Interview de Agnès Fournier de Saint Maur, commandant divisionnaire fonctionnel – Interpol France

Miss Konfidentielle a l’honneur de vous présenter une grande dame. Née en Auvergne, ouverte aux autres par l’apprentissage de langues étrangères, le droit et la criminologie/criminalistique, Agnès Fournier de Saint Maur suit un parcours passionnant. Interpol, la Direction générale de la police nationale (DGPN), la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), et depuis 2019 : Adjointe au chef du service chargé des actions de coopération européennes et internationales (SCACEI).
Nous viendrons sur ses anecdotes inédites relatives à des figures que vous connaissez et sur ses trois marqueurs qui ne manqueront pas de vous intéresser : l’affaire Dutroux (1996), les attentats du 11 septembre et l’élection de Madame Mireille-Ballestrazzi à la présidence d’INTERPOL (2012).
Puis sur un sujet en pleine préparation : la Présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) qui débutera le 1er janvier 2022. Nous nous quitterons sur une note personnelle sympathique. 

Bonjour Agnès,

Souhaitez-vous dire un mot à nos lecteurs pour commencer ?

Avec joie. D’origine bretonne, je suis néanmoins née en Auvergne, à Clermont-Ferrand, et je demeure attachée à mes deux régions : celle de ma famille la Bretagne et celle de mon enfance l’Auvergne. Une région de volcans et de paysages magnifiques, un peu rude mais tellement pleine de ressources !
J’essaie le plus souvent possible de rejoindre ma famille sur place pendant les vacances. C’est parfois dur de concilier retour au pays, travail et voyages mais c’est un équilibre à trouver !

Mon père était chef d’entreprise et ma mère professeur en collège. Personne n’avait choisi la carrière de policier dans ma famille auparavant ! Toute jeune je me souviens, j’avais 12 ans quand j’ai commencé à lire des romans policiers « de gare » comme les romans de James Hadley Chase qui décrivaient des milieux mafieux américains. Puis je me suis passionnée pour Starsky et Hutch, pour Rick Hunter dont le binôme était une jeune femme brune très dynamique.

Il n’en a pas fallu plus pour que à l’âge de 16 ans environ, à la question sur mon avenir, je réponde « je veux être policier » ! Stupeur et tremblements dans ma famille ! Mais au final je suis devenue inspecteur de police, tout comme mes héros de jeunesse !

32ème promotion d’inspecteurs de police, 630 élèves, une vingtaine de femmes, dont moi.

Un choix jamais regretté même s’il a été source de quelques sacrifices.

A peine affectée pour mon pré-stage avant l’entrée en école de police, au commissariat central de Clermont-Ferrand, je suis versée dans l’unité chargée des interventions de suivi « Police Secours ». Là mon quotidien est fait de décès divers et variés, plus ou moins sanglants… Un test de résistance certainement ! Test passé haut la main !

En sortie d’école, je suis affectée à la préfecture de police, commissariat de police judiciaire rue Clément Marot à Paris 8ème. Le cœur du Triangle d’Or. Les voisins du commissariat sont les maisons de production d’Alain Delon, Jean-Paul Belmondo ou Catherine Deneuve. La petite provinciale que je suis n’en croit pas ses yeux. Ayant eu l’occasion d’auditionner Alain Delon pour une broutille lors d’un tournage, j’ai gardé en souvenir une copie du procès-verbal signé de sa main…

Un autre jour déboule dans le commissariat Charles Hernu, alors ancien ministre de la défense. Il était hors de lui, furieux ca sa femme venait de se faire voler son portefeuille dans un cinéma situé hors de notre périmètre de compétence. Lorsque l’adjoint du chef de service lui en fait la remarque, il explose littéralement et cela s’est terminé par des auditions des personnels présents ce jour – dont moi ! – à l’inspection de la police afin de déterminer pourquoi nous « n’avions pas voulu » prendre la plainte de Charles Hernu…

Trois ans de commissariat parisien extrêmement formateurs pour une jeune inspecteur de police sortie d’école, à jongler entre susceptibilités de stars et affaires courantes. Il faut s’adapter sans cesse et être réactifs.

