Conférence du 22 mai 2024 au Conseil d’État « La souveraineté, vue d’ailleurs : regards croisés » 

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Si la souveraineté est une notion fondatrice des États modernes, toutes les nations n’en ont pas la même approche. Qu’est-ce qui différencie la vision française de la souveraineté de celles d’autres pays, même voisins ? Les questions soulevées notamment par les partages de son exercice présentent-elles la même acuité partout ? Comment s’exerce la notion de souveraineté dans des Etats fédéraux ? Quel est le lien entre souveraineté et puissance ou indépendance ? Quel est l’équilibre, dans l’expression du souverain, entre démocratie directe et représentative ?

Un honneur de participer à la cinquième conférence, attachée au débat public. Avec cette dernière conférence, le Conseil d’État concluait le 22 mai 2024 le cycle de conférences sur la souveraineté avec un débat dans lequel les témoignages extérieurs apportaient similitudes, parallèles ou au contraire, différences sur la perception de la notion de souveraineté.

Conseil de lecture avant d’aller plus loin : Ce qu’il faut savoir sur le Conseil d’État 

Ouverture et modération :
Thierry Tuot, Président de la section de l’intérieur du Conseil d’État

Intervenants :
S.E.M. Jan Versteeg, Ambassadeur du Royaume des Pays-Bas en France.
Florence Aubry Girardin, Présidente de la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral suisse.
Aurélien Antoine, Professeur des universités, titulaire de la chaire droit public et politique comparés, directeur de l’Observatoire du Brexit et des relations RU/UE post-Brexit, Faculté de droit – université Jean Monnet de Saint-Étienne.
Prof. Dr. Mattias Wendel, Professeur de droit public, de droit européen et de droit comparé, Université de Leipzig (Allemagne).

Clôture :
Didier-Roland Tabuteau, Vice-président du Conseil d’État.

Présentation de la conférence

L’approche par le droit comparé en apportant des éclairages différents sur la définition et l’exercice de la souveraineté dans les démocraties occidentales permet de mettre en valeur leurs fondements communs tout en faisant ressortir les spécificités propres à chaque nation, fruits de leur histoire, leur tradition juridique, leur organisation institutionnelle ou encore leur culture. La cellule de droit comparé du centre de recherches et de diffusion juridiques du Conseil d’Etat a ainsi analysé les approches de la notion de souveraineté juridique dans dix démocraties occidentales.

La présente note, qui s’inspire directement de cette étude très complète, se limite à traiter des exemples de quatre démocraties européennes : l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suisse.

En Allemagne, la notion de souveraineté n’est pas mentionnée de façon explicite dans la Loi fondamentale. Toutefois, cette notion est reconnue dans la théorie et la pratique juridique nationale dans différents domaines, la souveraineté de l’État allemand découlant du peuple. En raison du fédéralisme qui caractérise l’État allemand, la souveraineté en son sein est partagée non seulement de manière horizontale entre les différents pouvoirs étatiques, mais également de façon verticale à différents niveaux. Par ailleurs, la Loi fondamentale encadre la limitation de la souveraineté à l’échelle internationale et permet sous certaines conditions le transfert de « droits de souveraineté» à des instances supranationales.

Au Royaume des Pays-Bas, la notion de souveraineté interne est absente de la Constitution. Mais il ressort de la pratique constitutionnelle néerlandaise que la souveraineté nationale est exercée par le Parlement, le référendum y demeurant peu pratiqué. Par ailleurs, la participation du Royaume des Pays-Bas à des organisations supranationales est activement promue sans que cela soulève des problématiques particulières liées à la notion de souveraineté.

Au Royaume-Uni, la souveraineté parlementaire est un principe cardinal du droit constitutionnel permettant d’expliquer la plupart des relations entre les pouvoirs publics. Le Parlement britannique est investi de l’autorité suprême d’édicter des lois qui, en l’absence de constitution formelle, sont placées au sommet de la hiérarchie des normes.

L’application de ce principe emporte un certain nombre de conséquences et soulève autant de problématiques. Sur le plan interne, la souveraineté parlementaire prime la souveraineté populaire d’un point de vue juridique. C’est la raison pour laquelle la pratique du référendum demeure largement étrangère au système britannique. En outre, la marge de manœuvre des pouvoirs exécutif et judiciaire est circonscrite par le respect de la souveraineté du Parlement.

Enfin, en Suisse, l’exercice de la souveraineté interne est particulièrement caractérisé par le caractère fédéral de l’État ainsi que par l’importance accordée à la démocratie directe, les cantons et le peuple étant les pouvoirs constituants. En matière de souveraineté externe, malgré le principe de neutralité, la Confédération suisse s’est considérablement ouverte à l’ordre juridique international en rendant possible l’adhésion à des organisations internationales et l’adoption des traités internationaux, ainsi qu’en accordant la primauté au droit international.

1.- La souveraineté interne en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume- Uni et en Suisse

1.1. L’ALLEMAGNE

Le fondement constitutionnel de la souveraineté du peuple

La Loi fondamentale (LF) consacre le principe de la souveraineté du peuple de la République fédérale allemande, en affirmant que « tout pouvoir de l’État émane du peuple »

Par conséquent, les personnes décisionnaires doivent être nommées selon une chaîne légitimée par le Parlement, seul organe directement élu par le peuple. Deuxièmement, la Cour constitutionnelle fédérale estime qu’une légitimation d’ordre matériel est également suffisante. Dans ce cas, il est nécessaire que le contenu de la décision découle de la volonté du peuple en assurant la soumission à la loi des organes devant la concrétiser. Le principe de la réserve de la loi, le contrôle du Gouvernement par le Parlement, ainsi que l’organisation hiérarchique de l’administration soumise au Gouvernement permettent de garantir cette chaîne de légitimation démocratique.

Les modes d’exercice de la souveraineté par le peuple

L’article 20, al. 2 de la Loi fondamentale dispose que « le peuple exerce [le pouvoir d’État] au moyen d’élections et de votes et par des organes spéciaux investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ». Cela signifie que tout exercice du pouvoir étatique doit pouvoir être rattaché au peuple allemand. Ainsi, la Loi fondamentale garantit à tous les citoyens un droit à une participation libre et égale à la légitimation et à l’influence du pouvoir étatique les concernant. La nationalité est la condition juridique de la citoyenneté, qui est le fondement, d’une part, des devoirs et, d’autre part, des droits de citoyen par l’exercice desquels le pouvoir d’État est légitimé dans une démocratie. Les modalités de l’exercice direct de la souveraineté par le peuple sont restreintes : à l’échelle fédérale, la Loi fondamentale ne prévoit qu’un seul dispositif permettant l’organisation d’un référendum et seulement dans le but de procéder à une restructuration du territoire fédéral. Conformément à ce dispositif, tout redécoupage du territoire de la Fédération changeant les frontières des Länder nécessite l’adoption d’une loi fédérale, qui doit être approuvée par les électeurs des Länder concernés à l’occasion d’un référendum.

