mettre en réseau des ordinateurs que les chercheurs de l’IRIA ont contribué à la naissance du transfert de données par commutation de paquets : C’est l’internet. IRIA devient Institut National en 1979.

J’invite vos lecteurs à en consulter toute l’histoire qui est passionnante. Nous avons sur le site de Rocquencourt, un musée extraordinaire où sont exposées de très nombreuses « machines ». Certaines sont uniques dans l’histoire de l’informatique.

Pour quelles raisons avez-vous souhaité travailler avec Inria ?

Pour apporter ma connaissance des besoins opérationnels à la mission Sécurité Défense d’Inria qui venait tout juste de se créer en mars 2020. J’ai été séduit par la volonté d’Inria de rapprocher chercheurs et opérationnels mais aussi industriels de toute taille. J’ai tout de suite accepté la proposition de Frédérique Segond, de rejoindre son équipe en tant que conseiller de la mission sécurité défense qu’elle dirige.

J’apprécie tout particulièrement ce mélange des cultures et des milieux : chercheurs, acteurs publics et privés, opérationnels avec le sens du bien commun comme objectif final pour tous.

Le monde change à toute vitesse avec le numérique… Et il faut s’en cesse s’adapter

Sans cesse s’adapter oui. Mais Je ne suis pas sûr que le monde faisait pour autant du surplace avant l’arrivée du numérique : certaines générations ont connu plusieurs régimes politiques, ont assisté à l’émergence de nouveaux moyens de transport, de communications, ont connu une accélération technologique tout aussi vertigineuse.

Le numérique rend-il le monde plus dangereux ? Deux guerres mondiales et tant de tragédies ont jalonné la première moitié du XXème siècle… La révolution numérique parait bien douce en comparaison.

En revanche ce qui est sûr, c’est que le numérique permet l’ubiquité, produit des masses considérables de données qui circulent instantanément. C’est aussi un égalisateur de puissance en termes de confrontation entre états ou avec des entités non-étatiques.

La maitrise de l’information stratégique est donc un enjeu majeur en termes de sécurité et de défense. Elle repose de plus en plus sur la performance des outils numériques utilisés pour collecter les données et en extraire du sens.

Vous parlez d’information stratégique. Pourquoi ne pas utiliser plutôt le terme de renseignement ?

Parce ce terme véhicule des représentations parfois erronées. Je préfère parler d’information stratégique. Cela me semble plus juste. Une information stratégique se définit par son caractère vital pour une organisation. Elle contient en particulier les intentions des acteurs et par conséquent, leur passé et leur avenir.

Il ne s’agit pas de percer les secrets des individus mais d’isoler l’information « utile » pour protéger nos concitoyens, prévenir les actions violentes ou radicales, permettre à nos institutions d’anticiper et de prendre les bonnes décisions. Ces actions sont encadrées par le droit dans notre démocratie.

Quelles sont vos missions au sein d’Inria ?

J’anime un espace de test et d’expérimentation dédié au traitement de l’information stratégique : l’Intel Lab.

Pour ces expérimentations, nous utilisons le principe de la simulation grâce à une application qui réplique les conditions opérationnelles de l’élaboration de l’information stratégique. Cette application s’appuie sur un démonstrateur initialement conçu par un ingénieur de la Direction du Renseignement militaire. Nous avons d’ailleurs noué un partenariat étroit avec ce service du premier cercle pour qui l’innovation technologique dans le domaine du numérique représente un enjeu majeur.

Un véritable écosystème centré sur l’analyse de l’information, se met en place réunissant chercheurs, en sciences du numérique en premier lieu, mais aussi en sciences humaines, industriels et opérationnels de la défense mais aussi, il faut le souligner du Ministère de l’Intérieur.

Vous avez une information à partager avec nous je crois

Oui en effet. Une première expérimentation s’est déroulée début mai 2021 avec succès en partenariat avec d’autres chercheurs en particulier ceux de l’Université Technologique de Compiègne et de l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire.

C’était une première !

J’avais posé les premiers jalons de ce concept de simulation dans un article de la Revue de la Défense Nationale paru en janvier 2020 à l’occasion de la première édition de la Fabrique défense.

Il s’agissait d’un événement tourné vers les jeunes dont l’objectif est de renforcer le lien armées-Nation, et de favoriser l’émergence d’une culture stratégique européenne commune.

Nous tissons des liens avec des universités qui proposent des formations dans le domaine de la sécurité et de la défense, comme le tout nouveau diplôme universitaire de Toulon animé par Franck Bulinge.

A Intel Lab nous mettons les chercheurs et les industriels dans la peau d’analystes de niveau stratégique en charge du suivi d’une crise avec ces différentes composantes : diplomatique, militaire, cyber, ou de sécurité intérieure.

La force d’Intel Lab est de permettre aux chercheurs d’imaginer des solutions numériques aux difficultés qu’ils ont rencontrées durant l’expérimentation. C’est une approche vraiment nouvelle !

Je vous invite d’ailleurs Valérie à y participer….

Quel parcours vous a amené à ces missions actuelles ?

Mon parcours a été très varié comme celui de beaucoup d’officiers de l’armée de terre. Je vous propose d’en partager les marqueurs, les moments clefs.

Je suis un ancien élève de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr, filière relations internationales.

