Interview à l’IGPN de Brigitte JULLIEN, cheffe et Lucile ROLLAND, cheffe adjointe

Le 25 mai 2022 – Parce qu’un meilleur fonctionnement de l’institution policière est un meilleur service rendu à la population, j’ai contacté Brigitte JULLIEN, cheffe de l’IGPN et Lucile ROLLAND, cheffe-adjointe de l’IGPN afin de les rencontrer et mieux comprendre.

Ce que je savais en arrivant à l’entretien ? A vrai dire peu de choses.
L’inspection générale de la police nationale est une des huit directions actives de la police nationale. Elle a été créée en 1969. La réforme de l’Inspection en 2013 a permis de rassembler l’IGS (Inspection générale des services) de la Préfecture de police et l’IGPN de la DGPN (Direction générale de la police nationale), en un seul service pour l’ensemble des personnels de la police nationale. C’est un service spécialisé d’enquêtes, d’audit et de conseil. Elle n’est pas une autorité de sanction. Dans le cadre des affaires judiciaires, les agents de l’IGPN enquêtent en toute indépendance sous l’autorité des magistrats.

L’accueil chaleureux de Brigitte JULLIEN et Lucile ROLLAND met en confiance et permet des échanges fluides et sereins. Nous posons les jalons, c’est parti !

Tout commence avec les « Meufs Keufs »

Brigitte JULLIEN fait partie des pionnières du réseau féminin Police « Meufs Keufs » en 2002.

« Cela s’est rapidement su parmi les hommes qui se sont inquiétés et nous toutes avons eu depuis des belles carrières. Nous avions le côté entraide professionnelle et personnelle » dit-elle.

« Comme s’épauler lorsqu’un parent entre en Ehpad » précise Lucile ROLLAND et qui ajoute « On n’attendait rien les unes des autres, c’était naturel. Cela nous a permis d’être fortes chacune en étant toutes sur la même longueur d’ondes. Les informations ne sortaient pas du cercle des filles avec des échanges de rigolades assez sérieux. Le métier de commissaire est un métier où l’on est vraiment tout seul et lorsque l’on a des copines cela permet de ne pas se sentir seules, de s’entraider. »

Brigitte JULLIEN se souvient « J’étais à Grenoble et je venais à Paris pour nos réunions autour d’un repas chaque mois avec des dates arrêtées, nous étions plus ou moins nombreuses en fonction des dates. Nous n’avons d’ailleurs pas toujours choisi les bons restos ! (sourire) Aujourd’hui nous sommes trois en activité, les autres copines sont à la retraite. On se réunit toutes les six semaines. En janvier 2023, nous fêterons nos 20 ans de réseau ! »

Le réseau Meufs Keufs a créé et renforcé des liens d’amitié et professionnel. C’est ainsi, que Brigitte JULLIEN a proposé en 2021 à Lucile ROLLAND de la seconder à l’IGPN. Toutes deux ont des profils complémentaires. La sécurité publique pour Brigitte JULLIEN et le renseignement pour Lucile ROLLAND.

Brigitte JULLIEN et Isabelle TOMATIS au match de football Autriche-Hongrie à Bordeaux le 14 juin 2016, Sécurité publique (SP) © Brigitte JULLIEN

Naissance du duo féminin à la tête de l’IGPN

« Nous sommes le seul duo féminin à la tête d’un service au ministère de l’Intérieur » commence Brigitte JULLIEN.

« En 2011, Lorsque j’étais à Grenoble, on avait refusé que deux femmes soient à la tête de la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP).
C’était il y a seulement 10 ans ! Cela évolue doucement et pour autant de nombreux hommes ne se font pas encore à l’idée que les femmes puissent être aussi compétentes qu’eux, voire plus compétentes » précise Brigitte JULLIEN.

« Nous avons la même conception du travail et la même propension à rire plutôt que de pleurer sinon on ne s’en sortirait pas » explique Lucile ROLLAND.
« On a un métier très difficile, il est important de conserver de la hauteur. Vous savez, il est déjà difficile pour les policiers de voir des difficultés dans la rue, alors pour les équipes de l’IGPN, voir des policiers en difficulté est encore plus marquant » complète Brigitte JULLIEN.

Le mouvement des gilets jaunes

« L’Inspection est fortement critiquée depuis les gilets jaunes. Nous avons été saisis sur des faits qui allaient des yeux crevés, des mains arrachées… aux yeux qui piquent à cause d’une grenade lacrymogène. Il est important de savoir que la grande majorité des affaires ne comportait pas les éléments constitutifs d’infractions et était classée par le parquet.