À l’inverse, les Constitutions des Länder quant à elles prévoient plus largement la possibilité de participation directe du peuple au processus législatif par le biais de référendums : un droit d’initiative populaire permet de les provoquer.

Une souveraineté interne partagée entre l’État fédéral et les Länder

La Loi fondamentale (LF) inscrit dans son article 20, al. 1, que l’État allemand est un État fédéral. Par ailleurs, le fédéralisme compte parmi les principes constitutionnels ne pouvant faire l’objet d’une révision au sens du 3e alinéa de l’article 79 LF, ce qui confère une garantie d’existence pérenne aux Länder. Selon ce principe, l’État fédéral ainsi que les Länder ont chacun la qualité d’État et l’exercent avec des pouvoirs étatiques qui leur sont propres.

Toutefois, la Loi fondamentale limite assez largement l’autonomie des Länder dans les faits : la « compétence-compétence » revient à la Fédération, c’est-à-dire que les Länder ne peuvent pas s’attribuer de nouvelles compétences par eux-mêmes. Et les principes d’État républicain, fédéral, démocratique et social sont contraignants pour les Länder. En outre, les constitutions des Länder ne doivent pas entrer en contradiction avec les droits fondamentaux garantis par la loi fondamentale. Certes, concernant le partage des compétences législatives, l’article 70 octroie une compétence de principe aux Länder et seulement une compétence d’attribution à l’État fédéral.

Cependant, en analysant la répartition concrète des compétences dans les articles 71 et suivants de la LF, c’est à la Fédération que reviennent les domaines législatifs principaux (par exemple, les questions des affaires étrangères et des relations extérieures de l’État allemand, de la nationalité, du droit civil et pénal, ou encore le droit économique). Toutefois, les Länder sont amenés à participer à la législation et à l’administration de la Fédération par l’intermédiaire du Bundesrat, organe fédéral réunissant les représentants des gouvernements des Länder au niveau fédéral.

Dans ce cadre, l’approbation du Bundesrat est nécessaire pour les lois fédérales dans certains domaines explicitement mentionnés par la Loi fondamentale. En outre, c’est à l’échelon des Länder que revient principalement l’exécution des lois fédérales, et ce, selon leurs propres règles administratives, avec donc une forme de fédéralisme, dit « exécutif ».

1.2. LES PAYS-BAS

En interne, la notion de souveraineté n’est pas explicitement évoquée dans la Constitution du Royaume des Pays-Bas. Elle confère cependant une place symbolique majeure au Roi dans l’exercice de la souveraineté. Il ressort toutefois de la pratique constitutionnelle néerlandaise que la souveraineté nationale est exercée par les Etats généraux composés de deux Chambres. Il faut aussi évoquer les relations avec les entités internes qui composent le Royaume des Pays-Bas.

A- Les prérogatives du Roi

La section première du chapitre 2, qui traite du gouvernement, est entièrement consacrée au Roi. La constitution rappelle explicitement le fondement historique de la monarchie néerlandaise : « La royauté est assumée héréditairement par les successeurs légitimes du Roi Guillaume Ier, Prince d’Orange- Nassau». Et les règles de succession ou applicables dans les cas d’abdication et de tutelle d’un roi mineur sont établies de façon précise. Dès que possible, après que le Roi a commencé à exercer l’autorité royale, il prête serment et est installé solennellement en séance publique des Etats généraux réunis en une seule assemblée dans la capitale, Amsterdam. Il jure qu’il sera fidèle à la Constitution et s’acquittera fidèlement de sa charge. Le Premier Ministre et les autres ministres sont nommés et révoqués par décret royal. Les ministères sont aussi institués par décret royal. Mais toutes les lois et tous les décrets royaux sont signés à la fois par le Roi et par un ou plusieurs ministres ou secrétaires d’Etat, ce qui leur donne une légitimité démocratique. Le monarque ne peut pas, par convention, exercer un pouvoir politique dans sa position de chef de la nation. Il ne donne pas, sauf exception, son avis personnel de manière publique. La constitution détaille les hypothèses dans lesquelles les Chambres sont appelées à intervenir dans les règles applicables à la monarchie, contribuant ainsi à lui donner une assise populaire.

B- Les fondements constitutionnels de la souveraineté parlementaire

La Constitution des Pays-Bas ne fournit aucune définition de la notion de souveraineté. À toutes fins utiles, le site internet dédié à la Constitution néerlandaise comporte une rubrique intitulée « Souveraineté ». Cette dernière propose une définition générale de la souveraineté mobilisant les notions d’autodétermination des États et d’autorité suprême exercée sur un territoire. Aux termes de l’article 50 de la constitution, les Etats généraux composés de deux Chambres représentent « tout le peuple néerlandais » et exercent donc ensemble la souveraineté nationale. Et la deuxième section du chapitre 2 consacrée aux rôles respectifs du Roi et des ministres qui composent ensemble le gouvernement, précise que si le Roi est inviolable, les ministres sont responsables devant les Etats généraux. Les députés sont élus directement par les Néerlandais qui ont atteint l’âge de dix-huit ans, les sénateurs étant élus par les membres des Etats provinciaux.

La Première Chambre des États généraux est la chambre haute du Parlement des Pays-Bas. Pour cette raison, elle est parfois désignée comme étant le Sénat des Pays-Bas. La Deuxième Chambre ou Chambre basse des États généraux comprend 150 membres élus au suffrage universel direct, au scrutin proportionnel. Elle incarne donc la souveraineté du peuple. C’est à la Seconde Chambre que se forment les coalitions de gouvernement, qui peuvent tomber à la suite de motions de censure. Et c’est devant elle que les ministres sont politiquement responsables.

Le Gouvernement ou même seulement un ministre ne peut pas se maintenir sans le soutien d’une majorité à la Seconde Chambre. Enfin, un droit d’initiative est reconnu aux citoyens : si une pétition réunit au moins 40 000 soutiens néerlandais, elle peut être présentée par son auteur qui demande qu’elle soit débattue, la décision finale revenant à la Chambre basse. La souveraineté nationale prime la souveraineté populaire : en effet, la parenthèse du référendum d’initiative populaire autorisé en 2015 dès lors qu’au moins 300 000 signatures de soutien avaient été recueillies et utilisé à deux reprises lors des débats sur l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne de 2016 et à l’occasion du projet de loi sur les services de renseignement de 2018, a été vite refermée. Critiqué pour son aspect populiste, le référendum d’initiative populaire a été officiellement aboli aux Pays-Bas le 10 juillet 2018.

