Interview de Dorothée CLOÎTRE, Référente nationale violences intrafamiliales pour la Gendarmerie nationale
Le jeudi 24 février 2022 – Miss Konfidentielle a rencontré Dorothée CLOÎTRE à Beauvau en vue de prendre connaissance de ses actions et de celles des gendarmes menées dans le cadre des violences intrafamiliales en métropole et en Outre-mer. Une thématique majeure pour laquelle chacun d’entre nous devrait se saisir. Dorothée CLOÎTRE a saisi le sujet avec sérieux et rigueur et partage avec nous de manière factuelle et synthétique les avancées de la Gendarmerie nationale.
Bonjour Dorothée,
VOUS ETES LA REFERENTE NATIONALE « VIOLENCES INTRAFAMILIALES »POUR LA GENDARMERIE
- Quel est le contexte ?
Le 1er septembre 2021 est une date importante pour moi puisque c’est celle de ma prise de fonction en tant que Référente nationale « violences intrafamiliales » avec une remise de lettre de mission très précise du général Christian RODRIGUEZ, Directeur général de la Gendarmerie nationale (DGGN).
Evidemment, en tant que responsable de sécurité publique, j’avais bien compris que la problématique des violences intrafamiliales, dites VIF, était importante mais je n’avais pas mesuré à quel point il existait un problème de fond sur cette thématique des violences au sein de notre société.
Il s’agit d’une manière générale de lutter contre les inégalités, selon d’ailleurs l’impulsion politique voulue au cours de ce quinquennat. La création de mon poste s’inscrit ainsi dans une succession de mesures prises depuis le Grenelle des violences en septembre 2019.
- Quelles sont les actions concrètes menées ?
Le dispositif général mis en place par la gendarmerie est solide et désormais éprouvé. Il s’agit surtout pour moi d’en assurer la cohérence d’ensemble, de valoriser les initiatives locales, et de mieux faire connaître nos actions à nos partenaires comme les associations de victimes avec lesquelles nous multiplions les échanges pour toujours s’améliorer.
Parmi nos mesures clés, je pense aux Maisons de protection des familles, dites MPF.
Les maisons de protection des familles voient le jour pour permettre de mieux accueillir la parole des victimes, d’être identifiées comme un interlocuteur des partenaires départementaux, et d’impulser une dynamique de prise en compte et de lutte contre les violences intrafamiliales, sous la responsabilité du commandant de groupement.
En appui des brigades, les MPF suivent les personnes vulnérables telles que les femmes violentées mais aussi les mineurs, les personnes âgées et les handicapés vulnérables. Aspect fondamental de ce travail, elles mènent également des actions de sensibilisation et de prévention. A cet égard, je dois saluer les militaires qui y sont affectés pour leur remarquable investissement et leur capacité à proposer des bonnes pratiques.
Aujourd’hui, il existe 81 MPF et d’ici fin 2022, il y en aura dans tous les départements, en métropole et en Outre-mer.
Le relais des MPF dans les unités territoriales sont les référents VIF qui ont reçu la formation commune à tous les gendarmes mais qui souhaitent s’investir particulièrement dans ce domaine. Certains ont une formation ou une technicité particulière. Cette organisation permet notamment que les dossiers de VIF des unités territoriales soient traités de manière prioritaire pour protéger la victime le plus rapidement possible.
Nous avons également renforcé notre formation dans ce domaine sensible.
La particularité des violences conjugales est qu’elles sont à la fois ce que l’on appelle une délinquance de masse, c’est à dire qu’il y a de nombreux faits, mais elles sont aussi dissimulées car elles ont lieu au sein du foyer. Leur compréhension est complexe d’où la nécessité que tous les gendarmes soient bien formés.
D’ici fin 2022, tous les militaires de la Gendarmerie nationale (GN) auront reçu une formation VIF, soit environ 60 000 militaires dans le cadre de la formation continue. Et d’ores et déjà, tous les gendarmes, officiers et sous-officiers, sortent des écoles formés à ces questions sensibles.