Le jour du bicentenaire de la révolution en 1989, les troubles liés aux pétards jetés le long du défilé sur les Champs-Elysées ont vidé les commissariats de quartier de leurs effectifs et je me suis retrouvée seule pour « tenir » le service dans un commissariat vide, à prier pour que rien de grave n’arrive…

Voilà quelques retours sur mes années de jeunesse !

Quelles études supérieures avez-vous suivi ?

L’University of Cambridge – First certificate in English, Langues étrangères et littératures, général (1982 – 1983); l’Université Blaise Pascal (Clermont-II) – Clermont-Ferrand DEUG, Droit (1983 – 1986); et l’Institut de criminologie de Paris – Université Panthéon Sorbonne Certificat de sciences criminelles et criminalistiques, Criminologie (1991 – 1992).

Ces quelques lignes comportent à elles seules les marqueurs de mes centres d’intérêt : l’ouverture aux autres par l’apprentissage de langues étrangères (bac A5 spécialité philosophie  et 3 langues étrangères (anglais, espagnol et russe), le droit et la criminologie/criminalistique. Sur le dernier point, j’étais déjà en poste à la Préfecture de police (Brigade Protection des Mineurs) et j’ai voulu reprendre mes études en parallèle de mon activité professionnelle car le contenu des enseignements de l’institut de criminologie de Paris m’apparaissait à la fois passionnant et indispensable pour un policier.

Votre parcours professionnel est passionnant. Racontez-nous…

Interpol :

  • Officier spécialisé chargé de la criminalité contre les enfants (1993 à 1999)

Chargée de la coopération policière internationale en matière de pédopornographie et lutte contre le tourisme sexuel. Gestion d’un groupe de travail spécialisé composé de policiers de 40 pays différents.

Ce groupe de travail spécialisé perdure de nos jours et demeure un rendez-vous important des policiers spécialistes dans cette thématique criminelle.

Les policiers sont comme les malfaiteurs, ils fonctionnent souvent en réseaux de confiance, formels et informels ! Pour les policiers rien ne vaut le contact personnel et de confiance, grâce à ce groupe de travail des échanges opérationnels se sont concrétisés judiciairement et des bonnes pratiques ont pu être insufflées là où il y avait un besoin. Je suppose que c’est toujours le cas aujourd’hui. Les criminels s’organisent en réseaux, les policiers aussi !

Grâce à ces réunions régulières, j’ai construit des amitiés professionnelles puis personnelles solides, qui perdurent actuellement… Avant le Covid, nous avons toujours réussi à nous retrouver à un des quatre coins du monde ! En Australie, au Chili et en 2020 ce devait être en Afrique du Sud…

  • Sous- directeur chargé de la lutte contre la Traite d’Etres humains (1999 à 2001)

Création de la sous-direction, recrutement de personnel international, gestion des relations presse/médias, organisation de séminaires et conférences spécialisées.

Une grande fierté personnelle : avoir réussi à défendre la cause de la thématique criminelle dans laquelle je travaillais au point de se voir confier la responsabilité de créer un service là où au départ j’étais seule.

J’ai quitté Interpol avec la satisfaction de laisser derrière moi un service en pleine expansion et composé de personnes aussi passionnées que moi qui ont su entretenir et développer le savoir-faire policier et les outils professionnels, notamment numériques.

Direction générale de la police nationale (DGPN) :

  • Cabinet des affaires européennes et internationales

Gestion de la candidature française à l’accueil du siège du CEPOL (Collège de police européen). Création du dossier de candidature en partenariat avec une entreprise privée de communication (2001).

