Interview de Christophe Kerrero, Recteur de la région académique d’Ile-de-France, Recteur de l’académie de Paris, Chancelier des universités de Paris et d’Ile-de-France

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17 novembre 2021 – Miss Konfidentielle a été reçue à la Sorbonne par Christophe Kerrero. Un moment émouvant car il s’agissait de la première fois que la porte de l’Education nationale s’ouvrait à Miss K dans le cadre d’une interview. L’école est un sujet qui nous anime tous. Le nivellement vers le bas au fil des générations est un constat largement partagé. Christophe Kerrero a décidé de faire partie de ceux qui se battent pour changer les choses, de relever le niveau général. Cela demande de s’entourer d’une bonne équipe et de mobiliser la volonté des élèves, des professeurs, des parents, de la société, pour faire bouger les lignes de cette grande dame.

Bonjour Monsieur,

Un immense merci pour votre accueil dans votre bureau à la Sorbonne. Un lieu chargé d’histoire !

Vous êtes Recteur de la région académique d’Ile-de-France, Recteur de l’académie de Paris et Chancelier des universités de Paris et d’Ile-de-France. Cela signifie-t-il que vous avez suivi de très longues études pour obtenir ces responsabilités ?

(Sourire) Pour commencer, je tiens à préciser que malgré le costume que je porte, je ne devrais pas occuper ce bureau car je ne suis pas un universitaire.

En réalité, je suis un peu « décalé », et c’est peut-être ce qui m’a aidé tout au long de mon parcours. Je vais vous expliquer tout cela.

Je suis Recteur de l’académie de Paris, un poste auquel on vient à maturité.

La mission est plurielle. Elle vise à ce que les élèves réussissent pleinement dans leur scolarité et deviennent des citoyens libres et responsables, sachant qu’un Recteur est d’abord un pédagogue parmi des pédagogues.

Elle vise aussi la réussite de la préparation de chaque rentrée scolaire. Cela demande de l’animer, d’encadrer les inspecteurs, les professeurs, les chefs d’établissement… L’enjeu est de faire en sorte que les professeurs et l’ensemble des personnels se positionnent comme des acteurs au service de la réussite et des progrès des élèves.

A cet effet, le Recteur doit mettre en place des formations qui permettent aux professeurs de répondre aux besoins des élèves.

Dans l’académie de Paris, nous sommes 35 000 personnels pour 315 000 élèves. Nos priorités sont la maîtrise de la langue française, du raisonnement scientifique, de l’éducation citoyenne (approche sociétale, culturelle…) et du développement durable.

Je suis aussi Recteur de la région académique d’Ile-de-France.

La région académique est un nouvel échelon qui se situe au-dessus de l’académie. En Ile-de-France, on compte ainsi trois académies : Paris, Versailles, et Créteil.

C’est une nouveauté de la fonction, puisqu’il faut emporter l’ensemble des acteurs, notamment autour de la carte des formations, pour la rendre plus efficiente : l’objectif, proposer des filières variées, insérantes, bien réparties sur le territoire francilien. C’est d’autant plus important que sur le terrain de l’Ile-de-France, on a du mal à orienter les élèves vers les voies professionnelles.

C’est aussi un défi. On essaie de modifier le regard sur l’orientation afin d’éviter tout effet de rupture. Cela signifie lutter contre les images reçues des orientations professionnelles. Il est important de comprendre qu’on a le droit de changer d’orientation, que ce n’est pas un aveu d’échec. On peut rebondir, on peut évoluer. Toujours.

On constate d’ailleurs aujourd’hui que les gens changent plusieurs fois de métiers et d’entreprises au fil de leur parcours, contrairement au passé où il n’était pas rare d’exercer le même métier, dans la même entreprise, toute sa vie.

C’est pourquoi l’enjeu de l’école doit plus que jamais être de donner une base solide et de proposer des formations tout au long du parcours non seulement de l’élève, mais aussi de l’adulte.

Les études supérieures m’occupent aussi beaucoup.

Pour cela, j’ai une adjointe : la Rectrice déléguée à l’Enseignement supérieur. Les enjeux sont de taille, puisqu’il s’agit de suivre la vie étudiante et les universités. On a mené un travail important pendant le Covid-19, avec notamment des premiers secours apportés à des étudiants en détresse sur le plan alimentaire et psychologique. Il fallait aussi assurer la continuité pédagogique.

Nous avons à cœur de proposer des parcours qui permettent aux étudiants de construire leur avenir. C’est pourquoi il est important d’accompagner les étudiants, d’installer un dialogue avec eux, de la Licence au Master, et même après.

En parallèle, l’université se modernise ! Le Gouvernement a par exemple lancé un Plan de relance relatif à des projets de construction et de rénovation de bâtiments universitaires. C’est le rectorat de région qui instruit ces projets sur le terrain avec les universités. On se penche aussi davantage vers la recherche & le développement, la recherche fondamentale, l’intelligence artificielle (IA). C’est important pour le rayonnement de nos étudiants, de nos chercheurs et de notre pays.

Parlons maintenant des grandes réformes de l’Education nationale.