Par exemple, tous les gendarmes ont connaissance de ce que l’on appelle « le cycle de la violence ». Il faut rappeler qu’une victime de violences conjugales peut, en moyenne, avoir besoin de se présenter 7 fois à la brigade pour aller au bout de sa démarche (c’est-à-dire qu’elle se libère de l’emprise de son conjoint violent).
Entre autre mission, je peux également évoquer ma participation à un groupe de travail interministériel en vue de créer un fichier de prévention des violences intrafamiliales, évoqué par le Président de la République à Nice le 10 janvier dernier.
L’objectif de ce groupe de travail, auquel participe également Gabrielle Hazan, mon homologue de la Direction générale de la Police nationale (DGPN), est de déterminer les contours et l’architecture générale de cet outil ambitieux.
Comme je l’ai déjà évoqué, une autre de mes missions, avec l’appui précieux de la section prévention partenariat de la DGGN, est de chercher à développer le travail en partenariat avec les associations, les élus, l’Education nationale et tous les acteurs concernés.
Les Forces de l’ordre (FDO) seules ne pourront pas stopper les violences. Les violences conjugales doivent faire l’objet d’une approche pluridisciplinaire et d’échanges permanents entre tous les acteurs. On accueille les victimes, on recueille leur plainte, on réalise les enquêtes pour permettre aux magistrats de juger les auteurs. Nous orientons également les victimes les plus vulnérables. Mais nous ne sommes qu’un maillon d’une chaîne qui s’organise de la prévention jusqu’à l’accompagnement des victimes et des auteurs pour mettre fin en profondeur à ces situations de violence. D’où la nécessité de développer nos partenariats et nos liens avec les associations, les magistrats, les services déconcentrés et les acteurs institutionnels. Il faut activer tous les leviers pour que ce combat porte.
Un de ces leviers recouvre les actions de prévention et de sensibilisation auxquelles participent les acteurs du ministère de l’Intérieur.
Par exemple, ce soir, j’accompagne la ministre déléguée à la citoyenneté, madame Marlène SCHIAPPA, à l’occasion de la réouverture des discothèques et des bars afin de sensibiliser les propriétaires et leurs clients par le lancement d’une campagne de prévention sur l’usage du GHB, dit « drogue du violeur ». Un QR Code sera collé dans les locaux des établissements de nuit pour qu’un témoin ou une victime puisse le scanner et entrer en contact avec des forces de sûreté intérieure (FSI) via la PVSS (Plateforme des violences sexuelles et sexistes). L’événement se fait en partenariat avec la MILDECA, son président Nicolas PRISSE sera présent, ainsi que l’UMIH (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie). Le GHB (gamma-hydroxybutyrate) est une substance produite naturellement dans le corps humain en très petites quantités. Quand il est consommé avec de l’alcool ou d’autres drogues, il peut être extrêmement dangereux. Les victimes perdent totalement le contrôle de leur corps et ne se rappellent plus de rien le lendemain, ce qui rend difficile une plainte et une poursuite des auteurs. La prévention et encore une fois la formation de nos gendarmes sont donc indispensables.
D’une manière plus générale, l’action de la gendarmerie dans la lutte contre les VIF s’inscrit le cadre du plan Gend 20.24 du Directeur général de la gendarmerie.
Grâce au déploiement de l’outil informatique UBIQUITY par exemple, nous permettons aux gendarmes « d’aller vers » les victimes en leur proposant de recueillir leur plainte là où elles le souhaitent (chez un ami, un médecin, au sein d’une association…) en métropole et en Outre-mer. Cette nouvelle solution de travail en mobilité lancée par le ST(SI)² permet de prendre les plaintes n’importe où, dans tous les territoires et de manière à la fois confidentielle et rassurante.
