25 décembre 2022 – Interview de Dorothée Cloître, Référente nationale violences intrafamiliales pour la gendarmerie

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Le 25 décembre 2022 – Dorothée CLOÎTRE, référente nationale violences intrafamiliales pour la gendarmerie, rencontrée à Beauvau dans le cadre d’une interview en février m’a fait l’honneur de me recevoir le 21 décembre, Beauvau. De nos échanges sur le point de situation en métropole et outre-mer, des types de violences, des traumatismes, des séquelles et des outils aujourd’hui mis en place pour signaler, sauver, accompagner des victimes … découlent un écrit en 2 temps que je vous invite à lire avec attention et partager sans modération, sur les réseaux sociaux.

Le témoignage de Laurent KAISER, commandant de la Maison de la Prévention et de Protection des Familles du Finistère depuis avril 2021 apporte des précisions.

Un mot personnel – Une date de publication choisie, jour de Noël, la volonté de soutenir les victimes de violences intrafamiliales, les femmes et leurs enfants, les hommes aussi certes moins nombreux et dont on ne parle probablement pas assez, les victimes de violences sexuelles et sexistes.

Les types de violences sont physiques, et aussi psychologiques. Bien souvent insidieuses, l’entourage ne prend pas acte ou se voile la face. De fait, je m’adresse aujourd’hui aux victimes et à leur entourage, famille, amis, relations de travail, voisins, commerçants … Analyse par l’observation, signalement. Nous avons aujourd’hui tous les outils pour alerter et de manière anonyme.

Je me permets de m’exprimer sur ce sujet pour vivre l’expérience d’accompagner des victimes depuis des décennies. Ecoute, empathie, psychologie.

Je cède la place à Dorothée Cloître.

Depuis septembre 2021, je suis référente nationale pour les violences intrafamiliales pour la gendarmerie. A ce titre, je travaille au cabinet du directeur général, où je suis plus spécifiquement en charge de ce contentieux.

A mon arrivée, j’ai reçu une lettre de mission du directeur général fixant mes objectifs. Le premier objectif est d’être en lien sur tous les dossiers dans ce domaine avec les autres ministères et les partenaires.

Depuis, j’ai pu mener une série de travaux en lien avec les ministères concernés, de fait le ministère de l’Intérieur, les services de Madame Isabelle ROME, Ministre déléguée auprès de la Première ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, et les services du ministère de la Justice.

Nous continuons à réaliser le suivi fin des 54 mesures Grenelle prises en 2019 lors des travaux menés en interministériel pour la lutte contre les violences conjugales.

Par exemple, la grille de l’évaluation du danger élaborée par le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Justice et la MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains) est en place et les enquêteurs se la sont appropriée. Il s’agit d’une grille de 23 questions pour définir le niveau de danger de la victime et les mesures à prendre, en lien avec le parquet.

L’augmentation des places d’hébergement d’urgence a été poursuivie et cela nous permet de proposer davantage de mises à l’abri en situation d’urgence sur les territoires sachant que nous travaillons aujourd’hui à l’éviction de l’auteur. Cela demande aussi des capacités immobilières d’urgence à disposition.

La mise en place puis le déploiement des bracelets anti-rapprochement et du téléphone grave danger complètent l’action des forces de sécurité intérieure dans leur travail de protection.
Le téléphone grave danger a évolué dans sa doctrine. Il est plus largement distribué car les tribunaux disposent aujourd’hui d’un stock plus important. C’est ainsi plus de 3 500 téléphones grave danger donnés aux victimes. Il est une mesure de protection supplémentaire, avant même toute procédure judiciaire : il peut être mis en place dès que le parquet est saisi. Donc c’est un outil phare de la protection des victimes.

Un axe fort d’amélioration de la prise en charge des violences intrafamiliales (VIF) porté par le Grenelle a été la formation des forces de sécurité intérieure. C’est fondamental et nous en assurons l’impulsion et le suivi. Aujourd’hui, tous les gendarmes qui sortent de l’école sont formés, puis en formation continue, tous les gendarmes qui sont en contact avec le public ont reçu, ou reçoivent, une formation obligatoire de prise en compte des violences intrafamiliales Nous avons aussi une formation dite d’«experts» à destination des personnels des Maisons de protection des familles. Cette dernière est dispensée au Centre national de formation de police judiciaire à Rosny-sous-Bois (93). Il y a aujourd’hui plus de 300 gendarmes formés au CNFPJ, ce qui est un maillage intéressant puisque ces gendarmes deviennent des formateurs relais sur les territoires.
Aujourd’hui une victime qui se présente dans une unité de gendarmerie est certaine d’être écoutée et comprise, conseillée et accompagnée, par un gendarme formé.

Un dernier exemple de mesure Grenelle que l’on s’attache à suivre : la saisie systématique des armes à feu.