C- Les relations avec les entités internes

Le Royaume des Pays-Bas est composé de quatre pays constitutifs : les Pays-Bas, Curaçao, Aruba et Saint-Martin. Le premier bénéficie d’une compétence d’attribution tandis que les autres jouissent d’une compétence générale. En pratique, les pays constitutifs ont une compétence résiduelle compte tenu du nombre de matières expressément attribuées au Royaume.

Le pays constitutif des Pays-Bas est organisé en provinces et communes. Le processus de décentralisation n’est pas appréhendé sous l’angle de la souveraineté dans la mesure où les Pays-Bas sont basés sur le modèle de l’État unitaire. Ainsi, les provinces néerlandaises sont soumises à la tutelle de l’État. Par ailleurs, l’organisation administrative des Pays-Bas se distingue par la mise en place d’une décentralisation fonctionnelle au terme de laquelle des structures administratives spéciales ont vu le jour : les wateringues. Il s’agit d’entités exclusivement compétentes dans le domaine de la gestion de l’eau.

À Curaçao, Aruba et Saint-Martin, le Roi des Pays-Bas est représenté par un gouverneur. En principe, le Statut du Royaume s’applique aux pays constitutifs, dont les lois doivent être conformes à ce texte à valeur constitutionnelle. Toute loi contraire au Statut peut être suspendue ou abrogée par le Roi en sa qualité de chef d’État du Royaume.

Les Pays-Bas caribéens sont constitués de trois îles (Bonaire, Saint-Eustache et Saba) bénéficiant d’un statut spécial. L’article 134 de la Constitution néerlandaise les qualifie d’entités publiques. En pratique, elles disposent des mêmes compétences que les communes des Pays-Bas. Toutefois, elles ne sont rattachées à aucune province néerlandaise. Un représentant du Royaume est chargé de faciliter les échanges entre les Pays-Bas caribéens et le ministère de l’Intérieur du Royaume des Pays- Bas.

1-3 LE ROYAUME-UNI

Au Royaume-Uni, la souveraineté interne se caractérise par le primat de la souveraineté parlementaire hérité d’une longue histoire. La suprématie du Parlement a été revendiquée dans le contexte de la Glorieuse révolution de 1688 en opposition au pouvoir souverain détenu jusqu’alors par la monarchie. Et elle a été traduite en termes juridiques dans le Bill of Rights.

Les fondements constitutionnels de la souveraineté

D’un point de vue juridique, la souveraineté du Parlement est donc la caractéristique dominante des institutions politiques britanniques. Ceci a pour conséquence que chaque loi édictée résultant de l’autorité suprême du Parlement, il n’existe en principe pas de hiérarchie entre les textes législatifs. Par ailleurs, le Parlement ne peut pas se lier pour l’avenir, au risque que les législatures successives ne soient plus pleinement souveraines. Il en résulte l’application du principe de l’abrogation tacite, selon lequel une disposition contredite par une loi postérieure est réputée avoir été implicitement abrogée.

Cependant, si la souveraineté du Parlement prime donc sur la souveraineté du peuple, celle- ci ne peut cependant pas être méconnue. Ainsi, si le référendum n’est pas commun dans la constitution coutumière britannique, le poids politique d’un référendum et de ses résultats est difficile à ignorer, comme l’a démontré le Brexit aboutissant en 2017 au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le débat a été relancé en 2022 lors du dépôt d’un projet de loi écossais visant à organiser un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse. En rappelant que l’initiative du référendum relève de la compétence exclusive du Parlement de Westminster, la Cour suprême avait déclaré ce projet de loi inconstitutionnel dans sa décision. La souveraineté parlementaire a aussi d’importantes conséquences sur l’organisation des pouvoirs. En l’absence de répartition exhaustive des compétences inscrite dans une Constitution formelle, elle limite la compétence et la marge de manœuvre du pouvoir exécutif, exercé par le monarque et le Gouvernement.

De même, depuis le transfert de la souveraineté vers le Parlement britannique, les juridictions se sont presque systématiquement refusées à envisager la possibilité d’annuler une loi qu’elles jugeraient contraires aux principes fondamentaux de la Constitution coutumière britannique. Elles peuvent cependant recourir au principe de légalité, qui implique que si le Parlement souhaite violer les règles fondamentales de la common law, il doit le faire en des termes explicites. Enfin, les juridictions ont été confrontées aux conséquences de la participation du Royaume-Uni au Conseil de l’Europe et à l’UE. En particulier, les cas d’inconventionnalité d’une loi britannique ont placé les juges dans une situation délicate au regard de la souveraineté parlementaire.

B. Les conséquences sur la répartition verticale des pouvoirs

L’autonomie accordée aux nations constitutives d’une part, et aux possessions du Royaume-Uni d’autre part, repose en définitive sur la souveraineté du Parlement de Westminster. La dévolution, processus par lequel le pouvoir central transfère des compétences législatives et exécutives dans un certain nombre de domaines aux entités infra-étatiques constituées par les différentes parties du pays, en est l’illustration. À l’exception de l’Angleterre, chaque partie du Royaume-Uni – le pays de Galles, l’Écosse et l’Irlande du Nord – bénéficie d’un degré variable d’autonomie au terme d’une dévolution asymétrique des compétences. Ainsi, le pouvoir législatif dévolu au pays de Galles, à l’Écosse et à l’Irlande du Nord demeure soumis au principe de la souveraineté parlementaire et le Parlement, qui demeure compétent pour adopter des lois applicables aux territoires concernés, peut en théorie à tout moment revenir sur la dévolution. Symétriquement, les assemblées locales doivent respecter la répartition verticale des compétences au sens strict. En particulier, elles ne peuvent excéder leur compétence territoriale et matérielle. Ceci leur interdit d’adopter des lois touchant à des domaines réservés au pouvoir central ou qui modifieraient certaines lois du Parlement de Westminster. Aux termes de dispositions complexes, le juge est d’ailleurs compétent pour exercer un contrôle a priori et a posteriori des lois adoptées par les assemblées dévolues afin de garantir la préservation de la souveraineté du Parlement du Royaume-Uni.

Cela vaut aussi pour les « possessions » du Royaume-Uni, territoires qui obéissent à des règles spécifiques leur accordant un degré d’autonomie variable, mais qui relèvent toujours de la souveraineté du Parlement de Westminster. Cela concerne les dépendances de la Couronne que sont les îles anglo- normandes (Jersey et Guernesey) et l’île de Man. Et c’est également vrai des territoires britanniques ultramarins, qui sont pour la plupart des anciennes colonies de l’Empire britannique ne faisant pas partie du Royaume- Uni, mais appartenant à ce dernier.

