Le métier d’Enquêteurs de Première Information (EPI) avec Emmanuel Sillon et Eric Mortier (BEA-É)

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Miss Konfidentielle a été invitée à suivre une journée de formation au Bureau enquêtes accidents pour la sécurité aéronautique de l’Etat (BEA-É) sur la base de Villacoublay en vue de partager avec vous le métier d’Enquêteurs de Première Information (EPI). Une expérience passionnante qui fait suite à l’interview du général Jérôme Rabier réalisée sur site que vous avez fortement appréciée. Une manière de poursuivre ainsi l’acquisition de nos connaissances de manière sympathique sur le BEA-É.

Stage EPI au BEA-E, étude de l’épave d’un hélicoptère Gazelle © Valérie Desforges

Présentation du dispositif des Enquêteurs de Première Information (EPI)
par le Colonel Emmanuel Sillon, Directeur adjoint BEA-E.

  • Présentation générale du dispositif

Dès la création du Bureau enquêtes accidents pour la sécurité aéronautique de l’Etat (son appellation en 2002 était le Bureau Enquêtes Accident Défense –BEAD), le dispositif des enquêteurs de première information (EPI) est également lancé afin de garantir un traitement optimal des enquêtes de sécurité au service de l’aéronautique étatique selon les modalités définies par l’annexe 13 de la convention de Chicago (instaurant l’organisation internationale de l’aviation civile-OACI), et ses déclinaisons nationales, législative et réglementaire.

Les EPI sont issus de tous les organismes d’Etat possédant une flotte aéronautique (ministère des armées, ministère de l’Intérieur, ministère de l’économie, des finances et de la relance). Ils sont répartis sur l’ensemble du territoire national, en métropole, en outre-mer, sur le porte-avions et les théâtres d’opérations extérieures.

Les EPI, volontaires pour remplir ce rôle, sont sélectionnés par leur organisme d’appartenance. Leur désignation pour être formés et intégrés au vivier du BEA-É relève du directeur du BEA-É.

Chaque EPI bénéficie d’une formation initiale constituée de deux modules : le premier d’une semaine est réalisé par l’Institut Français de Sécurité Aérienne (IFSA) et permet d’aborder les fondamentaux réglementaires et méthodologiques des enquêtes de sécurité ; le second de quatre jours, est dispensé par les personnels du BEA-E au sein de ses installations. Il présente un caractère plus pratique sur les modalités d’exécution des premiers actes d’enquête de sécurité avec la réalisation d’un exercice synthèse à partir d’une épave d’instruction.

Cette étape franchie, chaque EPI est agréé par le directeur du BEA-É. Lors d’un déclenchement d’enquête de sécurité, l’EPI est formellement désigné par le directeur du BEA-É pour participer à l’enquête, et donc pour effectuer les premières opérations d’enquête et collecter le maximum d’informations dans les temps les plus brefs après l’événement aérien.

Les EPI bénéficient également de période de recyclage correspondant au second module de formation initiale dans les 3 à 5 ans après leur primo-formation. Une participation à un groupe d’enquête durant ce laps de temps vaut recyclage.

Le volume annuel de formation s’élève à 12 nouveaux EPI. Aujourd’hui, la communauté des EPI représente une centaine de personnels formés et prêts à intervenir en appui du BEA-É pour des enquêtes de sécurité.

  • Les EPI en situation de crise

L’événement aérien est par définition une situation de crise de haute intensité par les conséquences matérielles, industrielles et humaines qu’il représente et de plus en plus, en raison du retentissement médiatique, politique, voire diplomatique qu’il peut générer.

Dans ce contexte, l’intervention du BEA-É et la conduite de l’enquête de sécurité qui recherche les causes « racine » de l’évènement pour déterminer uniquement des axes de prévention, sont donc toujours complexes et sensibles.

Dans ce cadre, l’EPI est totalement intégré à l’équipe d’investigation sous la direction d’un directeur d’enquête. Son rôle, consistant à se projeter dans les meilleurs délais sur le lieu de l’évènement, est déterminant afin de procéder aux premiers constats circonstanciels et matériels, sécuriser la zone en coordination avec les forces de sécurité également mobilisées pour la conduite de l’enquête judiciaire qui recherchera les éléments constitutifs de responsabilités pénales, circonscrire les risques de perte d’indices et apporter par son compte-rendu au directeur d’enquête BEA-É, sa perception de la situation. Sous la conduite de ce dernier, il procède à l’ensemble des actes d’investigation demandés.

Considérant que tout se joue dans les commencements, la qualité de son intervention est fondatrice pour la poursuite de l’enquête.

