Interview de Bernard PÊCHEUR, Président du Comité d’éthique de la Défense

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Le 12 juin 2023 – Le Comité d’éthique de la défense installé le 10 janvier 2020 par Madame Florence PARLY, ministre des Armées, et placé sous la présidence de Monsieur Bernard PÊCHEUR président de section honoraire au Conseil d’État, est l’objet de ma visite à Balard le lundi 05 juin 2023. Une date importante pour l’Ecole de l’aviation de chasse puisque le président Bernard PÊCHEUR et le lieutenant-colonel Thibault RICCI, commandant l’École de l’aviation de chasse officialisaient un partenariat entre le Comedef et l’EAC par la signature d’une convention de partenariat.

La présentation des travaux des stagiaires-rédacteurs s’est tenue ensuite, présidée par Monsieur Bernard PÊCHEUR et coordonnée par le lieutenant-colonel Thibault RICCI et le colonel Thierry KESSLER-RACHEL, commandant la base aérienne 709 de Cognac. Un remerciement appuyé pour les travaux exposés par les trois groupes de réflexion et la haute qualité d’éloquence des pilotes de chasse. Puis est venu le moment de m’entretenir avec Monsieur Bernard PÊCHEUR pour une interview informelle très sympathique et imprégnée de valeurs que je qualifie de très belles.

Balard, le 10 juin 2021 – Colonel Thierry KESSLER-RACHEL, Lieutenant-colonel Thibault RICCI, Monsieur Bernard PÊCHEUR, Aspirant Benjamin DEPAGNE, des Elèves de l’École d’Aviation de Chasse présents lors de la signature de la convention de partenariat entre le Comedef et l’EAC © Jean-Luc BRUNET/AAE

Monsieur,
Vous savez que j’attache une importance certaine aux racines, à nos fondations.
Les vôtres, quelles sont-elles ?

Je suis né dans une famille modeste. Ma mère était femme de ménage et mon père brigadier de police, tous deux originaires d’un milieu ouvrier de l’Est de la France. Dans ce monde-là, l’État protège, l’État est une garantie de justice. Et donc mon engagement au service de l’État vient de tout cela. Et puis mon engagement aux côtés de nos armées vient également de mes origines géographiques, la Lorraine.

Je suis un enfant boursier et j’ai eu une bourse de service public pour mes études supérieures.
J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont encouragé, stimulé. Ils ont toujours été d’une puissante motivation. Ils n’étaient pas exigeants, ils étaient d’abord reconnaissants de ce que je faisais et c’était très gratifiant. Et j’ai contracté ce faisant une dette morale importante. Mais c’est un cadeau formidable que mes parents m’ont fait.

Avant de poursuivre en 1974-1976 ma scolarité à l’École Nationale d’Administration (ENA), j’ai été appelé le 3 janvier 1973 et pour une année à rejoindre Saint-Cyr Coëtquidan puis l’Ecole d’application d’artillerie et enfin le 40ème régiment d’artillerie en qualité d’officier. J’ai toujours considéré que c’était un devoir civique et que les responsabilités qui m’étaient confiées en qualité d’officier contribuaient aussi à ma formation humaine et professionnelle.

Monsieur Pierre RACINE, ancien cadet de Saumur, directeur à l’ENA, conseiller d’État, nous avait d’ailleurs dit : « Messieurs, vous êtes la première promotion qui n’est pas tenue de faire un service militaire en qualité d’officier mais je considère que vous avez choisi de servir l’État comme futur haut fonctionnaire, l’État est un et donc j’estime que vous devez servir dans les armées en qualité d’officier ». Bien sûr ce discours n’avait pas besoin de me convaincre, j’étais d’ores et déjà convaincu, et d’ailleurs je le reste. Mais le discours de Pierre RACINE avait beaucoup de sens. J’ai beaucoup de considération pour ce directeur.

Votre parcours est « extrêmement mobile ». Comment le définir simplement ? 

J’ai travaillé pendant 5 ans à la direction du Budget au ministère de l’Économie et des Finances et puis il y a eu une alternance politique en 1981. Je ne connaissais pas le ministre qui venait d’être nommé, Monsieur Laurent FABIUS. Je n’étais pas membre du parti socialiste non plus même si j’avais mes propres valeurs, et d’ailleurs je les ai toujours.

Il a voulu s’entourer de collaborateurs de la direction du Budget comme le font la plupart des ministres d’ailleurs et ils ont raison, mieux vaut faire appel à des professionnels du secteur pour les fonctions de conseiller technique. Et j’ai été choisi à ce titre.

J’ai travaillé deux ans auprès de lui alors qu’il était ministre du Budget. Et puis lorsqu’il a été nommé ministre de l’Industrie et de la Recherche, il a souhaité que je le suive et que je devienne le directeur adjoint de son cabinet. Ce que j’ai accepté. Et enfin je l’ai suivi à Matignon comme conseiller social jusqu’en novembre 1985.

