Interview de Sonia Fibleuil, Cheffe d’état-major à la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ)

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Le 05 février 2021 – Miss Konfidentielle a le privilège de partager avec vous le fruit de ses entretiens avec Sonia Fibreuil qui fait preuve d’une grande expertise dans des domaines extrêmement complexes tels que le terrorisme, et qui malgré la dureté de son métier au sein de la Police nationale conserve son sens de l’humour…

Bonjour Sonia,

Souhaitez-vous dévoiler quelques informations utiles à la compréhension de votre parcours professionnel ?

Bonjour Valérie,

Je ne pense pas qu’un parcours professionnel prenne sa source dans une compréhension préalable, ce serait sinon un acte « prémédité », ce qui reste une circonstance aggravante dans mon métier !

A 46 ans, je comprends qu’un cursus se construit pas à pas, et s’oriente au gré des apprentissages, de nos goûts et de nos rencontres. Il n’y a aucun hasard, mais plutôt des choix de conviction. Je suis parisienne avec une origine paternelle de Martinique.

J’ai fait des études de droit avec une double spécialisation, en géopolitique et en criminologie.
A l’Université Paris XIII, j’ai suivi le cursus du DESS Etudes stratégiques (géopolitique, relations internationales), une formation dirigée par Pascal Boniface qui depuis a fondé l’IRIS.

A l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, j’ai suivi une formation de criminologie passionnante tant sur les aspects théoriques que pratiques.

Passionnée par l’ensemble de mes études et enthousiasmée par l’obtention de mes diplômes, il devenait alors pour moi une évidence de passer le concours d’officier de police que j’obtiens dans la foulée et de conclure 4 années plus tard par l’obtention du concours de commissaire.

Pourquoi choisir la criminologie ?

Vous savez, les ressorts de nos actes sont souvent complexes, ancrés profondément dans une histoire personnelle et culturelle, dans une éducation également.

J’aime particulièrement comprendre ce qui nous entoure et l’enchainement des évènements. A cela s’ajoute le respect de l’institution, de l’Etat et globalement de la démocratie, qui est une valeur familiale partagée.

Les histoires individuelles souvent tragiques venant se heurter à ce cadre institutionnel sont souvent passionnantes à démêler et à comprendre.

 De surcroît, la police judiciaire s’inscrit souvent dans l’histoire contemporaine, souvent tragique, et aide à l’appréhender, de par les missions qu’elle exerce et les spécialités qu’elle traite : le terrorisme, les violences graves aux personnes, la cybercriminalité, la criminalité organisée, financière, etc… Ces histoires sont écrites par des personnes auxquelles d’autres répondent, et ce sens du collectif au service des autres est la réponse qu’il me semble important de soutenir.

En 2000, vous êtes lieutenant de police, me semble t-il…

Tout à fait. En 2000, je suis lieutenant de police avec 18 mois de formation. Je découvre la réalité du métier.

Je débute à Poissy, dans les Yvelines, en brigade de sûreté urbaine. Une expérience judiciaire forte et qui a déterminé mon orientation vers les enquêtes judiciaires générales. J’y ai vécu de nombreuses situations d’atteintes aux biens, aux mœurs, aux mineurs…

Une délinquance un peu dure mais qui n’était pas encore la plus difficile du département, qui a été un excellent apprentissage avec une équipe très soudée. J’y ai cultivé des amitiés qui perdurent encore aujourd’hui. J’ai toujours une pensée pour mes collègues qui sont restés très impliqués et qui sont allés au gré des restructurations et des déroulements de carrière dans des circonscriptions alentours plus difficiles comme les Mureaux ou Mantes la Jolie.

A l’époque je rédigeais mes PV, travaillais sur les enquêtes, les gardes à vue s’enchaînaient… une vie classique de commissariat.

Des expériences marquantes ? L’enquête sur le décès d’un nourrisson alors qu’il était gardé par sa nounou ; une jeune mineure violée par un auteur de son cercle familial et qui buvait du détergent pour se nettoyer de ce qui lui était arrivé.

Je comprends votre stupéfaction Valérie, mais nous vivons toute sorte de situation, et les policiers puisent dans leurs ressorts personnels et leur formation professionnelle pour affronter ces évènements. Un bon équilibre est aussi important que la diversité des rencontres et des profils et personnalités, pour échanger et partager les moments intenses de notre vie professionnelle.