En synthèse, son action se caractérise :
– par la proximité dans la logique du maillage recherché sur l’ensemble du territoire national et en opérations ;
– par la réactivité qui découle de la proximité mais qui repose néanmoins sur la disponibilité consentie [1] de l’EPI liée à son engagement au service de la sécurité aérienne ;
– par son professionnalisme et sa rigueur dans l’application de la méthodologie enseignée ;
– par enfin son caractère complémentaire et indispensable à la conduite réussie d’une enquête de sécurité aéronautique.

Au-delà de ces situations d’urgence, la communauté des EPI s’inscrit dans l’écosystème plus global de la sécurité aérienne et contribue dans le « temps courant », au processus continu d’amélioration de la SA.

[1] Nous parlons de « disponibilité consentie » car dans les forces, la fonction d’EPI ne repose pas sur un régime d’astreinte identifié comme tel.

  • Les EPI du quotidien

Cette action dans « le temps courant » des EPI s’intègre en effet à l’écosystème global de préservation de la sécurité aérienne pour l’aéronautique étatique.

Nous entendons par là :
– Les structures humaines (la Direction de la Sécurité aéronautique de l’Etat (DSA-E), le BEA-É, les grands commandements au sein des différentes AE, les écoles de formation, les bureaux maîtrise des risques, officier de sécurité aérienne ou encore référent SA) qui participent à la sécurité aérienne ;
– Les différents référentiels réglementaire et documentaire d’exploitation des aéronefs ;
– Les processus qui en découlent en matière de sécurité aérienne et plus particulièrement : la remontée de l’information intéressant la SA, son exploitation, et sa valorisation en boucle retour vers les exploitants et les équipages.

Dans cet espace d’intervention, les EPI trouvent leur place à la fois dans les chaînes humaines qui font vivre la SA, et dans l’animation des processus liés à l’information de SA et au retour d’expérience.

Ils agissent tout d’abord en relai et en complémentarité des chaînes organiques existantes. Ils peuvent d’ailleurs être employés par ces dernières pour participer à des enquêtes internes dans une logique de valorisation de la méthodologie d’enquête mais sans que cela soit au titre de leur qualité d’EPI.

De même, les EPI prolongent l’action du BEA-É par infusion de la culture de sécurité aérienne et par une sensibilisation des personnels aux causes « racines » des faits aériens mises en évidence le BEA-É au gré des enquêtes de sécurité qu’il conduit. Ils représentent également des capteurs fins, de signaux de basse intensité, potentiellement annonciateurs de faits majeurs.

  • Conclusion

Pour conclure notre présentation synthèse du dispositif des EPI, retenons en premier lieu leur importance fondatrice dans la conduite des enquêtes de sécurité conduite par le Bureau Enquêtes Accident pour la sécurité aéronautique de l’Etat, par leur réactivité et leur engagement authentique et particulièrement méthodique au service de la sécurité aérienne.

Soulignons également leur rôle de sensibilisation « descendante » et « montante » dans le processus continu de préservation et d’amélioration de la sécurité aérienne au service de la continuité d’action de nos forces et la préservation des vies de nos équipages.

De nombreux enjeux sous-tendent donc l’action de cette communauté et intégrée à celle du BEA-É. Il importe ainsi de poursuivre sa formation et son animation éclairée et valorisante pour tous.

Témoignage du lieutenant colonel Eric Mortier,
réserviste et formateur au BEA-É

  • Des expériences marquantes avec des EPI

Je commencerais par dire que j’ai eu la chance d’avoir presque à chaque fois un EPI sur une enquête.

Je pense à deux faits marquants où l’EPI sur place a été d’une aide déterminante :

En 2010 : 1ère perte d’un avion qui était à bord du porte-avion Charles de Gaulle, c’était un rafale, dans l’océan indien. On a été prévenu par un EPI alors que j’étais d’astreinte. En direct, on a pu lui donner les consignes en attendant de rejoindre l’accident en pleine mer au bout d’une semaine.
Le délais d’une semaine est important, heureusement que cet EPI à bord à fait un travail remarquable (témoignages à chaud de l’équipage, enregistrement des caméras à bord récupéré, état de la maintenance de la machine … ). Une fois rendu à bord, il m’a remis un dossier complet et je l’ai employé une dizaine de jours.

En 2012 : un appareil étranger de transport s’est écrasé en France en Lozère. Les 5 personnes à bord sont décédées. Le groupe d’enquête est arrivé 24h après, le temps était exécrable.
En attendant, l’EPI a dessiné un croquis à l’ancienne (crayon sur une page blanche) sachant que le périmètre à couvrir était de 2 km sur 800 m.
Avec des groupes de débris à certains endroits, il nous remontait l’état de la situation très régulièrement.
Comme c’était à la frontière de 3 départements, les élus locaux, les civils, les autorités étrangères… sont arrivés sur place. Il a fallu avec l’aide des gendarmes empêcher les personnes de marcher sur la zone à étudier.