Des expérimentations sont réalisées au sein des départements 2B (Haute-Corse), 72 (Sarthe), 59 (Nord), 56 (Morbihan) et le 69 (Rhône). Mais cet outil est d’ores et déjà utilisable sur tout le territoire.
Au final, mes missions sont variées et multiples. Si bien que j’ai été renforcée en décembre 2021 par la LTN Ophélie Nober au sein du cabinet du DGGN.
Elle m’appuie et participe à mes côtés, en lien avec la DGGN et l’ensemble de la chaîne opérationnelle (officiers référents au sein des régions, officiers adjoints prévention au sein des groupements, MPF et référents VIF des brigades) à inscrire résolument l’action de la gendarmerie dans cette lutte contre les VIF. Cette complémentarité permet de multiplier nos modes d’action tout en ayant une cohérence d’ensemble.
AVEZ-VOUS DES MESSAGES À FAIRE PASSER ?
Je veux tout d’abord saluer l’engagement quotidien des gendarmes qui traitent de cette délinquance complexe et sensible ; selon les chiffres de l’année 2021, nous savons que les violences intrafamiliales représentent pour la zone gendarmerie nationale (ZGN) 436 interventions par jour soit 18 interventions/heure en moyenne. Chaque cas est différent avec tout ce que cela nécessite d’empathie, de professionnalisme et d’engagement.
Ensuite, c’est aux victimes que je souhaite m’adresser : « ne craignez pas de passer la porte d’une gendarmerie. Nous sommes là ». C’est plus qu’une libération de la parole que nous vivons aujourd’hui, c’est une libération de l’écoute.
Grâce à mon parcours professionnel, et notamment l’expérience acquise au sein des unités opérationnelles que j’ai eu l’honneur de commander (brigade et compagnie), j’ai acquis la conviction que la sécurité était au cœur des préoccupations quotidiennes de tous les citoyens et que pour exercer ces missions, il fallait un solide sens du service public. Cette conviction, à l’aune de mes nouvelles fonctions, est plus que jamais renforcée.
VOUS PORTEZ UN SUJET COMPLEXE. QUELS SONT VOS MOMENTS DE DETENTE ?
J’accorde de l’importance à la vie de famille et à la vie sociale (sourire).
J’aime lire. En ce moment, je suis en pleine lecture du livre Connemara de Nicolas Mathieu. Je me régale et le conseille ! (sourire) J’avais déjà beaucoup aimé Leurs enfants après eux.
Je vais au cinéma, je suis très bon public. J’accompagne mon fils de 11 ans voir les Marvel (sourire)
Et puis visiter des expositions. La dernière était au Quai Branly « Ultime combat – Arts martiaux d’Asie ». J’ai appris que la collection Morozov se poursuit à la Fondation Vuitton, je vais y aller !
Un grand remerciement Dorothée pour ce moment d’échange sérieux certes et pour autant sympathique. Votre tempérament enthousiaste et optimiste, votre engagement sur la thématique des VIF sont remarquables. Il est temps de nous quitter… vous allez être en retard à votre rendez-vous avec la ministre !
Note importante
Il est strictement interdit de copier tout ou partie de l’interview sans accord préalable écrit de Valérie Desforges.
Il est strictement interdit d’utiliser les photos publiées dans l’interview sans accord préalable écrit de Valérie Desforges.
Légende et copyright de la Photo 1 :
Dorothée Cloître à Beauvau © Valérie Desforges
Légende et copyright de la Photo 2 :
Signature de la convention UMAY – ministère de l’Intérieur en date du 8 février 2022.
Une délégation de gendarmes du 77 (MPF et référents VIF) à droite de la ministre Marlène Schiappa.
Dorothée Cloître, Magali Haudegond, Ophélie Nober à gauche de la ministre Marlène Schiappa.
© Ophélie Nober
Légende de la Photo 3 :
Personnels de la MPF du Calvados lors de l’organisation d’une journée d’échanges avec les partenaires locaux, septembre 2021 en présence de Dorothée Cloître © Dorothée Cloître