En application de règles spécifiques, ils bénéficient de degrés d’autonomie variables dans les limites de la souveraineté du Parlement de Westminster. Ce dernier dispose toujours d’une compétence législative absolue en ce qui concerne ces territoires. Gibraltar est dans une situation particulière, puisque c’est le seul territoire britannique d’outre-mer à avoir été inclus dans l’UE. Malgré l’absence d’un cadre juridique unique, les territoires partagent certaines caractéristiques communes.

Le Royaume-Uni est représenté dans ces territoires par un gouverneur, lequel peut recevoir des instructions de la part du pouvoir central. Les constitutions des territoires ultramarins sont adoptées par le Royaume-Uni au moyen d’une loi ou d’un décret en Conseil privé, avec le consentement du territoire concerné. Un certain nombre de compétences législatives sont transférées aux territoires d’outre-mer. Chacun d’entre eux a un système judiciaire propre, mais le Comité judiciaire du Conseil privé du monarque demeure leur juridiction suprême pour certains appels comme d’ailleurs dans douze pays du Commonwealth. En outre, les individus nés sur ces territoires d’au moins un parent britannique ou résidant sur le territoire en question, acquièrent automatiquement la citoyenneté britannique.

1.4. LA SUISSE

En Suisse, l’exercice de la souveraineté interne est fortement marqué par la forme fédérale de l’État ainsi que par l’importance accordée à la démocratie directe, les cantons et le peuple étant les pouvoirs constituants. La Constitution fédérale de la Confédération suisse de 1999 ne mentionne d’ailleurs explicitement la notion de souveraineté qu’en référence à celle des Cantons à l’article 3. Par ailleurs, la Constitution fédérale confère la qualité de constituant à la majorité du peuple et à la majorité des cantons (règle de la double majorité).

A- La proclamation d’une autonomie limitée des cantons

Selon l’article 3 de la Constitution : « Les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération ». Toutefois, la Constitution ne prévoit pas de droit de retrait de la Confédération pour les cantons. Ainsi, si l’existence des cantons est garantie par la Constitution, il ne leur est toutefois pas reconnu une pleine souveraineté. Les cantons, en tant que collectivités publiques autonomes, ont cependant une certaine autonomie constitutionnelle, qui se traduit par une liberté dans leur organisation interne.

Mais les cantons doivent demander à la Confédération la garantie de leur Constitution, ce qui suppose le respect d’un certain nombre d’exigences constitutionnelles. S’agissant de la répartition des compétences législatives et exécutives, la Confédération a l’obligation de laisser à la disposition des cantons des ressources et une possibilité d’autonomie d’organisation suffisante. Ils sont donc considérés comme des États au sein de la Confédération, mais ne peuvent accomplir leurs tâches de manière autonome que dans la mesure où elles n’ont pas été confiées à la Confédération, dont les compétences sont d’ailleurs énumérées de manière explicite et exhaustive dans la Constitution fédérale. Les cantons ont également un droit d’initiative en matière constitutionnelle et législative.

Le fédéralisme suisse est essentiellement un fédéralisme exécutif en ce que les cantons apparaissent comme les organes d’application et d’exécution de la législation fédérale. Dans ce cadre, la Confédération doit laisser aux cantons une marge de manœuvre aussi large que possible en tenant compte de leurs particularités. Toutefois, le législateur fédéral peut exercer une influence importante sur l’autonomie organisationnelle des cantons, car la législation fédérale prévoit régulièrement elle-même quels organes et quelles procédures sont nécessaires à l’exécution de la loi. Au- delà du fédéralisme d’exécution, la législation fédérale peut également imposer dans certains cas une certaine organisation institutionnelle et procédurale au sein des cantons dans des matières relevant de l’adoption de leurs propres lois, ce qui limite également l’autonomie organisationnelle des cantons.

La Constitution comporte aussi un titre dédié à la collaboration entre la Confédération et les Cantons, qui affirme le principe de respect et assistance et d’entraide judiciaire et administrative et définit les modalités de mise en œuvre du droit fédéral et de participation au processus de décision sur le plan fédéral. Les articles 48 et 48a de la Constitution fixent aussi un cadre pour la conclusion de conventions inter-cantonales, en ouvrant également une possibilité pour la Confédération d’imposer le respect des normes dans certains domaines définis par la Constitution. Enfin, concernant la hiérarchie des normes, le droit fédéral prime sur le droit cantonal qui lui est contraire et la Confédération est garante du respect du droit fédéral par les cantons.

B- Les modalités d’exercice de la souveraineté par le peuple

En Suisse, il existe divers instruments démocratiques relatifs à l’exercice de la souveraineté populaire. Elle a en effet opté pour un modèle hybride avec des éléments de démocratie représentative et d’autres de démocratie directe. Le corps électoral suisse élit ainsi directement les membres du Conseil national, qui est la chambre « basse » du parlement suisse. Le Conseil des États, la chambre « haute » du parlement, est élu selon le droit cantonal. Aux termes de l’article 148, al. 1er de la Constitution fédérale, l’Assemblée fédérale exerce « l’autorité suprême de la Confédération, sous réserve des droits des peuples et des cantons ». Cette autorité est cependant doublement limitée dans la mesure d’une part, où elle ne s’exerce que dans le cadre de la Constitution, qui attribue à l’Assemblée fédérale des compétences données et, d’autre part, en raison de l’importance des pratiques de démocratie directe.

S’agissant des instruments de démocratie directe, il convient de distinguer ce qui relève de l’initiative populaire et les référendums. L’initiative populaire est un instrument de démocratie qui confère à une fraction du corps électoral le droit de déclencher la procédure qui conduit à l’adoption, à la révision ou à l’abrogation d’un acte étatique. En droit fédéral suisse, l’initiative populaire ne peut tendre qu’à la révision de La Constitution fédérale. Ainsi, il est possible pour les citoyens suisses de proposer une révision de la Constitution, lorsqu’un « comité d’initiative » récolte 100 000 signatures de citoyennes et citoyens ayant le droit de vote. L’initiative est dite directe dans la mesure où elle conduit automatiquement à la tenue d’un référendum sur son objet, sans intervention supplémentaire des autorités étatiques. Dans le cas rare d’une initiative tendant à la révision totale de la Constitution, elle est soumise à l’unique vote du peuple. Les initiatives tendant à la révision partielle de la Constitution, qui sont bien plus fréquentes, peuvent être présentées sous la forme d’un projet rédigé ou d’une proposition générale. L’Assemblée fédérale a alors la possibilité de former un contre-projet. Dans cette hypothèse, les deux projets sont soumis au vote du peuple et une question subsidiaire leur est posée, leur demandant de trancher quel objet doit l’emporter en cas de double « oui ».