Mais les images des manifestations sont restées ancrées dans la mémoire de la population et l’Inspection a du mal à s’en défaire. On essaie de faire beaucoup de pédagogie, on prend le temps d’expliquer nos missions et cela se calme mais on n’est pas à l’abri d’un retour. Cela demande de la vigilance et d’avancer.

Derrière les 4 lettres IGPN, il y a des hommes et des femmes qui travaillent tous les jours. Il ne faut pas l’oublier. Ils ont été meurtris et le sont encore aujourd’hui par des insultes reçues.
C’est parce que nous sommes à l’Inspection que nous nous devons d’être très exigeants avec nous- mêmes. C’est être soupçonnés de parti pris qui est insupportable. Lorsque l’on décide de venir travailler à l’Inspection c’est justement parce que l’on a des exigences vis-à-vis des policiers.

Les années 2020 et 2021 ont été très difficiles.
On se concerte beaucoup à l’Inspection avant de prendre des décisions pour être objectif. Nous avons des experts pour tout ce qui est juridique, audit, déontologie …
La cheffe de l’IGPN est responsable de la déontologie de tous les policiers de France. Vous comprenez qu’ici on passe notre temps à réfléchir avant d’agir. Au point de couper les cheveux en quatre.

Pour le directeur général de la police nationale, nous sommes également toutes deux conseillères. Notamment sur les sujets de réformes législatives, les médias …

Lucile et moi ne faisons jamais rejaillir le stress sur nos collaborateurs. Même très contrariées, nous restons calmes. En termes de management, quand on travaille dans la sérénité et la bienveillance, cela fonctionne plutôt pas mal.
Si l’une n’est pas là, l’autre gère en toute confiance car nous avons la même compétence des dossiers et les mêmes traits de caractère. Après nous avons des sujets qui nous attirent quelquefois différemment. C’est normal. Alors on se pose la question : C’est toi ou moi qui gère le dossier ? D’ailleurs Lucile vient d’être nommée vice-présidente de l’EPAC/EACN » explique Brigitte JULLIEN.

Lucile ROLLAND complète en disant «EPAC/EACN signifie European Partners Against Corruption / European Contact-point Network against Corruption. J’ai un programme de travail auprès du président Žydrūnas Bartkus sur la stratégie et les futures thématiques de réflexion du réseau européen des services anticorruption et des inspections des forces de sécurité. »

Les médias

Brigitte JULLIEN vient sur le sujet de la compréhension de l’IGPN des médias.

« Le fonctionnement de l’Inspection n’est pas toujours bien compris par les journalistes ce qui crée des défauts de langage puis d’interprétation de la population. C’est dommage dit-elle.

L’expression la police des polices en évoquant l’Inspection n’est pas toujours bien utilisée. En réalité la police des polices c’est 50% des activités ce qui correspond à la moitié de l’effectif. »

Afin d’aller plus loin, Lucile ROLLAND développe le sujet. Cette activité-là, ce sont les enquêtes sur les policiers qui commettent des infractions (délits ou crimes) en mission ou en utilisant les moyens de la police : nous agissons alors comme un service de police judiciaire, sous l’autorité exclusive des magistrats (procureurs ou juges d’instruction). Mais ce sont aussi les enquêtes dites administratives pré-disciplinaires sur des policiers qui commettent des manquements aux obligations qui nous incombent et notamment au code de déontologie de la police nationale. Dans ce cas-là, nous représentons l’autorité hiérarchique dont le premier devoir est de réagir lorsqu’elle soupçonne un manquement de la part d’un de ses agents, de déterminer s’il existe et de proposer une sanction.

Mais nous, IGPN, n’avons aucun pouvoir de sanction, et dans toute cette procédure administrative, nous fonctionnons exactement comme les autres inspections, quel que soit leur ministère.

Le problème est qu’on confond souvent les choses : on nous reproche de faire la police en interne donc de dépendre du pouvoir hiérarchique du DGPN et du ministre. C’est vrai en administratif, mais une fois de plus, c’est le lot de toutes les autres inspections qui dépendent toutes de leur ministre de tutelle, et c’est complètement normal puisqu’il s’agit pour l’employeur de s’assurer que ses agents se comportent dignement et honnêtement. En judiciaire, seuls les gendarmes et nous sommes officiers de police judiciaire donc à même de mener des enquêtes judiciaires : le choix est donc assez limité, et je rappelle que nous sommes saisis par des magistrats et travaillons sous leur contrôle et leur autorité. Dire que nous ne sommes pas indépendants en judiciaire, c’est sous-entendre que les magistrats ne le sont pas non plus.