Un court passage dans un service où je n’ai pas accroché du tout avec le chef de service. La gestion de la candidature française au siège du CEPOL m’a permis d’apprendre à travailler avec le secteur privé (agence de communication) et à construire un dossier argumenté pour ce type d’enjeu …. Nous ne l’avons finalement pas obtenu au profit de la Hongrie mais la décision était principalement politique. Une courte expérience mais intéressante malgré tout de ce fait.

  • Chef de département des relations internationales à l’Unité de coordination de la Lutte Antiterroriste

Création du département relations internationales dans le contexte post attentats du 11 septembre 2001. Interface avec les directions actives, les ministères et les partenaires étrangers. Représentation française au sein des groupes techniques spécialisés du secrétariat du Conseil de l’UE et du G8 (Groupe Lyon Rome) (2001 à 2006).

Là encore une belle aventure. Dans le contexte des attentats du 11 septembre et de mon poste précédent, je me vois proposer d’intégrer l’UCLAT. A cette époque, l’UCLAT est une unité de coordination qui comporte une vingtaine de personnels. Dirigée par un contrôleur général et un commissaire divisionnaire, elle est composée d’officiers chevronnés de la lutte anti-terroriste tous spécialistes d’un type de terrorisme : basques, corses, groupes algériens, etc…

Le 11 septembre bouleverse la donne, fait entrer dans le « jeu » les Etats-Unis face à un ennemi difficilement saisissable, la nébuleuse Al Qaïda. Dans mon entretien d’embauche avec le chef de service, je lui dis d’entrée que je n’ai pas de culture de la lutte antiterroriste – mais que j’apprends vite – par contre je parle anglais et je maîtrise les méandres de la coopération internationale et de ses enceintes.

Le dernier chef de l’UCLAT avant que je parte, le CG Gilles Leclair m’a proposé de le suivre lorsqu’il est devenu sous-directeur de la lutte contre le crime organisé et la délinquance financière à la DCPJ. J’ai accepté. Un nouveau challenge s’offrait à moi.

Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) :

  • Coordinateur de la coopération internationale

Coordination de la coopération internationale stratégique pour la sous-direction de la lutte contre le crime organisé. Représentation du sous-directeur au sein des enceintes internationales stratégiques spécialisées dont la Task Force des Chefs de Police. (2006 à 2009)

L’idée de ce poste était de soulager les Offices centraux de la sous-direction de la partie stratégique/institutionnelle de la coopération policière européenne afin de leur permettre de se concentrer sur l’opérationnel. Une excellente initiative je pense. Bien plus tard, compte-tenu de l’évolution dans ce domaine, chaque sous-direction de la DCPJ sera amenée à créer un service dédié à l’analyse stratégique et à l’institutionnel européen afin de gérer au mieux les sollicitations sans cesse croissantes et se projeter dans l’avenir européen, ses enjeux et ses défis.

  • Chef de la section Négociations Internationales – Division des relations internationales

Gestion stratégique et institutionnelle des relations bilatérales et multilatérales de la France avec les pays et organisations partenaires, en matière de police judiciaire. Gestion des candidatures stratégiques de haut niveau au sein de l’Organisation INTERPOL (Comité exécutif), recrutement de personnels français mis à disposition, planification des ressources et interface avec les administrations d’emploi. Préparation des positions et éléments de langage français en vue des réunions statutaires d’INTERPOL. (2009 à 2011)

Au sein de la DCPJ, j’ai souhaité rejoindre ce service qui est le gestionnaire national des canaux de coopération policière européens et internationaux (Interpol, Europol et Schengen). La Section des Négociations Internationales (SNI) est chargée de l’aspect institutionnel en lien avec Interpol notamment. Elle dépend du service pour lequel j’exerce actuellement les fonctions d’adjoint au chef de service, le SCACEI.

Ainsi, je reprenais contact avec Interpol mais du côté français, avec une vision nationale de l’Organisation et de son action. La France est non seulement pays membre d’Interpol, elle est aussi le pays du Siège, ce qui lui donne d’autant plus de responsabilités.

