Au lendemain des émeutes urbaines en France, entretien avec Marie Lawrysz, Procureure de la République près le Tribunal judiciaire de Compiègne (Oise)

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Un remerciement appuyé à Marie Lawrysz, Procureure de la République près le Tribunal judiciaire de Compiègne pour son invitation à mon immersion au sein du parquet du Tribunal le mardi 4 juillet 2023. Un apprentissage, des entretiens animés et passionnants avec les équipes, l’occasion aussi de dresser un point de situation faisant suite aux récentes émeutes urbaines sur le département de l’Oise (60).

Rappelez-vous, j’avais publié le 13 avril 2022 une interview complète de Marie Lawrysz, puis le 18 août 2022 une Tribune de Marie Lawrysz sur ses actions menées en matière de stupéfiants et de violences intrafamiliales.

Quel est le métier de Procureur ?

« Le procureur est avant tout un magistrat. Il fait partie du même corps que ses collègues, juges (même recrutement, même formation à l’Ecole nationale de la magistrature, même serment, mêmes droits et obligations). Mais en tant que magistrat du parquet, le procureur de la République n’est pas une autorité de jugement. Il est une autorité de poursuite, chargée de l’action publique, c’est-à-dire qu’il apprécie si, à l’issue d’une enquête par exemple, l’auteur d’une infraction doit être jugé devant le Tribunal judiciaire, ou s’il convient de privilégier une autre réponse ou de classer sans suite la procédure, car finalement, l’infraction reprochée n’apparait pas caractérisée.
Le procureur de la République, a pour mission la défense de l’intérêt public devant toutes les juridictions de l’ordre judiciaire. Il a donc des missions dans de nombreux domaines, lesquels relèvent du pénal, du civil (adoption, changement de nom…), du commercial (liquidation judiciaire d’une société). Il endosse également des missions administratives (contrôle des établissements pénitentiaires, surveillance des officiers publics ministériels comme les notaires ou les huissiers…).

Le procureur a une double casquette que l’on peut résumer ainsi :
1/ La casquette de la répression, de l’action publique, qui est la mieux connue.
2/ La seconde casquette que l’on connait moins est celle de la prévention.
Lire la suite… » Marie Lawrysz.

Bonjour Marie,

Je vous invite à une interview factuelle, un exercice qui n’est pas aisé mais pour autant qui permet la clarté de l’information. 

Question 1 – Quel état de la Justice à Compiègne au regard des récentes émeutes urbaines ?

Action/Réaction.

Dès la 1ère nuit de violences urbaines, d’émeutes rencontrées sur le territoire national, et notamment à Compiègne, nous nous sommes organisés au parquet alors que nous ne sommes actuellement que 3 parquetiers puisqu’un collègue est en congé. Nous avons décidé de dédoubler la permanence en cas d’interpellations afin de pouvoir assurer tant le suivi des enquêtes que les les défèrements éventuels des auteurs d’infractions en vue des audiences de comparutions immédiates.

Cette organisation s’est faite de manière simple. Il a fallu désigner la substitut de permanence qui était Camille Colpaert, et je suis arrivée en second rideau pour gérer le volet de rédaction des synthèses, des rapports destinés à ma supérieure hiérarchique, la Procureure générale près la cour d’appel d’Amiens Madame Brigitte Lamy, ainsi que la communication. Une fois le parquet organisé, il a fallu mettre en place les audiences éventuellement exceptionnelles qui devaient avoir lieu pour pouvoir juger rapidement les auteurs présumés de ces faits. Madame Nadine Duboscq, présidente du Tribunal judiciaire de Compiègne s’est tout de suite rendue disponible pour présider les audiences de comparutions immédiates le cas échéant.

Nous avons connu les 4 épisodes de violences urbaines en zone police principalement mais également en zone gendarmerie. La volumétrie a été forte.

En zone police – Beaucoup de dégradations de magasins, d’incendies de véhicules, d’engins de chantier, de poubelles, de palettes de bois, et notamment de concessions automobiles, ont marqué cette période, au sein du quartier du Clos-des-Roses, mais également sur d’autres secteurs. Et puis les forces de l’ordre ont été les cibles de violences, visées par des tirs de mortiers d’artifice.

A Compiègne, la police municipale est venue en renfort du commissariat de la Police, à l’instar de la compagnie de gendarmerie de Compiègne, et de policiers affectés au sein de circonscriptions extérieures comme le commissariat de Lens.

En zone gendarmerie – Des dégradations ont été commises sur la commune de Noyon (60), notamment au sein du quartier du Mont-Saint-Siméon, mais aussi à proximité immédiate d’établissements scolaires. De nombreux incendies et des tirs de mortiers ont émaillé ces quatre nuits.