L’autre moitié de nos effectifs travaille à l’amélioration du fonctionnement des services de police : nous faisons des évaluations, des inspections, du conseil juridique, de l’appui managérial, de la maîtrise des risques et de l’audit interne.

Deux sujets d’actualité.

Nous avons organisé le jeudi 28 avril 2022 une première séance de sensibilisation à l’enquête administrative pré-disciplinaire (EAPD) et au régime juridique sur l’usage des armes à destination des journalistes au sein de l’IGPN.
Des journalistes de France 2, CNews, BFM TV, Libération, Europe 1, France Inter … et l’AFP étaient présents. Les retours sont positifs et cela nous invite à organiser une seconde séance.

IGPN Sensibilisation des journalistes à l’enquête administrative avec Brigitte JULLIEN, Lucile ROLLAND et animée par David CHANTREUX © Christophe SOULLEZ

Nous organisons également des formations en synergie avec des inspections d’autres ministères afin d’enrichir nos connaissances. »

Le souhait de faire passer un message

Brigitte JULLIEN s’exprime avec force et conviction « L’IGPN est attaquée depuis bien longtemps vous savez. La première affaire marquante qui a fait couler de l’encre est l’Affaire Marcel Petiot.

Ce qu’il faut savoir c’est que l’on a chez nous des passionnés par leur métier.
On sait ce que c’est de gérer des policiers, des êtres humains avec des souffrances et des ego.
C’est passionnant et usant aussi car l’enquêteur lui-même peut être en souffrance et ne pas voir la souffrance d’un policier de son service.

On fait beaucoup d’enquêtes post-suicides depuis 2019, on en est déjà à 25 et on est très inquiet pour cette année. Les enquêteurs se déplacent deux mois environ après le décès du policier pour comprendre ce qui s’est passé. Il y a une recherche d’imputabilité. Le plus souvent, ce sont les problèmes privés plus la difficulté d’être policier qui poussent au suicide. On retrace toute l’histoire du policier, ce que ne fait pas l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Et même s’il n’y a pas imputabilité au service, on lance des pistes de modifications de fonctionnement pour éviter de tels drames.

On ne peut pas être propre et efficace lorsque l’on est en souffrance. »

Le sport, source d’équilibre mental et physique

Brigitte JULLIEN est présidente de la Fédération Sportive de la Police Nationale.

La FSPN créée en 1947 s’appuie sur 30 policiers mis à sa disposition répartis en métropole, au sein de son siège fédéral et de 8 ligues.
Ces 30 policiers ont en charge l’animation sportive de leur ressort et organisent l’ensemble des manifestations sportives nationales et locales. Ces rendez-vous sportifs s’adressent à près de 25 000 licenciés, dont 15% de femmes, issus de plus de 475 associations sportives implantées au sein des services.

« Ces dernières années, on se recentre sur l’état physique du policier en organisant des courses à pied, des séances de Laser Run … et sur la convivialité. Je crois beaucoup en ces valeurs.
Les JO 2024 vont nous permettre d’organiser des événements sportifs qui vont, je l’espère, s’ouvrir sur l’extérieur.
D’ici les Jeux Olympiques en France, on a le projet de refaire une course relais cette année dans le parc zoologique du bois de Vincennes. On avait fait l’expérience en 2019, on s’était beaucoup amusé, une très belle journée. On courait et les animaux nous regardaient (rire) » se souvient Brigitte JULLIEN.

Un remerciement appuyé à toutes deux pour cet entretien éclairant.
Un souhait ? Celui que les journalistes viennent à vous, à la source, pour participer à la transmission de la bonne/vraie information auprès de la population.
Un second souhait ? La participation des policiers à vos événements sportifs de la FSPN.
La convivialité et le sport sont deux outils pertinents pour l’équilibre psychologique et physique. Hâte de connaître la date de la prochaine course relais sous les yeux intrigués des animaux du zoo de Vincennes ! Je serai ravie d’être spectatrice (sourire)

Le petit musée de l’IGPN © Valérie Desforges

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