Dans le prolongement de ces mesures Grenelle, la Première ministre Madame Elisabeth BORNE a souhaité la mise en place d’un comité interministériel à l’égalité femmes-hommes sous le pilotage de Madame Isabelle ROME.
La première session du comité interministériel se déroulera début janvier 2023, et nous avons travaillé à des propositions d’amélioration et de renforcement de la prise en compte des victimes de violences intrafamiliales.
Nous souhaitons par exemple la généralisation des conventions qui sont signées avec les hôpitaux pour l’accueil des femmes victimes et la prise de plainte in situ. Cela comprend les violences intrafamiliales mais aussi les violences sexuelles et sexistes. L’idée est de permettre à la victime qui est protégée, prise en charge médicalement et psychologiquement, à l’hôpital, de déposer plainte immédiatement sans avoir à retourner dans une brigade, ni répéter le drame vécu.

Cette possibilité offerte aux victimes est portée en gendarmerie par le développement de la prise de plainte en mobilité, à l’hôpital bien sûr, mais également là où la victime le souhaite, où elle se sent protégée. Cette logique de « pas de porte » est un enjeu stratégique impulsé par le DGGN Christian RODRIGUEZ et rendu possible par le déploiement de l’outil informatique UBIQUITY. C’est une offre de protection sur mesure que nous proposons, tenant compte de la vulnérabilité de la victime et de la particularité de nos territoires.

A cela s’ajoute une offre numérique qui permet de rentrer en contact avec les forces de sécurité intérieure au travers du portail arretonslesviolences.gouv.fr. J’en profite ici pour saluer le travail remarquable de la brigade numérique dirigée par le capitaine Sébastien POSSEMÉ.
Je pense que l’anonymat offert grâce à l’écran interposé rassure la victime et lui permet de surmonter la honte qu’elle peut ressentir. Ensuite à la qualité des échanges avec le gendarme de la brigade numérique, son empathie et sa compétence pour utiliser les mots adaptés, permettent à la victime de s’exprimer. Ces échanges par le tchat donnent bien souvent lieu à la rédaction d’un procès-verbal (PV) transmis à l’unité territorialement compétente. Le nombre de procédure initié est considérable et montre que ce canal fonctionne et participe de la révélation des faits.

Dans autre registre, nous souhaitons mettre en place une sorte de fond de concours, piloté par ce comité interministériel pour permettre aux associations qui œuvrent contre ces violences de présenter leurs solutions innovantes aux acteurs étatiques et obtenir un aval de manière concertée et conjointe. C’est un vrai levier d’amélioration pour aider les victimes tant les initiatives privées sont nombreuses et souvent très pertinentes. Elles sont indéniablement un relais des moyens étatiques, mais une harmonisation et une simplification sont nécessaires.

Enfin, depuis plusieurs mois, des travaux conjoints entre le ministère de la Justice et le ministère de l’Intérieur sont menés pour mettre en place un portail d’interrogation multi-fichier en vue de permettre aux enquêteurs de disposer d’une vision exhaustive sur les situations de violence conjugale auxquelles ils sont confrontés lors des interventions ou lorsqu’une victime se présente. Cet outil est très attendu par le terrain et pose la 1ère brique du fichier de prévention des violences intrafamiliales.

J’en profite pour dire qu’il est vraiment agréable et enrichissant de travailler avec ces acteurs ministériels qui sont tous animés d’un sens profond du service public. Nous portons ensemble ce combat contre ces violences intolérables.

En interne, et en bilan de l’année écoulée, je souhaitais évidemment faire un point sur les Maisons de protection des familles.

Aujourd’hui, il y a une Maison de la protection des familles dans chaque département et territoire ultramarin. Il faut souligner l’action quotidienne des gendarmes des Maisons de protection des familles et des intervenants sociaux qui font un travail remarquable, au-delà de la lutte contre les violences intrafamiliales. Il est important de savoir que le rôle des Maisons de protection des familles est de protéger toutes les personnes vulnérables.  Elles mènent tout à la fois des actions de sensibilisation, de prévention et de prise en compte de tous les contentieux de violences sur les personnes vulnérables.
Elles sont donc au nombre de 99. Chacune a néanmoins ses particularités en fonction du territoire, de l’histoire de sa mise en place, des personnels qui y servent et des compétences qu’ils ont développés. Bien que nous n’ayons pas encore assez de recul, elles sont incontournables aujourd’hui dans le paysage local, pour la structuration de la gendarmerie et de ses missions pour toujours mieux protéger les citoyens.

En conclusion, je souhaite de belles fêtes de fin d’années aux gendarmes qui pour la plupart vont travailler au moment où chacun communie en famille et entre amis. Et je rappelle à tous et toutes que l’entourage, familles, proches, voisins, peut aussi apporter son aide à une victime de violences en les signalant. C’est également grâce à cette solidarité que nous mettrons fin à ce fléau.

Un remerciement appuyé Dorothée pour toutes ces précieuses informations
et l’idée pertinente de donner la parole au terrain.

 Miss K : La prévention, focus : Quels sont les dangers auxquels vous sensibilisez les enfants ?

Adjudant Adeline PILLOT : Je suis cheffe de la Maison des Familles à VESOUL-70 depuis le 1er février 2022.
Nous sensibilisons les enfants aux dangers de la violence, du consentement, du harcèlement scolaire, du cyberharcèlement, des addictions (alcool, drogues) et aussi des dangers d’internet et de l’usage du numérique à risque. Nos outils de sensibilisation sont les spots de prévention, les jeux, les témoignages, “ce que dit la loi”.