J’ai été nommé maître des requêtes au Conseil d’État fin 1985 et dans cette institution j’ai fait une carrière complète, au contentieux comme en section administrative, nommé Conseiller d’Etat en 1997, président adjoint en 2008, en enfin président de section en 2012, de la section de l’administration.

Comme il est plutôt la règle au Conseil d’État, j’ai été détaché à plusieurs reprises. Tout d’abord auprès du Président de la République François MITTERRAND pendant un an et demi comme conseiller social puis dans l’administration active comme Directeur général de l’Administration et de la Fonction Publique (DGAFP) en 1989, fonction que j’ai assumée pendant cinq ans.

Je suis rentré ensuite au Conseil d’État, et j’en suis ressorti en 2000 pour créer la fonction de Secrétaire général du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie à la demande du nouveau ministre Laurent FABIUS, pour piloter les projets de modernisation du ministère, notamment ceux portés par la direction générale des impôts et par la direction générale de la comptabilité publique et ensuite j’ai réintégré le Conseil d’État. Cette mobilité professionnelle a été une vraie chance, elle m’a permis de découvrir et de travailler avec des gens formidables.

Parallèlement à mes activités principales, j’ai accepté de présider le Conseil d’administration de l’École nationale supérieure de la police, ENSP de Saint-Cyr-Au-Mont-d’Or, l’école des commissaires de police. Pour moi, c’était notamment une manière de rendre hommage à mon père et cela a été une belle expérience de 12 années de 1998 à 2010, sous plusieurs ministres.

Comment expliquer le parcours aux armées ?

Ce qui explique que je suis là aujourd’hui c’est que les questions de défense m’ont toujours paru essentielles. La section de l’administration du Conseil d’État que j’ai présidée était compétente sur les questions militaires; auparavant j’avais été membre de la commission du Livre blanc de 2008. Je présidais un des groupes de travail sur les Ressources humaines de la défense et de la sécurité nationale. Cela impliquait police, gendarmerie et forces armées.
C’était un moment passionnant qui m’a donné aussi l’occasion de travailler à l’époque avec de multiples parties prenantes du domaine, et de rendre compte avec les autres présidents de groupes autour du président de cette Commission qui était mon collègue Jean-Claude MALLET au Président de la République Nicolas SARKOZY.

Et puis j’ai été nommé en 2010 vice-président du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM), puis président en 2014.
Une institution créée par la loi du 24 mars 2005 portant statut général des militaires qui a vocation à donner des avis et des appréciations au Président de la République, chef des armées et au Parlement sur la situation matérielle et morale des militaires et qui vous met de plein pied en contact avec la la vie des unités et la réalité des opérations. Dans le même temps j’ai remis au Président de la République, à sa demande, un rapport sur les associations professionnelles de militaires (APNM) qui a trouvé sa traduction dans la loi actualisant la programmation militaire du 28 juillet 2015.

Photo souvenir de Monsieur Bernard PECHEUR en OPEX au Nord du Mali (Afrique) © Bernard Pêcheur

Après que j’ai quitté le service actif du Conseil d’État, même si on ne quitte jamais vraiment le Conseil d’État, car on continue d’assumer des missions pour le compte de celui-ci, Madame Florence PARLY dont j’avais été le collaborateur à Bercy lorsqu’elle était Secrétaire d’État a eu l’idée à laquelle j’ai tout de suite adhéré de mettre en place le Comité d’éthique de la défense.
Une création assez originale car il n’y a pas d’équivalent dans d’autres pays. Pas même des pays démocratiques amis et alliés.

Pourquoi un Comité d’éthique de la défense ?

Il ne s’agissait pas de pallier des lacunes, de réparer des fautes, des manquements individuels ou collectifs.

​Nos militaires ont une formation éthique solide, qui fait partie intégrante de leur formation professionnelle. Nos armées ont une grande discipline, par exemple en matière d’ouverture du feu. On l’a vu tant dans les missions de combat en opérations extérieures, que lors des missions Sentinelle sur le territoire national.

Cette éthique est un capital extrêmement précieux sur lequel on peut, on doit prendre appui. Évidemment le monde continue d’évoluer et pas dans le bon sens. Bien sûr la menace terroriste demeure. Mais la paix du monde est aujourd’hui menacée par des puissances étatiques qui ne nous veulent pas du bien. Des puissances désinhibées, totalitaires, qui ont un haut niveau de technologie et qui mettent en péril la paix du monde et la stabilité du monde.

De nouveaux systèmes d’armes sont introduits et sont susceptibles d’être introduits sur nos champs de bataille. On voit l’importance du numérique, de l’intelligence artificielle et des systèmes d’arme létaux dits autonomes.

On voit des innovations qui font parfois frémir. Je pense à l’introduction de biotechnologies, et ce n’est plus de la science-fiction, en vue d’augmenter les capacités physiques, perceptives, cognitives des militaires.