Le référendum est un instrument de démocratie directe qui permet au peuple de se prononcer sur un acte normatif adopté par une autorité étatique. En Suisse, le choix a été fait de rendre possible uniquement des référendums au niveau fédéral. On distingue les référendums obligatoires et les référendums facultatifs. Dans le cas du référendum obligatoire, le vote du corps électoral et son résultat positif sont une condition de validité d’une norme juridique. Dans le droit fédéral suisse, il est prévu pour les révisions de la Constitution, pour l’adhésion à des organisations de sécurité collective ou à des communautés supranationales, ou encore, pour les lois fédérales déclarées urgentes qui sont dépourvues de base constitutionnelle et dont la durée de validité dépasse une année. Les référendums facultatifs, quant à eux, n’ont lieu que lorsque la demande en est faite dans un certain délai, par une fraction du corps électoral. Il faut réunir au moins le soutien de 50 000 citoyennes et citoyens ayant le droit de vote ou celui de huit Cantons. Le délai pour récolter ce soutien est fixé à cent jours après publication de l’acte concerné dans la Feuille fédérale.

II- La souveraineté externe en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume- Uni et en Suisse

2-1 L’Allemagne

A- L’intégration du droit international et européen : une limite à la souveraineté nationale

En principe, dans l’ordre juridique allemand, les normes du droit international ont un rang de loi fédérale correspondant au statut de l’acte juridique qui les incorpore au droit national. Toutefois, les règles générales du droit international ont un rang infra-constitutionnel et supra-législatif et ne nécessitent pas de transposition. Elles sont donc directement applicables dans l’ordre juridique national. Il s’agit des règles de droit international coutumier et des principes généraux du droit, c’est-à-dire les normes du droit international qui, en raison d’une pratique générale et d’une conviction juridique correspondante, lient la grande majorité des États.

Allant au-delà, la Cour constitutionnelle a développé le principe d’ouverture de la Loi fondamentale au droit international, qui a notamment pour conséquences que les organes de l’État allemand sont tenus de respecter les normes de droit international qui lient la République fédérale d’Allemagne. Et les lois nationales doivent être interprétées de manière à ne pas entrer en conflit avec les engagements internationaux de l’État allemand. Cependant, une loi contraire à un traité international, si elle a été adoptée postérieurement à l’intégration de ce traité dans l’ordre juridique allemand, n’est pas inconstitutionnelle.

La Convention européenne sur les droits de l’homme (CEDH) dispose d’un statut privilégié par rapport aux autres traités internationaux ratifiés par la République fédérale d’Allemagne. La Cour constitutionnelle fédérale a en effet jugé que tous les organes étatiques sont tenus, lorsqu’ils prennent une décision, de prendre en considération les principes contenus dans la Convention, dans la mesure où leur application n’est pas contraire au droit constitutionnel et en tenant compte des particularités de l’ordre juridique allemand.

Enfin, plusieurs dispositions de la Loi fondamentale prévoient la possibilité de transférer des « droits de souveraineté » à des organisations internationales. La notion de « droit de souveraineté » signifie le droit d’exercer sa compétence en matière de pouvoir souverain, c’est-à-dire la possibilité de promulguer des dispositions juridiques contraignantes.

La Cour constitutionnelle fédérale a précisé que ces dispositions permettent d’ouvrir l’ordre juridique national, de telle sorte que la RFA réduit ses pouvoirs exclusifs dans son domaine de souveraineté et laisse la place à l’applicabilité directe d’autres sources du droit dans cet espace. Il est notamment possible pour la RFA de limiter ses droits de souveraineté pour s’associer à un système de sécurité collective. Cette limitation doit permettre d’établir et de garantir un ordre pacifique durable en Europe et entre les peuples du monde. Par exemple, le système de sécurité collective peut fixer le cadre et les règles pour l’utilisation de la « défense fédérale » (Bundeswehr), en particulier dans les formations intégrées de l’OTAN.

B- Les particularités de l’intégration de l’Union européenne

Pour traiter de l’intégration européenne, la Cour constitutionnelle fédérale a été amenée à mettre en balance le processus de construction de l’Union européenne avec les exigences liées à la conservation de la souveraineté de l’État allemand, qui découlent également de la Loi fondamentale. Témoignant de la spécificité de l’Union européenne pour l’ordre juridique allemand, le préambule de la Loi fondamentale contient la mention du principe d’« ouverture de la Loi fondamentale à l’égard du droit européen » et son article 23 , surnommé l’ « article européen », fixe les règles et principes généraux permettant l’intégration de l’Union européenne. La réalisation de l’Europe a ainsi le rang d’objectif étatique auquel l’État dans son ensemble – Fédération et Länder – est tenu d’œuvrer.

Cependant, la clause dite «de garantie de structures » exige que l’Union européenne soit soumise aux principes de l’État démocratique, de droit, social et fédéral, et qu’elle garantisse une protection des droits fondamentaux comparable à celle de la Loi fondamentale. Les transferts de compétences à l’Union nécessitent aussi un haut niveau de légitimation démocratique ainsi que le respect de la « clause d’éternité », qui contient les principes intangibles de la Loi fondamentale. En interprétant ces exigences de la Loi fondamentale, la Cour constitutionnelle a précisé les limites à l’intégration européenne en se réservant le droit de déclarer inapplicable en Allemagne un acte juridique de l’UE qui ne respecterait pas « l’identité constitutionnelle » de l’Allemagne ou qui outrepasserait les compétences de l’UE. Ces contrôles sont reconnus par la Cour comme des exceptions au principe d’ouverture de la Loi fondamentale à l’égard du droit européen et il faut donc y recourir avec prudence et même parcimonie.

La Cour s’estime aussi compétente pour contrôler les actes ultra vires au motif que les citoyens allemands doivent pouvoir se prononcer sur la compétence de l’Union par le biais d’une loi promulguée par leurs représentants. Elle constate ainsi que « l’exercice de la souveraineté par un groupement d’États comme l’Union européenne se fonde sur des habilitations conférées par des États restés souverains ». La Cour estime cependant qu’elle ne peut effectuer un contrôle ultra vires que dans l’hypothèse où une violation de compétence par les institutions européennes est « suffisamment qualifiée » et le dépassement des compétences d’attribution est « manifeste » et significatif au point d’impliquer des conséquences sur « la structure des compétences entre les Etats membres de l’UE ». Dans un arrêt de 2020 dit « PSPP » (Public Sector Purchase Programme), la Cour constitutionnelle fédérale a qualifié pour la première fois un arrêt de la CJUE et une décision de la Banque centrale européenne (BCE) comme étant des actes ultra vires.