Avant toute chose, ces réformes portent un enjeu d’égalité républicaine. Elles sont le fruit d’une réflexion sur cette thématique centrale, et ont pour objectif de construire une scolarité tout en continuité.

On agit sur la maternelle avec des notions clefs :
– L’apprentissage du vocabulaire, sachant qu’il existe une différence dans la maîtrise du nombre de mots allant de 1 à 7 en fonction des CSP (catégories socioprofessionnelles), ce qui a des conséquences directes sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
– L’apprentissage de la vie en société, autrement dit le développement cognitif et l’empathie,
essentiels pour respecter autrui.

On agit sur l’école élémentaire en donnant la priorité aux savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter, respecter autrui). En éducation prioritaire, la grande mesure de ce quinquennat a été le dédoublement, c’est-à-dire des classes de CP et CE1 à 12 élèves. Le dédoublement a ensuite été étendu à la Grande Section. Cela donne deux fois plus de temps aux professeurs pour suivre chaque élève. C’est essentiel, car un élève qui ne sait pas bien écrire et lire n’a pas les bases pour avancer.

A l’arrivée au collège, on vérifie que l’élève maîtrise ces bases en lui faisant passer un test de fluence. Ce test mesure le nombre de mots que l’élève est capable de déchiffrer en un temps limité.  Il a été intégré dans les évaluations nationales du début de la 6ème. Cela nous a permis de constater que le niveau a progressé. Et avec ce qui a été entrepris à l’école, il va continuer de progresser.

Cela permet aussi aux professeurs d’objectiver le niveau de leurs élèves. Cette année, nous avons envoyé des équipes d’inspecteurs du 1er et du 2nd degré dans l’ensemble des collèges de l’académie pour accompagner les professeurs dans cette démarche, et leur permettre de s’approprier ce nouvel outil. Ils ont apprécié.

On a aussi réformé le lycée afin de proposer plus de choix et de lutter contre ce déterminisme français qui veut qu’à 18 ans, tout soit déjà joué. A Paris, nous avons notamment agi sur l’affectation des élèves au lycée. C’était une priorité, car je me souviens que lorsque je suis arrivé, il y avait une grande ségrégation des élèves. Aujourd’hui, la réforme de l’affectation en seconde via la plateforme Affelnet a été revue et les premiers résultats sont encourageants, avec un peu plus d’élèves de profils différents dans les lycées parisiens.

L’affectation des néo-bacheliers dans l’enseignement supérieur est aussi un sujet essentiel à l’échelle nationale : c’est tout l’enjeu de la création de la plateforme Parcoursup. L’académie de Paris est concernée au premier chef, puisqu’elle accueille le plus grand nombre d’étudiants.

Quel bilan dressez-vous de ces grandes réformes ?

Grâce à cette politique, on arrive à élever le niveau général de formation, à plus de justice sociale, grâce à l’accompagnement des professeurs. Les résultats sont déjà très prometteurs.

On a laissé filer la qualité de l’orthographe, de la grammaire et des mathématiques pendant des décennies. On le constate d’ailleurs en consultant les résultats de tests internationaux qui ne sont pas bons. Il faut être lucide… Il faut du temps pour rattraper tout cela, 10 à 15 ans je pense.

Mais j’observe en allant souvent dans les classes que les enfants ont naturellement le goût des mots. La méthode explicite permet à l’élève d’apprendre et de renforcer ses connaissances : elle propose un enseignement progressif, structuré, qui fait la part belle à la pratique guidée puis autonome des élèves, avec des activités ritualisées qui ancrent les connaissances dans la durée.

A l’époque de Jules Ferry, les enfants n’étaient pas toujours issus de familles éduquées et républicaines, et pourtant nombre d’entre eux réussissaient. C’est encore l’enjeu de l’Education nationale aujourd’hui.

Comment en êtes-vous venu à être Recteur ?

Je suis né par hasard à Neuilly-sur-Seine (92) de parents issus de la classe moyenne, en 1966. J’ai d’abord grandi au Pré Saint-Gervais. Nous avons ensuite déménagé au Pecq, dans les Yvelines (78).

Dans les années 1970, les méthodes d’apprentissage à l’école se confrontaient. C’était une époque de forte transition. Des anciens professeurs de la vieille école et des jeunes professeurs de la génération 68 ne se comprenaient pas. Malgré cela, j’ai été un bon élève au primaire.

J’ai en revanche un souvenir affreux du collège, excepté lors des cours de théâtre. C’était mon moment de respiration.

J’étais curieux d’histoire, mais ne comprenais rien aux maths. On était en pleine réforme des mathématiques modernes, une manière d’enseigner les mathématiques qui voulait prendre acte des avancées du XXe siècle, et Cédric Villani m’a expliqué que beaucoup des professeurs étaient eux-mêmes perdus. En français, cela n’était pas mieux. Elève médiocre, il était question de m’orienter. J’ai alors demandé à mes parents de me mettre en pension, où j’espérais trouver un cadre propice à l’étude.

