Premier épisode de l’interview de Madame Sylvie LE CLECH, Directrice adjointe des Archives diplomatiques du ministère des Affaires étrangères

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16 septembre 2023 – Une chance et un honneur de m’entretenir longuement avec Sylvie LE CLECH. Nous avons traité nombre de sujets passionnants que je vous invite à consulter sans attendre sur le format d’épisodes.

Bonjour madame,
Où sommes-nous aujourd’hui et quelle est l’histoire du bâtiment ?

Nous sommes sur le site de la Courneuve qui est le siège de la Direction des Archives diplomatiques.

Il s’agit d’un bâtiment construit par Henri GAUDIN, un grand nom de l’architecture, inauguré en 2009 par Bernard KOUCHNER, alors ministre des Affaires étrangères. C’est un bâtiment qui est le résultat d’un effort très long de rassemblement de tous les fonds des archives diplomatiques de l’administration centrale. Ces fonds étaient conservés dans les anciens bâtiments du Quai d’Orsay, et également dans plusieurs endroits dans Paris. Ils ont tous été déménagés dans ce très beau bâtiment qui a une capacité de stockage de plus de 100 km linéaires.

Nous disposons à Nantes d’un deuxième site qui accueille les archives de l’état civil des Français nés à l’étranger, les archives historiques des anciens protectorats français du bassin méditerranéen et les
archives des postes diplomatiques.

Au total, un peu plus de 138 km linéaires de documents sont conservés à Nantes et à la Courneuve.

Quel est votre titre et sa signification ?

Je suis Directrice adjointe des Archives diplomatiques.

Aux Archives diplomatiques, comme à la Défense, les directeurs sont tous des hauts fonctionnaires issus du monde professionnel de ces ministères très régaliens. C’est-à-dire qu’au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, le directeur est un diplomate. Les directeurs travaillent en tandem avec un directeur ou d’une directrice appartenant aux corps scientifiques tel que celui des conservateurs du patrimoine. Aux archives diplomatiques, il y a toujours eu des directrices adjointes, c’est le drôle de fruit de l’histoire !

Comment définir vos missions ?

Mes missions en tant que directrice adjointe sont de contribuer à gérer cette direction sur la base d’une stratégie d’action définie collectivement.

Très concrètement, ces fonctions concernent, avec mes équipes, la programmation de l’allocation de moyens budgétaires et humains. C’est une fonction d’administration générale.

Et le directeur me délègue des dossiers qui ont trait au métier puisque je suis conservatrice générale des patrimoines et que je travaille avec des collègues qui sont chefs de départements tous issus de formations scientifique et technique. Je fais le lien entre les demandes qui émaneraient de l’environnement administratif et leur traduction de manière opérationnelle.

Je conseille le directeur sur tout sujet sur lequel il souhaite avoir des conseils. Je suis amenée à le représenter dans un certain nombre de réunions en son absence ou de commissions sur lesquelles il a besoin d’un point de vue scientifique et technique parce que cela concerne les sources d’archives.

Important aussi, et ce qui a été une découverte pour moi en arrivant à ce poste : je suis ce que l’on appelle « officier de sécurité ». C’est à dire que je suis garante des processus interne, je suis le point de contact pour tout ce qui est sécurité physique et électronique des informations.

  • Cela signifie-t-il que vous êtes garante en cas de cyberattaque ?

En cas de cyberattaque, c’est à moi que revient d’actionner la chaîne de sécurité et de riposte, dès lors qu’il y a signalement par un agent d’informations aux collègues qui au niveau du Quai d’Orsay doivent rechercher l’origine de l’attaque, et agir en conséquence.

Donc l’officier de sécurité c’est quelqu’un qui va veiller à la confidentialité des informations, à la protection de ces informations y compris par des mesures de sensibilisation extrêmement concrètes. En particulier, je suis le point de contact et de liaison pour les habilitations « Très secret » défense des différents personnels.

  • Les actualités du centre des Archives diplomatiques : que dire ?

Les actualités sont très liées à la situation de crise mondiale puisque vous savez qu’en Afrique de l’Ouest, la France s’est retrouvée face à différentes crises : le Mali, le Burkina Faso, le Soudan et maintenant le Niger.