En 2006, vous intégrez l’ENSP à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, dans le Grand Lyon

Oui, accéder au grade de commissaire de police a radicalement changé ma perception du travail ; j’ai appris à manager une équipe, à prendre sur moi la responsabilité d’une action collective.
J’ai aussi appris la gestion de crise tout en conservant mon appétence pour la police judiciaire.

J’ai perçu à quel point l’équipe et le collectif étaient la clef du succès de notre mission de service public.

A l’issue de votre école en 2008, vous avez eu la « chance » d’être nommée Cheffe de la Sûreté Urbaine (SU) de Versailles.

Oui, j’ai considéré que c’était une chance car cela me permettait de poursuivre ce que j’avais préalablement appris en tant qu’officier, à poursuivre dans l’investigation de sécurité publique, tout en développant des partenariats, et en agissant sur une politique de service.

J’en retiens des relations de partenariat efficaces comme celui monté avec la Mairie de Versailles, avec l’établissement public du château, notamment sur des équipes de vente à la sauvette et évidemment avec le Procureur Michel DESPLAN qui avait une écoute attentive à nos préoccupations du quotidien à l’instar de ses successeurs.

Des expériences marquantes ? Une affaire de vol d’un million et demi d’euros en espèces !

En 2010-2014, vous êtes nommée Cheffe du GIR de Versailles. Quel était votre rôle ?

Au GIR, service de la police judiciaire, l’équipe était interministérielle : gendarmerie nationale, sécurité publique et police judiciaire, agents des impôts et des douanes, … C’était le début de la mise en œuvre de la loi dite Warsmann qui a permis de nombreuses saisies de patrimoine liées à l’économie souterraine, le trafic de stupéfiants etc.

Il s’agissait d’agir sur le portefeuille d’une délinquance organisée ou du moins habile quant à la dissimulation des gains frauduleux acquis par les infractions réalisées.

J’en retiens une petite équipe quasi familiale avec une très forte expertise ; la conviction que le management d’une petite équipe est tout autant prenant et fondamental que celui d’une grande équipe.

Des expériences marquantes ? La saisie de plusieurs millions d’euros dans une affaire de trafic international de produits d’une marque de luxe, le démantèlement d’un atelier clandestin de fabrication de ces produits, la saisie de plusieurs fonds de commerce dans des zones sensibles, permettant le blanchiment issu de divers trafics et particulièrement de stupéfiants.

Puis nous rentrons dans une période malheureuse, celle des vagues d’attentats… et vous rejoignez la SDAT en tant qu’adjointe au chef de la division nationale pour la répression du terrorisme international. Quel a été votre quotidien ?

Je suis arrivée à la SDAT (sous-direction anti-terroriste) au début de l’année 2014. La vague d’attentat à laquelle nous avons été confrontée a débuté par l’attaque de fonctionnaires de police au sein du commissariat de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) le 20 décembre 2014.
Puis se sont enchainés les attentats que nous avons tous traversés collectivement tels que ceux du 13 novembre 2015 à Paris, du 13 juin 2016 à Magnanville, du 14 juillet 2016 à Nice …

Je pourrais vous citer une trentaine de sujets sans compter les départs sur zone de guerre et les attentats touchant des français à l’étranger.

J’ai mis ma vie personnelle, sociale entre parenthèse pour me consacrer quasi exclusivement à mes missions. Il n’était pas rare que l’équipe soit rappelée à toute heure, que nous dormions au bureau rapidement pour se reposer quelques heures car nous souhaitions rester mobilisés au maximum durant cette période.

Je suis restée 5 années à ce poste parce que nous formions une équipe extrêmement motivée et dotée d’une grande expertise. J’y ai appris beaucoup techniquement et je tiens à saluer tous les personnels de ce très beau service qui se mobilisent au quotidien pour neutraliser les personnes les plus dangereuses sans compter les partenariats avec la police judiciaire parisienne et la DGSI.

De surcroît, nous avions une forte ouverture sur l’international avec les questions de terrorisme : échanges de données, collaboration avec Europol…

J’en retiens l’expertise de la gestion de crise et la découverte de la force du service public en France par une mobilisation très forte pour coordonner la réponse de l’Etat face à des menaces de haute intensité. L’action déployée, la réponse apportée et l’adaptabilité sont très fortes et sans commune mesure, ce qui est très rassurant sur la protection de notre société et de ses citoyens.