À la suite de cet arrêt, la Commission européenne a engagé une procédure en manquement contre l’Allemagne en raison du non-respect du principe de primauté de l’UE. Cette procédure a été clôturée en décembre 2021 : à la suite de la mise en demeure de la Commission, l’Allemagne a formellement reconnu le principe d’autonomie, de primauté, d’efficacité et d’application uniforme du droit de l’UE.

De plus, l’État a réaffirmé qu’il reconnaissait l’autorité de la CJUE et que ses décisions ont force de loi et sont contraignantes. Enfin, le gouvernement allemand s’est engagé en se référant expressément à son obligation de coopération loyale inscrite dans les traités, à utiliser tous les moyens à sa disposition pour éviter une nouvelle constatation d’un acte ultra vires.

2-2 LES PAYS-BAS

A- La promotion du droit international public

Historiquement, les Pays-Bas ont joué un rôle majeur dans la promotion et la défense du droit international. Il est d’ailleurs significatif que La Haye soit le siège de deux juridictions internationales importantes : la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale. La Haye est aussi le siège d’Europol depuis 1999 et d’Eurojust depuis 2002. Fait notable, la constitution des Pays-Bas accorde une place très importante au droit international public. Les articles 90 à 95 du chapitre 5 de la constitution relative à la législation et à l’administration en portent la marque. Il n’est donc pas exagéré de dire que cet attachement au respect et à la promotion du droit international est un trait distinctif de la vision néerlandaise de la souveraineté externe. Le fait que l’Union se fonde et se construise d’abord sur et avec le droit est ainsi historiquement, avec le marché commun, le deuxième moteur de l’attachement néerlandais continu à l’intégration européenne. Les Pays- Bas attachent enfin une grande importance à la promotion dans l’Union et dans le monde des droits fondamentaux, auxquels est dévolu de façon symbolique tout le chapitre premier de leur constitution. Pas moins de vingt-trois articles leur sont consacrés, qui décrivent avec précision leur contenu et leur portée, ainsi que les garanties et recours dont bénéficient les citoyens pour les faire respecter.

Dans ce contexte historique et juridique, il n’est pas donc pas surprenant que toute la deuxième section du chapitre V de la constitution, qui traite de la législation et de l’administration, soit dévolue à l’ordre juridique international. L’article 90 dispose ainsi que « Le Gouvernement favorise le développement de l’ordre juridique international ». Et aux termes de l’article 92, « Des compétences législatives, administratives et judiciaires peuvent être conférées par un traité, ou en vertu d’un traité, à des organisations de droit international public ». C’est précisément sur le fondement de cet article que les Pays-Bas ont adhéré et participent à l’Union européenne.

En outre, il est précisé que les dispositions des traités et des décisions des organisations de droit international public, qui peuvent engager chacun par leur teneur, ont force obligatoire après leur publication. Ainsi, les dispositions légales dans le Royaume ne peuvent pas être mises en œuvre si leur application n’est pas compatible avec des dispositions de traités ou de décisions d’organisations de droit international public, qui ont force impérative. L’obligation de respecter le droit international a donc une valeur supra législative et fait partie de l’identité constitutionnelle des Pays-Bas. Enfin, il est précisé que « le juge ne porte pas de jugement sur la constitutionnalité… des traités ».

B- La ratification et l’exécution des traités internationaux

Cependant, ainsi que l’a constaté le Conseil d’État des Pays-Bas dans un avis de 2021, la ratification et l’exécution des traités internationaux s’avèrent complexes en raison de la structure interne du Royaume des Pays-Bas. Du point de vue du droit international, seul le Royaume des Pays-Bas est un État. Par conséquent, il est le seul signataire, quand bien même le traité en question concernerait uniquement les territoires des Caraïbes. Toutefois, l’un des quatre pays constitutifs peut demander l’octroi du statut de membre ou d’observateur au sein d’une organisation supranationale. De même, les pays constitutifs peuvent demander à ne pas être liés par un traité international s’ils estiment que son exécution leur serait préjudiciable. Enfin, l’article 91 de la Constitution soumet la ratification d’un traité contraire aux dispositions constitutionnelles à l’approbation des deux tiers des membres du Parlement.

C- Les relations avec l’Union européenne

Dans son rapport annuel de 2021, le Conseil d’État néerlandais a rappelé que les transferts de souveraineté aux institutions européennes ne sont pas de nature à remettre en cause la souveraineté interne. Les compétences transférées ne sont simplement plus exercées directement par le pouvoir étatique néerlandais. Plus précisément, le Conseil d’État explique que l’ordre juridique européen n’est pas en concurrence avec la souveraineté interne des Pays-Bas, mais qu’au contraire, il est une expression de son exercice. Il n’y a donc pas d’obstacle à la transposition des directives européennes en droit interne. Les Pays-Bas ont aussi ratifié la Convention européenne des droits de l’homme dès 1954 et un juge néerlandais siège à la Cour européenne des droits de l’homme depuis 1959. Ils sont liés par ses décisions qu’ils appliquent, comme l’a illustré encore récemment un arrêt de chambre relatif à une violation de l’article 11 sur la liberté de réunion et d’association.

Par ailleurs, les pays constitutifs du Royaume et des Pays-Bas caribéens relèvent d’un statut particulier. Aruba, Curaçao et Saint-Martin, ainsi que Bonaire, Saint-Eustache et Saba tombent ainsi sous le régime spécial de la quatrième partie du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il s’agit majoritairement de dispositions ayant trait à l’import et à l’export de produits sur les territoires d’outre-mer ou à la fixation des tarifs douaniers.

Enfin, il est significatif de l’attachement des Pays-Bas à la promotion des droits fondamentaux qu’ils aient tenu à affirmer dans une déclaration commune avec la France, leur attachement à la défense des valeurs fondamentales de l’Union européenne et leur volonté de promouvoir le respect de l’Etat de droit, les droits de l’Homme et l’égalité entre les femmes et les hommes, conformément au plan d’action de l’UE en faveur des droits de l’Homme et de la démocratie et de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ils ont aussi appelé à la mise en œuvre rapide du régime mondial de sanctions en matière de droits de l’Homme adopté par l’Union en 2020 permettant de cibler des personnes, des entités et des organismes – y compris des acteurs étatiques et non étatiques – responsables de graves violations des droits de l’homme ou de graves atteintes à ces droits dans le monde.