  • Depuis janvier 2019, Adjoint au chef du service chargé des actions de coopération européennes et internationales (SCACEI)

Service chargé des relations stratégiques entre la Direction centrale de la police judiciaire (France) et les organisations de coopération policière européenne (Europol) et internationale (Interpol).

Service à dimension institutionnelle au sein de la DCPJ, son travail est fortement marqué par la stratégie de positionnement de la France au sein des instances de gouvernance des agences de l’UE chargées de l’application de la loi et de l’Organisation Interpol.

Après avoir beaucoup travaillé sur l’opérationnel, j’ai eu envie d’évoluer sur la dimension stratégique/politique qui est également un moteur important de la bonne coopération policière. J’ai eu la chance par ce biais d’accompagner les différentes campagnes électorales du DCPJ, Mme Mireille BALLESTRAZZI, dans sa progression au sein des instances de gouvernance d’Interpol (2010 vice-présidente pour l’Europe, 2012-2016  présidente d’Interpol), puis le mandat du chef de la DRI, le CG Jean Jacques COLOMBI (2017-2021), comme membre du comité exécutif d’Interpol (il est maintenant conseiller affaires européennes et internationales du DGPN).

Aujourd’hui, le focus est plus européen avec la PFUE (j’avais déjà travaillé sur la PFUE 2008 sur la Task Force des chefs de police) et mon dernier challenge professionnel consiste à me pencher plus en profondeur sur l’institutionnel européen au travers des différents dossiers que nous gérons (projet EPRIS ADEP de TAJ européen, recast du règlement Europol, Code de coopération policière, etc ..). Autant de sujets passionnants qui conditionnent la police du futur, les relations entre services au niveau européen et les outils qui formeront l’arsenal des policiers de demain.

Avec le recul de presque 30 années de carrière, quels sont vos plus forts marqueurs ?

Après tant d’années, en jetant un coup d’œil par-dessus mon épaule, je trouve que ce qui se passe actuellement sur le plan législatif, communication, prise de conscience de la population ressemble beaucoup à ce que j’ai vécu il y a de nombreuses années tant en matière de criminalité et violences sexuelles à l’encontre des enfants que par exemple en matière de lutte antiterroriste. C’est déconcertant. DUTROUX a été remplacé par d’autres pervers pédophiles et le Bataclan a succédé au 11 septembre 2001. Les mêmes faits entraînent les mêmes engagements qui génèrent les mêmes résultats. Ce qui ne constitue pas forcément une avancée selon moi malheureusement, au mieux la fin d’un cycle, mais motive malgré tout mes jeunes collègues à s’engager également dans cette lutte perpétuelle.

Les affaires « marquantes » sont indubitablement des jalons dans une carrière policière, des aiguillages. Elles sont des marqueurs qui motivent un engagement et donnent du sens à un parcours professionnel.

Je pense à trois marqueurs au sein de ma carrière, déjà mentionnés brièvement : l’affaire Dutroux (1996), les attentats du 11 septembre. Et l’élection de Madame Mireille-Ballestrazzi à la présidence d’INTERPOL (2012).

L’affaire Dutroux

Les faits sont anciens, prescrits donc on peut en parler. J’ai été marquée par l’affaire criminelle bien sûr mais aussi et surtout par le tremblement de terre politique et médiatique qu’elle a généré, notamment et principalement en Belgique mais également dans le monde entier pour les populations et bien entendu  pour toutes les personnes qui travaillaient à la protection de l’enfance.

En 1996, internet n’existe pas. Les outils utilisés par les policiers n’étaient pas facilités par les moyens informatiques et scientifiques que nous avons aujourd’hui.

A l’occasion de cette affaire, le travail des policiers spécialisés dans ce type de criminalité a été mis en lumière, reconnu pour sa dimension hautement spécialisée et très impactante psychologiquement.

Les affaires de brigades des mineurs allant souvent aux assises, elles nécessitaient des enquêteurs affutés. En 1996, c’était les balbutiements de la police scientifique. Plus tard, j’ai notamment eu l’opportunité de croiser professionnellement Richard Marlet que vous connaissez, dont la parole est fascinante dans ce domaine.