En 2019, le directeur de la DCPJ vous nomme cheffe d’état-major de la DCPJ. Comment vivez-vous ce moment ? Quelle est alors votre mission ?

Je le vis avec beaucoup d’enthousiasme bien sûr, Jérôme Bonet, le directeur central de la police judiciaire, a souhaité restructurer l’état-major de la direction, en liant les aspects opérationnels et stratégiques de ce service. Ce qui a été fait malgré la crise sanitaire qui nous a touché.

J’ai été particulièrement aidé par l’équipe et par mon adjointe la commissaire de police Lola MENAHEM que vous avez déjà rencontré il me semble.

Mon rôle est aussi la valorisation de l’activité opérationnelle nationale et internationale : les services centraux et territoriaux de la police judiciaire traitent tout type de délinquance spécialisée et toutes formes de criminalité organisée : les trafics de stupéfiants à travers l’OFAST ; le terrorisme à travers la SDAT ; cybercriminalité à travers la SDLC ; la criminalité financière à travers la SDLCF ; la criminalité organisée comme la traite des humains ; la pédocriminalité ; les trafics d’art, de fausse monnaie etc. à travers la SDLCO.

Depuis le mois de janvier 2021, nous sommes répartis en 8 grandes directions zonales et une direction régionale à Versailles. Cette réforme est l’aboutissement de plusieurs mois de discussion, de mise à niveau réglementaire, de restructuration globale de l’architecture des outils et des compétences territoriales.

La PJ est une petite maison qui compte 6000 personnels environ mais avec une forte expertise.

Notre objectif est de trouver les preuves des infractions, leurs auteurs, et de les déférer devant la justice.
Sur le sujet police/justice que vous appréciez aborder dans vos interviews, j’ajoute que la garantie de la démocratie passe par le fait que chaque service gère sa mission de manière indépendante.
La police et la justice n’ont pas à être opposées mais à être complémentaires. En ce qui me concerne, il n’y a pas de débat.

Quelles sont vos actualités ?

Deux sujets transversaux nous semblent importants à développer en ce moment.

Les questions de management dans le cadre de la transformation publique.
Nous avons travaillé le management rénové avec des séances de coaching et d’accompagnement dans une culture de service qui n’est pas nécessairement habituée à ces process.

Un objectif de valorisation important grâce à la communication afin que tout citoyen comprenne mieux l’action menée par la police judiciaire. C’est pourquoi le Directeur général de la police national a souhaité densifier la parole de la police dans les médias en nommant des porte-paroles adjoints dont je fais partie pour l’investigation avec Lola Menahem. Michel LAVAUD, actuel porte-parole de la police nationale et son équipe nous accompagne au quotidien dans cette mission mais je crois savoir que vous les connaissez et notamment Olivier DI LULLO

La PJ est incontestable sur son action et, bien expliquée, intéresse beaucoup de personnes.

Où en êtes-vous sur le plan de l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle ?

J’ai fait un peu le deuil de retrouver un rythme « normal » mais c’est avec plaisir et beaucoup de conviction que j’accomplis ma mission, et j’arrive à faire des pauses !

  • A quelles pauses pensez-vous ?

La musique par l’exercice du piano, pratiqué entre amis et en famille, encore une fois, une question de rythme !

J’écoute sans modération des podcasts d’histoire avec une préférence marquée pour les biographies et les sujets sociétaux, pour la période de l’entre-deux guerres. J’ai une appétence pour cette période foisonnante culturellement parlant, dramatique et intense sur les questions politiques.

Pour ce qui est du sport, je pratique la course à pied, j’ai couru deux fois le marathon de Paris, mais désormais heureusement que mes collègues sont là pour me challenger (voire me pousser) au quotidien ! Ils se reconnaîtront…


Notes importantes

Il est obligatoire d’obtenir l’autorisation écrite de Valérie Desforges, auteur de l’interview, avant de reproduire tout ou partie de son contenu sur un autre media.
Il est obligatoire de respecter la légende et le copyright de la photo de Sonia Fibreuil.

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