2-3 LE ROYAUME-UNI

Les relations extérieures du Royaume-Uni soulèvent un certain nombre de questions relatives à la souveraineté. D’une part, le pays entretient d’étroites relations avec certaines de ses anciennes colonies devenues indépendantes, à l’égard desquelles il détient une compétence résiduelle. D’autre part, la participation du Royaume-Uni au Conseil de l’Europe et à l’UE a dû être conjuguée avec le principe de la souveraineté parlementaire.

A- Les relations avec les anciennes colonies devenues indépendantes

Le processus de décolonisation de l’Empire britannique a été entamé au début du XXème siècle. Le Statut de Westminster de 1931 accorde la souveraineté à six dominions, à savoir le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, l’Irlande et Terre- Neuve. En parallèle, afin de conserver un lien avec ses anciennes colonies, le Royaume-Uni a créé une organisation internationale : le Commonwealth of Nations. Ce dernier a été créé sous sa forme actuelle en 1949 par la déclaration de Londres et comprend 56 États. Il consiste en une « association volontaire d’États souverains, indépendants et égaux ». Le chef du Commonwealth exerce une fonction symbolique à vie. En pratique, depuis l’instauration de cette organisation, c’est toujours le monarque britannique qui en a été à la tête. Les membres du Commonwealth ont ainsi désigné le successeur de la reine Elizabeth II dès 2018. Le Commonwealth est composé de deux catégories d’États indépendants. D’une part, 14 États membres du royaume du Commonwealth ont acquis leur indépendance tout en conservant leur allégeance envers le monarque britannique aux termes de leurs Constitutions et législations nationales. À ce titre, le roi est représenté sur place par un gouverneur général qui promulgue les lois en son nom. En tant que chef d’État de ces royaumes, il ne joue plus cependant qu’un rôle purement protocolaire en effectuant des visites et en prononçant des discours. D’autre part, les États restants font toujours partie du Commonwealth of Nations mais ont rompu leur lien personnel avec le monarque britannique.

B- Les relations avec les organisations supranationales

Le Royaume-Uni a opté pour un système dualiste conforme au principe de la souveraineté parlementaire. Par conséquent, tout traité international doit être transposé par une loi pour être applicable en droit interne. Pour cette raison, notamment, la participation du Royaume-Uni au Conseil de l’Europe et à l’UE a soulevé certaines difficultés. La transposition de la Convention européenne sur les droits de l’homme (CEDH) a ainsi conduit le législateur à trouver un compromis entre le respect des droits garantis par la Convention EDH et le principe de la souveraineté du Parlement.

D’une part, une loi a enjoint en 1998 aux juges de procéder à une interprétation conforme des lois du Parlement. D’autre part, la loi autorise les juges saisis d’une loi conventionnelle à prononcer une déclaration d’incompatibilité. Afin de respecter le principe de la souveraineté parlementaire, cette dernière n’est pas contraignante juridiquement. Elle prend simplement la forme d’une « notification au Parlement que la législation est incompatible avec les droits conventionnels ». Il revient ensuite au Parlement d’en tirer les conséquences et de modifier la loi, ou d’en adopter une autre, s’il souhaite se conformer à ses engagements internationaux.

Mais ce sont surtout les relations avec l’Union européenne qui ont été à l’origine de nombreux litiges en raison de l’incompatibilité manifeste entre le principe de la souveraineté parlementaire et la primauté du droit de l’Union. Dès 1975, le premier référendum tenu à l’échelle nationale de l’histoire du Royaume- Uni a eu lieu pour trancher la question du maintien dans les Communautés européennes auxquelles il avait adhéré en 1973, le oui l’emportant à 67%. La chambre des Lords s’est efforcée d’engager un dialogue avec la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) pour surmonter les difficultés en cas de non- conformité d’une loi au droit communautaire en estimant que «la limitation de sa souveraineté à laquelle le Parlement a consenti lorsqu’il a adopté la loi sur les Communautés européennes de 1972 était entièrement volontaire ».

Cependant, les juges établissent une hiérarchie : à titre d’exemple, si la loi de 1972 venait à contredire une loi constitutionnelle aussi fondamentale que le Bill of Rights de 1689, c’est la seconde qui primerait. Fondant leur analyse sur l’identité constitutionnelle britannique, ils estiment que « le Parlement, lorsqu’il a édicté la loi relative aux Communautés européennes de 1972, n’a ni envisagé, ni autorisé l’abrogation » des textes constitutionnels fondateurs du Royaume-Uni. Toutefois, en pratique, cette forme de contrôle ultra vires n’a jamais été exercée par les juridictions britanniques.

Le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne à la suite du référendum tenu en 2016 a provoqué des contentieux conduisant à des développements intéressants du droit constitutionnel britannique. En particulier, il a été jugé que nonobstant le référendum, seul le Parlement était compétent pour décider du retrait du Royaume-Uni de l’UE. Ensuite, quoique désireux de recouvrer sa pleine souveraineté, le législateur s’est, dans un premier temps, vu dans l’obligation de maintenir en l’état un certain nombre de règles européennes pour limiter le risque de creuser un vide juridique considérable. A l’issue de la période transitoire entre le Royaume-Uni et l’UE, les textes européens directement applicables ou transposés en droit interne ont été maintenus en vigueur dans l’ordonnancement juridique britannique.

À cet égard, le Parlement de Westminster s’est réservé la possibilité d’abroger ce type de textes au cas par cas. Une loi du 29 juin 2023 est d’ailleurs revenue sur la plupart des dispositions relatives au droit de l’Union maintenu en droit britannique en introduisant une disposition de caducité automatique du droit de l’Union à compter du 31 décembre 2023. En lieu et place, le législateur a créé la catégorie du droit de l’Union assimilé en droit interne. Elle contient toutes les dispositions que le gouvernement a expressément choisi d’incorporer en droit britannique.

D’autre part, la loi abolit entièrement le principe de primauté du droit de l’UE. Par conséquent, les juridictions ne sont désormais plus tenues d’appliquer des dispositions du droit de l’Union assimilé conformément à la jurisprudence de la CJUE, même antérieure au Brexit.

2-4 LA SUISSE

La constitution suisse prévoit que les affaires étrangères relèvent de la compétence de la Confédération dans le respect du principe d’indépendance et de prospérité de la Suisse.

Traduisant le fédéralisme suisse, les articles 55 et 56 consacrent la participation des cantons aux décisions fédérales de politique extérieure ainsi que leurs relations avec l’étranger. Ils peuvent conclure des conventions dans leurs domaines de compétences et avoir des relations avec les autorités étrangères de rang inférieur sans passer par la Confédération. Et les États fédérés sont aussi habilités à conclure, directement ou sous réserve de l’approbation de l’État fédéral, des accords techniques intéressant les relations de voisinage avec les pays étrangers.