L’EPI vit durant son détachement au profit du BEA-É un temps particulier riche de nouvelles expériences. Un temps qui lui permet de vivre d’autres expériences. Pour rappel, les EPI sont issus de toutes les AE.

  • Un acteur central de la formation des EPI

Dans le cadre d’une journée de formation comme aujourd’hui à laquelle vous participez, il est vrai que je joue un rôle central.

Nous travaillons sur une intervention d’épave réelle, il s’agit d’une gazelle, en respectant son histoire.

Mon rôle précis a été de mettre en place le stage, de m’assurer que la journée de formation soit de qualité afin que les EPI soient in fine sur le terrain.

De manière générale, j’ai un esprit de transmission auprès des EPI, qu’ils soient débutants ou recyclés.

  • Le temps de préparation d’un stage EPI 

Il fait compter 2 mois pour organiser un stage.

Cela nécessite d’identifier en amont les candidats sur tout le territoire et leurs besoins. On les choisis en concertation avec les autorités d’emploi.
On tente d’avoir un maillage le plus homogène possible sur tout le territoire pour être le plus réactif possible sur un accident. En métropole et en Outre-mer. Veiller à l’armement constant de ces places sur le PA (porte-avions), en OPEX et en Outre-mer. En métropole c’est plus facile.

La force des EPI c’est aussi la question de la standardisation de ce qu’il a reçu, aux interventions qu’il vit, qu’elles soient bien normées, la plus homogène possible.

Le Module actuel se décompose en 2 semaines pour les nouveaux :
– 1 semaine de référentiel technique à Balard avec une « teinte » aviation civile en plus de l’aviation militaire
– 1 semaine dans les murs du BEA-É où je chapote les cours avec des directeurs d’enquêtes du BEA-É et prestataires extérieurs (gendarmerie de l’air, médecin chef de la base..) . Je fais la moitié des cours.
On fait des exercices sur le terrain, des simulations comme ce que vous avez vu : une épave dans un hangar de la base de Villacoublay avec une gazelle.

On travaille avec les EPI au bon suivi des process.
12 EPI, 6 nouveaux et 6 recyclés ce jour-là.
2 formations chaque année.
12 nouveaux et 12 recyclés = 24 EPI/an.

Les recyclés qui sont intervenus sur des accidents en 2 ans auront moins besoin de réviser que ceux qui n’ont pas eu d’accidents.

Les stagiaires interviennent en fin de stage afin d’être testés pour apprécier ce qui a été retenu et pas retenu. Il n’est pas question de notes, simplement d’ajuster les connaissances si cela est nécessaire.

Les EPI repartent avec toute la littérature des 2 semaines.
Une check-list aussi avant d’aller sur le terrain.

Tout à la fin du stage, les stagiaires nous remettent un questionnaire qualité car nous sommes toujours dans une logique de perfectionnement.

Ce sont les événements qui commandent, certains EPI ne seront jamais employés alors que d’autres « le seront » à plusieurs reprises. Cela dépend des lieux d’accidents.

Les EPI peuvent être employés par les autorités d’emplois sur d’autres sujets.
On leur demande de se faire connaître pour être repéré pour d’autres emplois.

On peut dire de fait que la formation délivrée dépasse le cadre de l’emploi au sein du BEA-É.

Un mot de la fin pour chacun ?

Eric Mortier : Je souhaite imprimer une dynamique auprès de la communauté qui souhaite être employée et qui ne l’est pas.

Emmanuel Sillon : Je pense aux lunettes immersives de demain en simulation afin de travailler sur de nouveaux cas au titre de la formation.

Les personnes qui animent le stage sont très impliquées, proactives.

Vous avez participé au stage Miss Konfidentielle en endossant le rôle d’une journaliste qui se comporte de manières différentes (polie ; intrusive ; désagréable…).
C’est bien d’avoir dans le cadre du stage une journaliste qui ne se comporte pas comme il le faudrait, pose des questions aux EPI…. La journaliste, habituellement Adeline Montsch rédige un article en forçant le trait afin de former les EPI à répondre avec à-propos aux medias.

Stage EPI au BEA-E, étude de l’épave d’un hélicoptère Gazelle © Valérie Desforges

Note importante

Il est interdit d’utiliser tout ou partie de -l’article et des -photos sans l’autorisation écrite de Valérie Desforges.

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