Et les crises font que certaines ambassades sont évacuées. Les ressortissants Français sont rapatriés, dans les ambassades il y a des archives, qu’il faut gérer en conséquence. Donc on participe assez régulièrement maintenant à de la gestion de crise. Une gestion de crise que nous avons connue depuis un an en Russie et en Ukraine puisque les théâtres des opérations touchaient le continent européen.

Vous voyez, l’actualité aux archives diplomatiques vit les tensions du monde.

Nous on ne les vit pas du point de vue de la vie humaine mais du point de vue des traces laissées par les hommes et les femmes et on met en œuvre avec les ambassadeurs sur place, les chefs de poste, des plans destinés à mettre de côté les archives à rapatrier en France en cas d’urgence. Ainsi que les archives diplomatiques qui doivent être détruites pour des raisons de sécurité et essentiellement de sécurité des personnes.

Donc beaucoup d’actualités directement liées à la vie du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

Ensuite, on a une autre actualité liée à la collecte des boîtes mails puisqu’on s’est lancé dans des initiatives de collecte d’archivage de données numériques.

Parmi ces archives produites directement sur support électronique, il y a des boîtes mails et celles qui nous intéressent en particulier sont celles des directeurs, des sous-directeurs et des membres de cabinet qui ont un pouvoir décisionnaire. Cette collecte est semi-artisanale que l’on essaie d’industrialiser et on utilise pour archiver ces données numériques l’outil SAPHIR qui est un outil métier que l’on a construit, de la même manière que le ministère de la Défense a construit le sien. Comme le ministère de la Culture a construit le sien. Et on a tous adopté une solution technique qui s’appelle VITAM et qui permet une fois que les données sont archivées dans un système métier de les traiter, d’aller les retrouver et de les communiquer autant que de besoin.

Vous l’avez compris, l’actualité c’est beaucoup l’archivage électronique de documents qui sont très récents.

  • D’autres actualités ?

L’actualité c’est aussi d’être présent sur de nombreux partenariats internationaux qui ont tous pour fondement le désir d’utiliser les archives, en particulier les archives contemporaines.

Avec l’Argentine, le gouvernement argentin a souhaité que l’on numérise un certain nombre de dossiers individuels que nous détenions pour les mettre à disposition des familles qui ont un membre de leur famille qui a disparu pendant la dictature. Et donc ils souhaitent retrouver les traces. On a tout numérisé et ces dossiers ont été transmis à l’Argentine à un institut de recherche placé sous la tutelle du ministère de la justice et de la mémoire. C’est un système tout à fait particulier. Voilà un exemple de partenariat qui est lié à une demande sociale.

On aussi un partenariat avec le Maroc, le Mexique, et en général avec des pays qui autrefois ont eu un bout d’histoire avec la France, qui sont devenus indépendants et souhaitent réutiliser des sources qui sont chez nous pour mieux connaître leur propre histoire et peut-être mieux la confronter avec leurs propres sources.

Tous ces partenariats aboutissent-ils ?

Tous les partenariats n’aboutissent pas. Cela peut être long et il peut y avoir, par exemple, des velléités de partenariats dont on ne sait pas à l’avance sur quoi cela va déboucher.

En réalité, ce que l’on voit, qui est une tendance lourde, c’est que de nombreux pays au monde ont une législation récente des archives. Ces pays ont accédé à l’indépendance, ont eu des coups d’État ou des régimes autoritaires comme la période soviétique où il y a eu une dislocation du bloc soviétique, ou bloc de l’Est, donnant naissance à de nouveaux états.

Ces pays ont dû construire ou reconstruire une législation et en particulier une législation sur leurs archives. Donc ces pays sont assez demandeurs de liens professionnels avec la France.

Pourquoi ? Parce que nous avons une législation archivistique assez ancienne en France qui date de la Révolution et qui a été considérablement modernisée en 1979, 2008, 2016. Et ils se tournent vers nous sur des coopérations de pratique professionnelle. Le fait aussi que des pays souhaitent intégrer l’Europe, pour cela ils intègrent des réseaux européens.
Un exemple ? Tous les ans, nous avons un rassemblement du réseau EUDiA qui est le réseau des archives diplomatiques européennes, mais également des pays candidats qui souhaiteraient un jour rejoindre l’Europe. Et parmi ces pays européens, vous avez des pays qui sont proviennent de l’ex-bloc soviétique. C’est très divers, il y a beaucoup d’échanges. Ce rassemblement est très intéressant.