A- Les relations avec les organisations supranationales

Bien que la politique étrangère de la Suisse soit depuis longtemps caractérisée par le principe de la « neutralité helvétique », celle-ci s’est nettement assouplie au cours des dernières années. En vertu de l’article 141 de la Constitution, l’adhésion de la Suisse à une organisation internationale est d’ailleurs possible. Afin de respecter les droits constitutionnels des cantons, la double majorité populaire et cantonale est cependant exigée pour que la Suisse puisse adhérer à des organisations de sécurité collective ou à des communautés supranationales.

La Suisse est notamment membre du Conseil de l’Europe, de l’OCDE, et depuis 2002 de l’ONU. Elle est également liée par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) depuis le 28 novembre 1974 et a ratifié par la suite les principaux protocoles additionnels. En 1992, un référendum sur l’adhésion de la Suisse à l’Espace économique européen s’est même tenu, le non l’emportant à une très courte majorité avec 50,3 % de voix contre et 49,7 % de voix pour. Cela n’a cependant pas fait obstacle depuis 1999 à la signature de nombreux accords bilatéraux avec l’UE, qui ont le statut de traités internationaux, allant même jusqu’à permettre une participation partielle de la Suisse au marché intérieur de l’UE.

Par ailleurs, la Suisse mène une politique d’« adaptation autonome » des règles du droit suisse au droit de l’Union européenne dans les domaines qui ne sont pas couverts par les traités bilatéraux. L’objectif est dans toute la mesure du possible de rapprocher les règles suisses des normes européennes ayant des implications internationales, de manière à réduire les différences entre l’ordre juridique suisse et celui de l’Union européenne.

L’Union et la Suisse entretiennent donc des relations particulièrement proches et un dialogue juridique approfondi. Toutefois, le système actuel des relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne reste encore fondé sur une coopération institutionnelle intergouvernementale classique et non institutionnalisée.

Des négociations ont d’ailleurs eu lieu à deux reprises, en 2008 et en 2021, avec comme objectif de parvenir à l’adoption d’un accord institutionnel entre la Suisse et l’UE, mais le projet auquel elles ont abouti n’a finalement pas été ratifié par la Suisse. Un rapport relatif aux négociations sur l’accord cadre- institutionnel entre la Suisse et l’UEmai 2021 a d’ailleurs été rédigé afin d’en dresser le bilan et d’expliquer les raisons pour lesquelles elles n’ont pas permis de parvenir à un accord.

B- La place du droit international dans l’ordre juridique suisse

La Suisse a opté pour un système moniste afin d’intégrer le droit international dans son ordre juridique interne. L’article 190 de la Constitution précise que les autorités suisses sont tenues d’appliquer le droit international. La Constitution affirme également en son article 5, al. 4 que « la Confédération et les cantons respectent le droit international ». Si cette disposition ne prévoit pas expressément la primauté du droit international dans l’ordre juridique interne, elle a cependant été affirmée par la jurisprudence.

En premier lieu, afin d’éviter les conflits de normes, le Tribunal fédéral suisse a posé le principe de l’interprétation conforme des dispositions nationales au regard du droit international.

En second lieu, la jurisprudence concernant la résolution des conflits entre les normes de droit national et de droit international a connu une évolution importante. Dans l’arrêt dit « Schubert », le Tribunal fédéral suisse avait en effet ordonné en 1973 l’application du principe lex posterior, lorsqu’une loi fédérale postérieure déroge sciemment et volontairement à un traité international antérieur. Selon la doctrine, cette jurisprudence découlait du principe de primauté de l’Assemblée fédérale.

Toutefois, au cours des années suivant l’arrêt « Schubert », le Tribunal fédéral a sensiblement restreint le champ d’application de sa jurisprudence. Il a ainsi jugé qu’elle ne s’applique pas pour les traités protégeant les droits de l’homme. En l’occurrence, il était question de la Convention européenne sur les droits de l’homme (CEDH), qui prime donc sur le droit national en toutes circonstances.

Ensuite, le Tribunal fédéral a précisé que le droit international l’emporte en principe de façon systématique sur les normes législatives internes, même lorsqu’il ne s’agit pas de traités protégeant les droits de l’homme. Enfin, concernant les relations entre le droit constitutionnel suisse et le droit international, il a affirmé pouvoir tenir compte de l’appréciation du pouvoir constituant seulement dans la mesure où il n’en résulte pas de contradiction avec le droit de rang supérieur, donc implicitement avec le droit international. Il en résulte donc une primauté générale du droit international sur le droit constitutionnel.

Ce sujet reste cependant présent dans le débat public : ainsi, une initiative populaire rejetée par le Conseil fédéral en 2018 avait pour objet d’inscrire à l’article 5 de la Constitution sa primauté sur le droit international, ce qui aurait eu pour effet de rendre inapplicable un traité international contraire à la Constitution et de subordonner sa ratification à une mise en conformité. Ces règles auraient également été rendues applicables aux traités internationaux en vigueur. Cette initiative a été rejetée par le Conseil fédéral pour plusieurs motifs: Il a notamment rappelé que la Suisse décide de manière souveraine des traités qu’elle souhaite conclure et qu’une telle initiative risquerait de conduire à un affaiblissement de la protection des droits de l’homme sur le plan international, en particulier de ceux garantis par la Convention européenne sur les droits de l’homme.

La conclusion 

Avec ces conférences, le Conseil d’État a pris le soin d’ouvrir et de poser les bases de travaux menés tout au long de l’année 2023-2024 jusqu’à leur présentation en septembre 2024.

Pour rappel, le cycle de conférences :

– Conférence inaugurale : Les fondements de la souveraineté le mardi 14 novembre 2023

– Conférence 2 : Les nouvelles dimensions de la souveraineté le mercredi 24 janvier 2024

– Conférence 3 : Souveraineté et démocratie le mercredi 6 mars 2024

– Conférence 4 : La souveraineté face aux défis de la globalisation le mercredi 24 avril 2024

– Conférence 5 : La souveraineté vue d’ailleurs, regards croisés le mercredi 22 mai 2024.

Un remerciement appuyé au Conseil d’État pour l’initiative de consacrer sa nouvelle étude annuelle à la souveraineté. A travers ce choix d’étude, il entend s’interroger sur ce que revêt concrètement cette notion, dans son expression comme dans son exercice. Les conclusions seront passionnantes en septembre 2024.

Un remerciement aux intervenants et à tous les participants à l’étude : élus, militaires, policiers, universitaires…

Un remerciement à Lorraine Acquier pour la qualité de l’accueil au Conseil d’État.

Une expérience passionnante.

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