De nouveaux espaces de conflit sont ouverts, l’espace exo-atmosphérique, les grands fonds marins et le cyber. Ce sont des mondes complètement ouverts et le cas échéant violents, qui peuvent paralyser un pays. A titre d’exemple, On a vu la première grande attaque cyber en Estonie. Tous les principaux services étaient bloqués pendant une vingtaine de jours, on l’avait relevé dans le cadre du Livre blanc en 2008. Egalement des nouvelles conflictualités qui brouillent les frontières entre les militaires et les civils parce que leurs acteurs peuvent être des civils, des groupes d’activistes, des entreprises, des mercenaires.

Pour affronter et surmonter les nouveaux dilemmes éthiques, il nous faut prendre appui sur le socle des valeurs et des traditions de nos armées qui sont transmises dans les écoles, sur le droit international auquel la France a souscrit et sur les principes constitutionnels de la Républiques et les exigences de notre droit interne.

Je souhaite revenir sur l’importance des biotechnologies. Le premier avis que nous a demandé Madame la ministre Florence PARLY portait sur le « soldat augmenté ». Le deuxième avis portait sur les « systèmes d’armes létaux intégrant de l’autonomie ». Un troisième avis sur « l’environnement numérique des combattants ». Le quatrième avis pour faire le lien avec ce que nous connaissons de la pratique militaire et la transmission dans les écoles, portait sur « l’éthique dans la formation des militaires ». Le cinquième portait sur l’éthique de la défense spatiale.

Nous travaillons aujourd’hui sur l’élaboration d’un avis portant sur « les civils et les opérations militaires ».

Votre carrière est riche. Laissez-vous la place aux loisirs ?

Je pratique des sports. J’ai toujours été sportif, c’est une nécessité.
J’ai fait des compétitions d’athlétisme lorsque j’étais jeune. Aujourd’hui je nage 500 à 600 mètres de crawl tous les jours et je pratique le vélo en été. J’ai 72 ans, c’est une façon de me maintenir en forme.

Sur le plan culturel, j’ai une prédilection particulière pour l’histoire.

Et puis j’ai eu longtemps un jardin secret qui n’est plus tellement secret aujourd’hui parce qu’il a fallu que je fasse mon coming out. Je peins et j’ai même exposé sans l’avoir souhaité.

Je peins depuis 1978 de l’expressionnisme abstrait. Je n’ai jamais eu de formation en la matière et j’ai toujours peint pour moi, pour mon plaisir.

Votre peinture vous a-t-elle suivie ?

J’ai toujours été accompagné dans mes bureaux par des tableaux.

A Matignon, cela n’était pas possible parce que le mobilier est issu du Mobilier national. En revanche, au Conseil d’État, j’avais pu accrocher mes toiles quand j’étais président de section. Un certain nombre de collègues ignoraient leur provenance et me faisaient l’honneur de penser qu’elles étaient issues du Fonds National d’Art Contemporain; mais j’avais un collègue du Conseil d’État qui est malheureusement décédé depuis, Pierre CHAUBON, qui lui savait que je peignais et qui me disait « Il faut absolument que tu exposes. Tes toiles sont très bien ».

Pierre a beaucoup insisté et donc finalement quelques mois avant de quitter mes fonctions, il me dit « Je connais une femme peintre, Antoinette NICOLINI, qui est très bien et qui te dira ce que vaut ta peinture. Donne-moi une clef USB avec des photos de toiles ». Une semaine plus tard, il me dit que sa galeriste souhaite m’exposer. Je lui réponds « Qu’à cela ne tienne, dinons avec la galeriste ». On dine ensemble avec Pierre en février, elle me dit « Je souhaite vous exposer en mai pendant 15 jours dans ma galerie du Marais, Place des Vosges à Paris ».

J’avais des toiles en quantité suffisante et j’en donnais à des amis mais je ne vendais pas, ce n’était pas mon objectif. Il y a eu un effort à faire parce que : Exposer, c’est s’exposer. Et il y avait une forme de coming out parce que Laurent FABIUS ne savait pas que je peignais, le président du Conseil d’État ne savait pas que je peignais et ils ont découvert cela. C’était assez amusant comme expérience. Et puis j’ai vendu, un signe que ma peinture pouvait intéresser au-delà du cercle de mes proches amis.

Depuis j’expose au Japon. Tous les ans, j’expose au National Art Center, Tokyo. Cette manifestation est organisée par la Japan International Art Society/Club des amis de l’Europe et des arts, une association d’art qui fait appel à moi ainsi qu’à d’autres peintres français.

Un remerciement appuyé pour votre confiance et le moment partagé ce matin à Balard. 
Je souhaite une pleine réussite au Comité d’éthique de la défense.

A bientôt qui sait au vernissage de votre prochaine exposition de tableaux !


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