Miss K : L’accueil et l’accompagnement – Quels types d’accueil proposez-vous ?

Adjudant Laurent KAISER : Je suis commandant de la Maison de la Prévention et de Protection des Familles du Finistère, depuis avril 2021. Nous avons plusieurs types d’accueil pour les victimes.
Tout d’abord les locaux de la M2PF où se trouve une salle Mélanie. C’est dans ces locaux que nous recevons également les associations qui suivent les mineurs (notamment ceux placés en foyer) ainsi que les familles en difficulté.
Nous sommes facilitateurs de dépôt de plainte c’est à dire que lorsqu’une association (ex, CIDFF) nous contacte pour nous annoncer qu’une victime désire déposer plainte, nous prenons attache avec la brigade locale afin de prendre un ” rendez-vous ” et de préparer la venue de la victime. Lorsque la victime se présente à l’unité elle décline son identité et est reçue sans exposer sa problématique devant toutes les personnes présentes à l’accueil. L’accueil est de ce fait bienveillant.
De plus, j’ai créé un guide d’accueil pour les enfants présentant des Troubles du Spectre de l’Autisme et victimes de violences sexuelles et de maltraitance. Ce guide a pour objectif de pouvoir entendre ces mineurs (nous avons pour projet une diffusion nationale). Il a été validé par des neuropsychologues, pédopsychiatres, psychologues, association de parents d’enfants autistes, juge des enfants, gendarmerie du Finistère, Institut du Travail Éducatif et Social.

Miss K : L’accueil et l’accompagnement – Avec quels partenaires locaux travaillez-vous pour mieux accompagner les victimes ?

Marie DUPUIS : Je suis intervenante Sociale en Gendarmerie (ISG) dans le Loiret depuis le 1er juin 2021, employée par le Conseil Départemental depuis 2018. La mission des ISCG (Intervenants Sociaux en Commissariat et/ou Gendarmerie) consiste à accueillir et à orienter les personnes, dont les victimes de violences intrafamiliales, vers des partenaires clés en fonction des problématiques sociales repérées.
Tout d’abord, J’ai souhaité aménager mon bureau de telle manière à ce que les victimes se sentent à l’aise, un espace plus “cocooning” convivial et chaleureux plutôt qu’un bureau froid et austère amenuise le stress et facilite la mise en confiance et la communication. Il m’arrive très souvent de me rendre au domicile également. Les victimes se sentent encore davantage en confiance dans ce lieu qui leur appartient. L’important, c’est aussi de prendre le temps. Je laisse la personne s’exprimer librement. Je ne l’interromps pas. Je pèse mes mots, je rassure et surtout je la crois.
J’oriente principalement les victimes vers les services sociaux du Conseil Départemental, de la CAF, les structures d’hébergement et les municipalités pour l’accueil d’urgence, l’association d’Aide aux Victimes du Loiret (AVL), ou encore le Lieu d’Accueil et d’Ecoute (LAE) porté par l’AIDAPHI et le CIDFF et les Maisons des Femmes, des structures dédiées aux femmes victimes de violences.

Miss K : Le suivi – Avez-vous des retours de victimes ? Quels sont ceux qui vous ont le plus marqués ?Adjudant

Anthony JACQUET  : Je travaille à la COB de Saint-Germain-lès-Corbeil (91) depuis 2011. Je suis le chef de groupe de la CELVIF, Cellule de lutte contre les violences intrafamiliales.
Oui, parfois il nous arrive d’avoir des retours, pour nous remercier et nous dire qu’après le jugement final de leur affaire, qu’elles se sentent seules et mal accompagnées par les autres services. Certaines perdent leur travail et ont du mal à se ressaisir. Nous sommes leur point d’ancrage. Elles nous rappellent pour qu’on les écoute et qu’on les aide.
Juin 2021 : Les faits : son mari lui a cassé les dents, en lui cognant sa tête contre le miroir de la salle de bain. Cette dame se culpabilisait que son mari soit placé en garde en vue. Nous lui avons ouverts les yeux en lui faisant comprendre qu’elle était victime et non coupable. Son mari a eu un contrôle judiciaire. Depuis, ils ne sont plus ensemble. A l’issue du jugement, cette dame a perdu son travail car elle n’arrive plus à se reconstruire. Nous avons gardé le contact avec elle pour l’aider.
Août 2022 : Les faits : elle a été placée en garde à vue pour avoir menacé son mari au couteau. L’enquête démontrera que son mari la harcelait et l’humiliait pendant plusieurs mois.

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Une conclusion personnelle – Un remerciement appuyé aux équipes sur le terrain en métropole et outre-mer qui font un travail formidable, aux gendarmes, policiers, associations, bénévoles … et politiques, magistrats, avocats engagés sur les lois, la prévention (écoles..), l’accueil et l’accompagnement, le suivi. A la MILDECA.
Ne rien lâcher.

Un cause, une volonté commune et apolitique, des solutions.

Je souhaite à mes lectrices, lecteurs sérénité.

 

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