Le PSIG, peloton de surveillance et d’intervention de la Gendarmerie, est venu également en appui et en soutien du commissariat de Compiègne.

La violence urbaine la plus choquante.

La 1ère nuit, le commissariat de Compiègne a été attaqué aux tirs de mortier et aux cocktails Molotov, les policiers se sont vus visés par des pavés. Nous avons tous été particulièrement choqués au parquet, même si la surprise n’était pas telle, puisque nous avions déjà connu à Compiègne beaucoup d’épisodes de violences urbaines notamment fin 2020 et toute l’année 2021, générées et c’est mon analyse, par la lutte menée contre les trafics de stupéfiants. La configuration de ces quatre derniers jours était néanmoins différente.

Les émeutes urbaines que nous venons de vivre, au-delà du fait qu’elles étaient liées à une affaire judiciaire en cours avec le décès de Nahel à Nanterre (92), ont révélé un climat différent. C’est mon ressenti, issu des échanges avec les policiers et gendarmes qui étaient sur le terrain toutes les nuits, une certaine forme d’inquiétude s’est consolidée au fil des soirées, avec le sentiment au parquet d’être un peu dépassé par les évènements, puisque nous avons tous été surpris par ces exactions, leur violence et leur réitération.

Donc la réaction du Tribunal judiciaire de Compiègne a été très rapide.

Question 2 – Quelles pistes de solutions à apporter ?

Je réponds d’abord que c’est toujours et encore la proximité, la proximité et la proximité.

Et je pense que cette clef est encore à développer pour le Procureur qui doit pleinement occuper sa place au sein de la cité.

Le Procureur incarne l’autorité judiciaire, l’action de la justice et il doit se nourrir des évènements, des préoccupations qui émergent au sein de la cité ne serait-ce que pour être plus éclairé, plus juste et pouvoir adapter sa politique pénale en conséquence.

Un exemple, le rendez-vous de cet après-midi auquel je vous convie de prévention sur la sécurité routière. Les infractions routières représentent un contentieux de masse pour les parquets. Des mesures alternatives aux poursuites peuvent être décidées par les procureurs à l’encontre des auteurs de telles infractions. Cet après-midi la préfecture de l’Oise a mis en place une « Opération carton jaune » en lien avec le parquet de Compiègne afin de proposer aux contrevenants, la réalisation d’un stage de sensibilisation immédiat, sur site, plutôt que le paiement d’amendes.

De même l’équipe du parquet de Compiègne se déplace régulièrement dans les lycées.

Nous avons mené des actions de sensibilisation sur l’usage des stupéfiants, notamment avec le soutien de la MILDECA dont le Directeur est Nicolas Prisse.

A la rentrée prochaine, en octobre, nous allons élargir nos actions de sensibilisation sur l’égalité, le harcèlement et le cyberharcèlement.

Ce sont aussi des rencontres de quartier auxquelles je tente de participer au maximum, lesquelles sont organisées par le maire de Compiègne, Monsieur Philippe Marini et qui regroupent tous les habitants d’un quartier, qui permettent au procureur de représenter l’autorité judiciaire au sein d’instances qui ignorent souvent quelles sont les missions du magistrat du parquet.

De gauche à droite: Philippe Marini maire de Compiègne, Bernard Hellal, maire de Margny-lès-Compiègne, Marie Lawrysz, Pierryck Boulet, commissaire ancien chef de la circonscription de sécurité publique de Compiègne © Marie Lawrysz

De telles actions au sein de la cité permettent au magistrat du parquet, de demeurer en prise directe avec la réalité d’un territoire, d’une classe d’âge.

Quels messages passer aux jeunes.

Cette question est très difficile.

Je dirais aux jeunes qu’il faut toujours avoir confiance en soi et en l’avenir.

Et pour avoir confiance en ses capacités, il faut peut-être dans certains cas être un peu plus soutenu par des personnes d’expérience qui vous aident à franchir les marches une à une.

Il faut avoir des ambitions et non des prétentions. Simplement regarder les choses en face et se demander « Qu’est-ce que j’aimerais faire ? ».

C’est le message que je tente de transmettre aux jeunes lorsque je suis notamment dans les collèges.

Quels messages sur le lien police-justice.

D’abord, nous manquons cruellement d’enquêteurs en police et gendarmerie même si nos enquêteurs sont très bons, ils sont en sous effectifs depuis de trop nombreuses années. Ils ont besoin d’être renforcés, ils sont parfois découragés.