Vous l’avez compris, j’ai vécu cette affaire indirectement. A l’époque je sortais de la brigade des mineurs de Paris. J’avais réussi à intégrer le services juridique d’INTERPOL, j’avais un pied dans l’organisation comme je le souhaitais. En six mois je suis passée du service juridique aux affaires de police, et notamment à la lutte contre la pédocriminalité.

L’affaire Dutroux a commencé par deux enfants que l’on recherche.

La Belgique étant un petit pays par sa superficie et au cœur de l’Europe, je me bats pour que le magistrat belge accepte de travailler avec Interpol pour diffuser la disparition de ces jeunes filles. Mission réussie. Interpol devient un interlocuteur en la matière qui pourrait apporter des solutions. Malheureusement trop tard, les enfants sont découvertes mortes. Rapidement l’affaire enfle et les médias se déchaînent sur les conditions de l’enquête menée par les autorités belges. Nous recevons de nombreuses sollicitations politiques et médiatiques afin de savoir quelle est la dimension du phénomène pédophile criminel au niveau international et les réponses apportées par les pays et la communauté internationale.

Le climat est sensible mais je vois l’opportunité de communiquer sur un type de criminalité odieux et sur le fait qu’Interpol et les services de police de ses pays membres peuvent, ensemble,  accomplir beaucoup plus de choses que l’on ne peut imaginer. Dans ce contexte, j’ai bénéficié de l’écoute et de l’empathie des médias qui ont relayé notre message et contribué largement à l’information de la société civile, à la mobilisation des ONG et à celle des politiques. A l’époque, les journalistes étaient sincèrement intéressés par ces sujets et cherchaient à aider les forces de l’ordre dans leur démarche de sensibilisation et de priorisation de cette thématique..

L’affaire Dutroux et les manquements identifiés ont formé le terreau de la refonte de la police belge vers une police fédérale, visant à tendre vers une cohésion renforcée, une unité police – gendarmerie.

Elle n’a pas empêché malheureusement le phénomène criminel de prendre de l’ampleur et, encore de nos jours, de menacer la vie de millions d’enfants.

Les attentats du 11 septembre

J’ai eu la chance d’intégrer le cabinet du directeur général de la police nationale en 2001. Mon parcours sortait du schéma classique, il n’était alors pas simple de réintégrer la police nationale après une mise à disposition de plusieurs années. C’était deux jours avant les attentats sur le sol américain.

A l’époque j’étais une femme de 35 ans qui rejoignait à l’UCLAT (Unité de coordination de la lutte antiterroriste) des officiers chevronnés de la lutte anti-terroriste, tous masculins. Lorsque je suis arrivée, j’étais une OVNI. Regardée par certains avec un certain dédain, il a fallu que je m’impose et au fur et à mesure du temps, Au-delà des affaires basques, corses ou algériennes, j’ai su faire ma place dans un domaine qui jusque-là n’avait pas suscité la nécessité d’un positionnement particulier : l’internationalisation du terrorisme.

Avec le 11 septembre, les Etats-Unis ont réalisé que le terrorisme islamiste pouvait les frapper sur leur sol, avec la complicité de relais internationaux. Les américains se sont tout de suite mobilisés à 100% pour gérer la situation. Alors située au cœur du rouage, je décide d’apporter ma pierre à l’édifice. Sortant de 8 ans de coopération policière internationale, je parle couramment anglais et je maîtrise les rouages de cette coopération, ce qui facilite de suite les échanges avec les américains mais également au cœur des groupes de travail dédiés au niveau européen et international. A ce moment, peu d’officiers pratiquent l’anglais.

Je vais passer 5 années passionnantes dans ce service. Je vais découvrir une thématique et assister à la mise en place des structures européennes de lutte anti-terroriste, tant au sein d’Europol que dans les groupes de travail spécialisés du Conseil de l’UE ou de l’ONU. De grands moments de solitude lorsque les positions défendues ne faisaient pas l’unanimité et de grands accomplissements lorsque de nouveaux moyens sont venus enrichir l’arsenal judiciaire et policier.