Complétée par l’Ecole de Guerre.

J’ai débuté en 1991 comme officier de l’armée de Terre.

De 1999 à 2015, j’ai alterné les postes en Ambassade que ce soit en Géorgie ou au Kazakhstan… et en administration centrale dans des missions d’analyse et de veille stratégique au profit du ministère des Armées.

En 2015, je prends le commandement du Lycée Militaire de Saint-Cyr l’Ecole. En tant que chef de cet établissement scolaire de plus de 800 élèves allant de la seconde aux classes préparatoires. Trois années passionnantes, très riches sur le plan humain. Nos missions sont magnifiques telles que l’aide à la famille et l’aide au recrutement. Nous offrons un internat de longue durée aux enfants des familles de militaires et de fonctionnaires soumis à une très forte mobilité professionnelle (Opérations extérieures, postes à l’étranger, mutations fréquentes) mais aussi à des élèves boursiers.

Nos élèves de classes préparatoires bénéficient de l’internat et d’un enseignement de grande qualité sans bourse délier. Ils ne rembourseront les frais de leur scolarité que s’ils décident de ne pas servir l’état. Cela permet à des jeunes appartenant à des familles modestes de faire des études. Je suis passé par là moi aussi. C’était à Aix-en-Provence au sein de la corniche Lyautey. Je suis très reconnaissant à l’institution militaire pour tout cela.

A ce poste, je participe à la création du premier BTS Cyberdéfense de France. La 1ère promo date de 2017. Depuis, ce BTS attire de plus en plus d’étudiants, la formation est très recherchée. Une réussite.
J’en touche un mot pour les jeunes que cela peut intéresser.

En 2021, ce BTS Systèmes Numériques – Informatique et Réseaux, option Cyberdéfense oriente les diplômés vers des postes de cadres au sein du ministère des Armées : sous-officier de l’Armée de Terre spécialisé dans la filière cyberdéfense, spécialiste de haut niveau au sein des services du ministère des Armées.

Et en 2018, je quitte ce poste pour l’innovation voilà je reviens aux propos de notre début d’entretien (sourire).

Tout cela est très sérieux. Pour autant, d’autres sujets vous intéressent

J’ai été attiré par la culture des pays dans lesquels j’ai travaillé, plus particulièrement dans le Caucase ou en Asie centrale où j’ai pu partager par exemple ma passion pour le cheval.

Par ailleurs, je suis artiste-peintre. J’ai organisé une vingtaine d’expositions de peintures figuratives en France et à l’étranger. J’ai mis au point une technique de collage. Il m’a fallu plus de 10 ans pour trouver la solution mais j’en suis plutôt fier. Comment cela fonctionne ? Je ne vous le dirai pas : c’est une information stratégique… (sourire)

Je partage mon temps entre Paris et la région grenobloise dont je suis originaire, Saint-Marcellin plus précisément (oui la patrie du célèbre fromage). Il m’arrive aussi d’intervenir dans des conférences ou d’animer des séquences de sensibilisation à la captation des signaux faibles, précurseurs de crises ou d’opportunités pour des entreprises.

J’accorde à présent plus de temps à ma famille. J’ai 5 enfants : dont quatre sont encore au lycée, à l’école, ou dans l’enseignement supérieur. Nous avons un enfant porteur de trisomie 21. Cela n’est pas toujours facile – surtout pour lui – mais il apporte à tous la joie de vivre et le témoignage de la fragilité. Je veux rendre hommage à mon épouse, mes enfants, ma famille pour m’avoir suivi et soutenu partout où mes missions m’ont conduit. Je conseille aux plus jeunes de toujours conserver cet équilibre entre vie de famille et vie professionnelle.

Comment vous définir en deux mots ?

J’accorde beaucoup d’importance à la notion d’engagement mais aussi à l’intuition, à la spontanéité.

L’engagement et l’intuition sont le moteur de toute création.

Si vous aviez une recommandation à formuler, quelle serait-elle ?

Evitons de nous laisser submerger par le flux d’informations qui s’échappe à grands flots des smartphones et autres « machines » numériques. On finit par ne plus entendre les signaux faibles précurseurs de crise ou d’opportunité, le murmure du monde et de la vie. La vraie. Pas l’image ou le son collectés et transmis par des O et des 1.

La vie est une aventure, toujours. Il faut la vivre fort sans calcul, ni regret quelles que puissent être les circonstances.

Miss Konfidentielle partage avec vous des souvenirs qui tiennent à coeur Thierry Assonion.


Note importante

Il est obligatoire d’obtenir l’autorisation écrite de Thierry Assonion avant 1/ de reproduire tout ou partie de l’interview sur un autre support  2/ d’utiliser une ou des photos publiées dans l’interview. Les photos sont légendées et toutes portent le Copyright © Thierry Assonion

1 commentaire
  1. Daniel K. dit

    Cette nouvelle interview de MISS KONFIDENTIELLE toujours aussi exclusive, me fait découvrir les parcours professionnels de Thierry ASSONION mais également l’INRIA que je ne connaissais pas.
    J’ai apprécié l’ engagement de cet homme au service de la collectivité militaire.
    Pour avoir connu également une carrière militaire, mais en Gendarmerie, le côté famille passe parfois au second plan, je lui souhaite de pouvoir aujourd’hui en profiter au maximum.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.