Au commissariat de Compiègne par exemple, les 5 enquêteurs du groupe d’atteintes aux personnes traitent toutes les procédures de violences intrafamiliales, les dossiers de viols, et d’agressions sexuelles. Ces trois contentieux représentent à eux seuls près de 45% de l’activité du parquet de Compiègne

Et à partir de septembre, je vais leur demander encore plus sur le harcèlement scolaire, sur les violences faites aux mineurs.

On constate une désaffection depuis plusieurs années des policiers pour le judiciaire, les jeunes policiers et les gendarmes ont une appétence plus prononcée pour la sécurité publique, la voie publique.

Ensuite, s’agissant du lien police-justice, je pense pouvoir dire que nous avons de très bonnes relations.

A mon arrivée, j’ai mis en place un système de rendez-vous judiciaires hebdomadaires de 2h à 3h qui permet une revue des portefeuilles des procédures avec les enquêteurs du commissariat.
Ce type de rendez-vous a été ensuite développé avec toutes les brigades de la compagnie de gendarmerie de Compiègne.

Cela a ainsi permis de réduire le stock de procédures, et de donner en temps réel des instructions et des orientations, en ayant les dossiers sous les yeux, en échangeant avec le directeur d’enquête. On est ainsi passé de 6000 procédures en 2020 à 1500 procédures en stock au commissariat.

Quels messages sur le lien justice et les élus.

Dès mon arrivée, j’ai souhaité mettre en place des rencontres régulières avec les maires des communautés de communes de l’arrondissement judiciaire de Compiègne (156 maires).

Je rencontre certains élus plus souvent que d’autres, naturellement, mais j’essaie de réserver des temps d’échanges avec les élus des petites communes qui peuvent se sentir désemparés par certains sujets, et ne savent pas vers quel interlocuteur se tourner. Ils ont tous mes coordonnées téléphoniques et j’essaie de leur répondre le plus rapidement possible.

Réunion avec les maires de la communauté de communes du Pays des Sources © Marie Lawrysz

Quels messages aux professionnels impliqués dans la Justice.

A titre personnel, j’ai toujours eu de bonnes relations avec les barreaux avec lesquels j’ai pu travailler dans les différents parquets.

A Compiègne, les relations sont très bonnes.

Et c’est d’ailleurs avec le barreau de Compiègne notamment que l’on organise les actions de prévention sur les stupéfiants dans les collèges.

Dans le cadre de l’organisation des défèrements ces derniers jours lors des émeutes urbaines, là aussi la mise en place d’une permanence pénale des avocats avait été consolidée.

Un tout dernier mot faisant suite à la réunion ce matin avec le garde des Sceaux, Monsieur Eric Dupont-Moretti ?

Je réponds deux mots qui j’ai retenu des échanges de ce matin : Engagement et Espoir.

La réunion a été salutaire je pense. On avait selon moi besoin d’entendre le garde des Sceaux nous adresser des mots simples que j’ai trouvé justes et pertinents.

Cette visio conférence a aussi été l’occasion pour les procureurs généraux et les procureurs de lui faire part de leurs attentes.

Le garde des Sceaux m’a semblé conscient de l’engagement et des difficultés des magistrats, et notamment des parquets. Le budget qu’il a obtenu pour la justice est une première. Il reste encore beaucoup de travail à faire néanmoins, beaucoup de moyens à allouer à notre justice.

Faites-vous référence à la grève des greffiers ?

Nous sommes désormais confrontés à des difficultés parce que certes nous avons été renforcés dans nos effectifs par des futurs attachés de justice mais les greffiers sont indispensables au fonctionnement de notre justice. Ils sont souvent discrets, ils souhaitent aujourd’hui se faire entendre. Les magistrats sont conscients de leur valeur. Vous le constatez aujourd’hui au tribunal, on n’a pas pu fonctionner correctement sans nos greffiers.

 – Conclusion générale de Miss K —

D’abord un remerciement appuyé à Marie Lawrysz et son équipe de faire face aux émeutes urbaines sur le ressort et un remerciement à Marie Lawrysz qui s’emploie à développer le lien justice-population indispensable à l’apaisement et l’épanouissement de la cité. Un bel exemple au ministère de la Justice qui en appelle d’autres que je remercie.

Ensuite un remerciement appuyé aux personnels du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, policiers et gendarmes, le RAID, la BRI et le GIGN en renfort, qui ont fait preuve d’un immense courage en affrontant jours et nuits les émeutes urbaines souvent au péril de leur vie. Soutien et Respect à eux.

Les principes fondamentaux de la République française se traduisent par des droits intangibles, à la fois politiques et sociaux, octroyés à l’ensemble des citoyens sans distinction. L’article 1er de la Constitution proclame que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».


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