Une sorte d’ultime hommage aux victimes, c’est comme cela que je l’ai vécu. C’est malheureux de se dire que, à chaque fois, il faut des drames pour que les choses se modifient et évoluent.

Le 11 septembre a marqué un tournant pour les services de lutte antiterroriste et les a fait évoluer vers ce qu’ils sont actuellement..

L’élection de Madame Mireille-Ballestrazzi à la présidence d’INTERPOL

Interpol est une organisation internationale dont le vécu, le développement et, je l’espère, l’avenir sont intrinsèquement liés à la France. La France comme pays membre mais également comme pays du siège.

Si Interpol a connu précédemment des secrétaires généraux et des présidents français, cela faisait quelques années que notre pays n’avait plus été représenté à un tel niveau. Mme Ballestrazzi, en tant que directeur central de la police judiciaire, est ce que nous qualifions dans notre jargon, un « grand flic ». Un grand flic de police judiciaire doublé d’une visionnaire notamment sur les sujets liés à la coopération policière internationale.

D’abord déléguée pour l’Europe au sein du Comité exécutif puis membre de la Commission de contrôle des fichiers de l’Organisation, c’est en 2010 qu’elle se lance dans la course à la vice-présidence pour l’Europe puis en 2012 à la présidence du Comité exécutif. Première femme élue à ce poste qu’elle occupera pendant 4 ans, j’ai eu l’honneur de participer pleinement à ses campagnes successives et d’accompagner cette grande dame de la police jusqu’à la fin de son mandat en 2016.

C’était à la fois un grand honneur et une grande joie de voir, à travers elle, la France rayonner à ce point dans le monde.

La France doit se positionner avec ambition au sein de ces enceintes tant européennes qu’internationales afin de promouvoir sans cesse plus notre savoir-faire et nos modes de fonctionnement. Nous devons soutenir la coopération internationale la plus large en matière policière et judiciaire, dans le respect bien entendu des règles établies. Compte-tenu de l’évolution de la criminalité et de sa capacité à se jouer des frontières et des forces de police, il est impératif que les enceintes de coopération policière européennes et internationales soient soutenues notamment politiquement par des positionnements ambitieux en leur sein. L’élection de Mme Ballestrazzi a été l’un de ces grands moments professionnels que je suis heureuse d’avoir vécu et modestement accompagné.

Et si nous évoquions les actualités ? Qu’en est-il de la PFUE 2022 ?

La PFUE est un enjeu colossal pour notre pays. Chaque ministère est concerné par ce positionnement de 6 mois à la tête du Conseil de l’Union européenne et propose des priorités en lien avec son corps de métier. Pour moi, au sein de la DCPJ, l’objectif premier est avant tout d’assurer une architecture de sécurité européenne intérieure solide, autonome, tournée vers les besoins opérationnels des Etats membres.

Travaillant dans un service axé vers l’européen et l’international, cette échéance revêt un vrai sens et nous incite à l’utiliser au maximum pour pousser nos priorités ; Nous sommes ainsi au cœur de chantiers importants comme la modernisation des décisions Prüm permettant les échanges automatisés de données empreintes, ADN et véhicules et bientôt reconnaissance faciale et balistique entre Etats européens, comme le projet EPRIS visant à permettre une interrogation automatisée des fichiers d’antécédents policiers des pays de l’UE ou la révision du Règlement Europol régissant le fonctionnement de l’agence européenne.

Tous ces chantiers n’ont qu’un seul objectif : faciliter le travail des policiers européens afin de leur proposer plus de solutions intégrées comprenant des outils automatisés et des possibilités d’interaction afin de mutualiser l’information criminelle dans cet espace de confiance qu’est l’Union européenne.