Revenons aux pays décolonisés.
Longtemps ces pays souhaitaient récupérer les archives papier des administrations coloniales en place que nous avions rapatriées. Maintenant ils souhaitent des numérisations pour pouvoir les exploiter chez eux. On a beaucoup de demandes de ce genre pour faire avec eux des portails.

Pas plus tard qu’au mois d’août, la Directrice des archives du Vietnam qui travaille déjà avec nos collègues des archives nationales d’Outre-mer, est passée par nos collègues du service interministériel des archives de France pour nous transmettre son désir de travailler avec les archives du ministère de la Défense et celles des Affaires étrangères ?

Et puis le président Emmanuel MACRON a constitué par accords internationaux, avec certains pays, des commissions mixtes d’historiens pour réaliser des inventaires de sources et organiser des colloques. Vous en avez une pour l’Algérie que l’on va accueillir à la Courneuve pour des travaux, et une qui a été constituée pour le Cameroun pour étudier l’action de la France entre 1945 et 1971, en particulier la lutte contre les mouvements indépendantistes et d’opposition, avant et après l’indépendance.
Cette commission mixte est faite d‘historiens français et camerounais et elle est présidée par une historienne française, Karine RAMONDY qui coordonne l’action de cette commission mixte de recherche. Nous, on les accueille ici pour qu’ils puissent travailler sur les sources du ministère des Affaires étrangères et écrire pour les deux pays, la France ou le Cameroun, de manière à connaître le rôle et l’engagement des autorités et forces françaises par exemple dans les événements qui ont conduit à l’indépendance du Cameroun.

Toutes ces pistes forment notre actualité.

Les 16 et 17 septembre 2023 se déroulent la 40e édition des Journées européennes du patrimoine. Les centres des archives seront-ils accessibles au grand public ?

Pour les Journées européennes du patrimoine, le cabinet de la ministre a très tôt repéré les archives diplomatiques comme pouvant contribuer d’une manière significative à deux expositions :

Une exposition photo et d’originaux que l’on nous a demandé d’organiser avec la collègue de la Direction de la communication et de la presse, dans la perspective des JO de 2024 sur le thème  du Sport, de l’olympisme et de la diplomatie.
L’exposition d’originaux et de reproductions issus des archives et de la bibliothèque diplomatique complète une exposition existante de l’Elysée. Elle  explique l’importance politique du sport et comment la France dans ses représentations diplomatiques et en administration centrale a abordé la question des relations entre les pays, dans le pays même où se déroulaient des compétitions olympiques.

Quel est le discours, quel est  le narratif de la France à ce moment-là ?
Quels sont les enjeux. Si vous prenez les JO de Munich en 1972, c’est le moment où on s’est dit qu’il faut une coopération internationale dans le domaine du terrorisme. C’est un des actes de naissance du GIGN. À l’initiative de
Christian PROUTEAU et sous la présidence de Valéry GISCARD D’ESTAING.

Il y a une deuxième exposition réalisée par nos collègues de la Direction du numérique pour lesquels ils ont aussi besoin qu’on leur apporte des perspectives historiques puisque l’on a les archives et des objets : c’est « l’art du chiffrement ».

Chiffrer, déchiffrer depuis les temps les plus anciens.

Qu’est-ce que cela veut dire ? A quoi ça sert ? Comment on chiffre et comment on déchiffre.
Il y a même des petits ateliers qui sont proposés pour les jeunes pour leur faire chiffrer et déchiffrer des correspondances.

Toutes les informations et les formulaires d’inscription sont sur diplomatie.gouv.fr

Pour les curieux, l’interview de Sylvie LE CLECH par Miss Konfidentielle pour IDFM Radio !

Conclusion de Sylvie LE CLECH de l’épisode 1

On a le monde à sa porte à la Courneuve. On peut dire la même chose à Nantes.

Si je ne craignais pas la caricature, j’aurais envie de dire que l’on voyage sans quitter son bureau puisque l’on est relié au monde entier. Mais nous voyageons aussi lors de missions d’appui à l’étranger, dans le réseau français des postes diplomatiques et pour les commissions internationales mémorielles où nous représentons le ministère.


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