Cela a été le cas. C’était structuré et j’ai ainsi pu comprendre les cours et m’intéresser de près aux textes littéraires. Je repense à Monsieur Lopez en classe de 3ème et à Madame Mongin-Lambert en classe de Seconde. Il a fallu rattraper mon retard, ce que j’ai pu faire grâce à eux.

En sortant du Bac, j’ai suivi une hypokhâgne puis une khâgne avec une méthode très implicite et j’ai échoué à Normale Sup. Je suis allé à l’Université et ai obtenu une maîtrise de lettres à Paris X-Nanterre, avant de poursuivre avec un DEA de lettres modernes à Paris IV-Sorbonne, sous la direction de l’académicien Marc Fumaroli.

En 1991, j’ai passé le CAPES de lettres modernes et j’ai débuté ma carrière de professeur. J’ai commencé dans un établissement sensible, à Garges-lès-Gonesse. J’y ai rencontré Patrick Sorin, proviseur, qui m’a fait comprendre que l’on pouvait servir autrement au sein de l’administration. Après l’agrégation et quelques années d’enseignement à Versailles, j’ai passé le concours de Direction et me suis retrouvé proviseur adjoint au lycée Pasteur à Neuilly. C’était de 2002 à 2007.

En 2007, j’ai passé le concours d’inspecteur d’académie et me suis retrouvé inspecteur d’académie en Seine-et-Marne, alors que Jean-Michel Blanquer était Recteur de l’académie de Créteil.

En 2009, j’ai intégré le cabinet de Luc Chatel, ministre de l’Éducation nationale, d’abord en tant que conseiller technique chargé de l’éducation prioritaire, de la politique de la ville et du développement durable. Puis comme conseiller aux affaires pédagogiques et à l’égalité des chances, de 2010 à 2012.

En 2012, je suis promu inspecteur général de l’Education nationale. Après quatre années au sein de l’inspection générale de l’Education nationale dans le groupe établissements et vie scolaire, je deviens directeur général en charge des lycées de la région Ile-de-France de 2016 à 2017.

En 2017, Jean-Michel Blanquer m’a nommé directeur de cabinet et nous avons commencé à travailler sur les grandes réformes : baccalauréat, dédoublement, lycée, réécriture des programmes… Nous avons traversé la crise des gilets jaunes puis la pandémie.

En juillet 2020, j’ai été nommé ici à Paris, sur proposition des ministres de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur.

Par mon expérience, j’ai toujours eu en tête qu’une scolarité était fragile. On peut rapidement échouer. Je pense qu’il faut ouvrir les champs du possible en fonction de la maturité de chacun, de ses compétences et appétences.

Un beau parcours. Cela serait sympathique de terminer notre entretien en évoquant vos loisirs. Qu’en pensez-vous ?

Je ne vais pas vous étonner en vous disant que j’aime la lecture. Mes goûts sont variés : la poésie, par exemple celle de La Fontaine, Saint John Perse, Mallarmé ou René Char ; le théâtre de Racine ; les Essais de Montaigne ; les Pensées de Pascal ; les biographies, dernièrement celle de Bernard de Clairvaux ; ou encore les romans de Céline.

En ce moment, je lis un livre qui reprend les écrits de Napoléon.

J’apprécie aussi la musique (Bach, Ravel, Prokofiev…), j’aime sortir au théâtre (comédie française), me rendre à des concerts et des opéras. J’ai assisté l’autre jour à une représentation du Vaisseau fantôme de Wagner à l’opéra Bastille, que je recommande vivement.

Marcher dans la campagne m’est essentiel. La découverte de notre pays est irremplaçable à pied, elle permet de rencontrer des gens, de découvrir des paysages et habitats nouveaux. Je suis très sensible à la richesse de notre patrimoine. En somme, je suis un contemplatif. Et en France, nous avons des forêts, des paysages et des lieux de patrimoine magnifiques, chaque région est d’une inépuisable richesse !

En tant que pédagogue, avez-vous un dernier mot à transmettre, pour faire passer votre vision de l’éducation ?

Jean de la Fontaine m’a accompagné tout au long de mon parcours. Il était un extraordinaire pédagogue, qui vaut encore pour modèle aujourd’hui. Je terminerai ainsi en le citant : « Une morale nue apporte de l’ennui ; le conte fait passer le précepte avec lui. »


Note importante 

Il est obligatoire d’obtenir l’autorisation écrite de Valérie Desforges avant de reproduire sur un autre support tout ou partie du contenu de l’interview.
Il est interdit d’utiliser la photo en Une de l’interview sans autorisation écrite de Valérie Desforges.

2 commentaires
  1. Lambert dit

    Bonjour,

    Cela m’a fait vraiment plaisir de prendre connaissance de cet entretien et j’ai été particulièrement sensible à la gratitude exprimée par Christophe Kerrero. Pour l’avenir, je souhaite le meilleur à cet ancien élève dont je retrouve le regard intelligent et bon.

    Cordialement.
    Mme Pascale Mongin-Lambert

    1. Christophe KERRERO dit

      Je lis avec émotion le commentaire de mon ancienne professeur. Et me souviens du moment où elle m’a fait découvrir les poèmes de Saint John Perse qui m’accompagnent toujours au quotidien. Merci !

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