La PFUE est donc une formidable opportunité pour tous les policiers français de voir progresser les chantiers européens pour que dans un avenir pas trop lointain les criminels et les terroristes ne soient pas les seuls à bénéficier de l’abolition des frontières intérieures. L’Union européenne est un espace de Justice, de Liberté et de sécurité avant tout !

Tous vos sujets sont bien sérieux…  et ils nécessitent de prendre soin de vous

Oui, ils nécessitent un mental fort et résilient. Ils nécessitent de pouvoir régulièrement lâcher prise et voir et faire d’autres choses. Lorsque je travaillais sur les sujets liés aux violences contre les enfants, je me souviens d’une amie philippine qui m’a dit un jour en m’offrant un petit cadeau pour la St Valentin : You have to see and enjoy also the beauties of life ! (tu dois aussi contempler et profiter des beautés de la vie !) C’est exactement cela : pour être fort dans son travail, il faut être fort dans sa vie personnelle et cela passe par une forme de détachement pour se ressourcer et repartir de plus belle ! Ne pas se laisser submerger par le côté obscur de notre métier et toujours garder en tête que la vie est belle ….

Pour moi cela se traduit aussi par un entretien physique à base de pilates et de yoga pour être également forte sur mes bases !

D’un point de vue plus personnel, j’ai un goût prononcé pour les voyages et les belles rencontres. J’ai eu la chance d’en faire plusieurs dans ma carrière et je savoure encore le bonheur que cela apporte !

Travailler dans la coopération policière internationale est pour cela une vraie opportunité et j’en ai beaucoup bénéficié.

J’ai eu des coups de coeur pour plusieurs pays : l’Australie, l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Chili …. Je me souviens en particulier d’une discussion il y a longtemps en Afrique du Sud avec un collègue policier issu des escadrons de la mort de l’ancien régime De Klerck, ces escadrons qui intervenaient violemment dans les townships … Il était marqué à jamais par ce passage dans ces unités d’intervention et le fait de pouvoir en parler avec une collègue étrangère l’aidait à sortir toute cette douleur accumulée des exactions commises dans ce contexte. Une expérience intense et douloureuse qu’on ne vit pas tous les jours …

Sinon, j’apprécie beaucoup également de marcher, de me promener dans la nature, à la découverte de la faune et de la flore où que je sois, en France ou ailleurs. Marcher, c’est comme faire du pilate, cela me permet de me sentir … vivante !

Une citation ? une reprise de Charles de Talleyrand-Périgord « Là où tant d’hommes ont échoué, une femme peut réussir » ! Je pense pouvoir dire avoir réussi ma carrière de femme dans la police !

Miss Konfidentielle est impressionnée par ce parcours au féminin et ne peut qu’inciter les jeunes filles et jeunes femmes à s’investir pleinement dans des voies qui les passionnent. L’engagement, la persévérance, la bienveillance, l’humilité, le sens de l’écoute et de l’humour … sont des qualités propres à Agnès de Saint Maur et à toutes celles qui le décident. A chacune de tracer sa route !


Notes importantes

Il est obligatoire d’obtenir l’autorisation écrite de Valérie Desforges, auteur de l’interview, avant de reproduire tout ou partie de son contenu sur un autre media.

Il est obligatoire de respecter les légendes et les copyrights des photos publiées dans l’interview :
En Une : Agnès Fournier de Saint Maur à la Cité interdite à Pékin en 2017 © Agnes Fournier de Saint Maur
Photo en fin d’interview (gauche) : © Agnès Fournier de Saint Maur à l’AG Interpol 2018 à Dubai
Photo en fin d’interview (droite) : © Agnès Fournier de Saint Maur à l’AG Interpol 2019 à Santiago du Chili

1 commentaire
  1. DESSERT Adrien dit

    Belle carrière avec cette expérience de coopération internationale où les langues étrangères sont tellement précieuses; elles ne servent pas uniquement à dialoguer en direct mais souvent à mieux comprendre l’environnement, les réactions de nos interlocuteurs.

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