Fabrice GARDON, Directeur Central de la Police aux Frontières et préfigurateur directeur national PAF

1

25 mai 2023 – Dans la continuité de l’interview de Fernand GONTIER, DCPAF de 2017 à 2022, je suis très honorée de rencontrer Fabrice GARDON dans son bureau alors que les actualités sont riches et passionnantes notamment à l’approche de la Coupe du Monde de Rugby 2023 et des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Un entretien complet que je suis fière de vous présenter, passionné, fluide, empreint de sérieux, facile à la compréhension et pleinement agréable.

Bonjour Fabrice,

Question 1. Quel est votre retour d’expérience de prise de fonction de DCPAF ?

J’ai pris mes fonctions au mois d’août 2022 en étant pas du tout un profil PAF à la base puisque je n’avais pas exercé dans cette direction auparavant.

Mon prédécesseur avait fait toute sa carrière à la PAF mais il y a eu dans l’histoire de la PAF plusieurs Directeurs centraux qui sont aussi arrivés comme cela a été mon cas directement à la tête de la PAF en ayant eu d’autres parcours.

Donc c’est un peu ce qui m’a rassuré en tant que « non Pafiste » sachant que c’est une direction qui est très technique, très riche en activités, très atypique et avec beaucoup de choses qui ne sont pas appréhendées, maîtrisées dans les autres branches de la police.

En fait, on mêle l’opérationnel et le stratégique, le judiciaire et l’administratif, beaucoup de relations internationales, à la fois avec du multilatéral comme Frontex, Europol, Interpol ou les services de la commission européenne, mais aussi du bilatéral car on travaille en direct avec nos homologues européens sur chaque frontière. Donc tout cela est très complexe.

De plus dans le cadre de la réforme de la Police nationale, nous sommes une des quatre grandes directions transformées aux côtés de la Police judiciaire qui va regrouper l’investigation de toute la Police nationale, de la Sécurité Publique qui va se recentrer sur l’activité de la voie publique dans toutes ses composantes, et du renseignement territorial qui existait mais qui devient une filière à part entière.
Ce sont les quatre directions opérationnelles pleinement concernées par la réforme à la fois au niveau central et au niveau territorial. Et puis après, il y a évidemment toutes les autres branches de la police qui subsistent. On a les CRS, la Coopération internationale, le RAID, le service de la protection, etc. Toutes ces unités sont moins directement impactées par la réforme.

Toute cette diversité fait que j’appréhendais un peu pour être franc d’être à la tête de cette direction parce qu’il y a beaucoup de grands spécialistes du sujet et il est vrai que les premiers mois j’ai dû vraiment faire beaucoup d’efforts pour me mettre à niveau sur le plan technique. En fait, j’ai une bonne connaissance de la police dans son ensemble mais sur les sujets PAF il a fallu que je rattrape un peu mon retard.

Question 2 – Quelles sont vos principales missions depuis votre arrivée à la tête de la DCPAF ?

A mon arrivée, il m’a été expliqué que le ministre de l’Intérieur et des outre-mer Gérald DARMANIN, le Directeur général de la Police nationale Frédéric VEAUX, la DGEF (Direction générale des étrangers en France) et nos partenaires avait plusieurs priorités.

Les deux principales priorités sont d’une part le sujet de la rétention administrative et de l’éloignement, et d’autre part le sujet de la fluidité.

1° De fait ma première principale mission est un sujet très politique, très sensible, très actuel. Tout ce qui tourne autour de la rétention administrative et de l’éloignement.

Nous avons changé le profil des retenus que l’on place dans les centres de rétention administrative (CRA).
Le ministre a décidé au mois d’août 2022 quelques jours avant mon arrivée de mettre principalement dans les CRA ceux parmi les étrangers en situation irrégulière qui troublent le plus l’ordre public, c’est-à-dire les voyous.
L’idée est de faire tourner les CRA au maximum de leur capacité en optimisant toutes les places disponibles, sachant que nous avons des places limitées, environ 2000 aujourd’hui avec un objectif de 3000 d’ici 2027 en France.

Précédemment on avait tendance à mettre dans les CRA prioritairement des étrangers que l’on avait détectés comme « simples » étrangers en situation irrégulière, sans systématiquement prendre en compte leur profil et leur éventuel palmarès de délinquant.

Au-delà des CRA, on travaille sur l’éloignement sachant que la PAF est chargée de l’éloignement forcé vers les pays d’origine.
C’est un travail compliqué car beaucoup de retours vers les pays du Maghreb par exemple font appel à des considérations opérationnelles ou policières mais aussi des considérations géopolitiques et diplomatiques.

Ce qu’il faut retenir est que tout cela ne fait pas intervenir que la police. Il y a plein d’autres acteurs tels que la direction des étrangers en France ou la direction des affaires européennes et internationales du ministère de l’Intérieur, mais aussi le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et bien entendu les cabinets ministériels.

  • J’avoue ne pas bien saisir. La France ne peut-elle pas renvoyer un voyou dans son pays d’origine et ce même si le pays d’origine ne souhaite pas le reprendre ?

Effectivement. Quand j’entends certains commentateurs ou le public dire : « Mais y’a qu’à faut qu’on ! On sait que les voyous sont de telle nationalité, il suffit de les mettre dans un avion et on les renvoie ! » Cela correspond à un monde virtuel mais pas à la réalité. Nous sommes soumis à des règles précises, d’abord au sein de l’espace Schengen, mais aussi et surtout aux règles relatives au droit international et à la souveraineté de chaque pays.

Renvoyer dans un pays d’origine est compliqué. Si on ne dispose pas soit d’un laisser-passer consulaire, soit d’un document d’identité valable comme un passeport en cours de validité, on ne peut pas renvoyer la personne. Or la plupart des étrangers qui rentrent de façon irrégulière en France n’hésitent pas à déchirer ou à cacher leur passeport dès qu’ils sont sur notre sol pour ne pas être renvoyés.

La réalité est que la PAF doit faire un gros boulot avec les outils qu’elle a pour prouver leur nationalité. Ensuite la PAF ou la DGEF demande au pays de délivrer un laisser passer consulaire. Selon les pays, le taux d’acceptation est très variable. Pour certains pays le taux est de presque 100% et pour d’autres pays le taux est seulement de 20%.

C’est pour cela que je dis que la PAF est une matière très complexe.
Elle maîtrise la partie opérationnelle mais on ne maîtrise pas le tout le processus d’éloignement de bout en bout.
Lorsque le Président de la République et les ministres faisaient des démarches auprès de leurs homologues des pays du Maghreb au cours de ces derniers mois pour englober ces problématiques migratoires parmi des problématiques économiques et de plein d’autres sujets, tout était très complexe.

Et c’est ce qui fait la richesse de la PAF. En résumé, la PAF est un concentré de tout ce qui se fait dans la police mais en plus spécialisé.

Fabrice GARDON, DCPAF, en visite sur le terrain auprès de ses effectifs de la PAF, 2023 Sud de la France © SICoP

Donc cela est la première principale mission.

2° Et puis ma seconde principale mission est le sujet de la fluidité. La fluidité est l’objectif recherché dans tous les PPF (points de passage frontaliers) dont la PAF est chargée, comme expliqué dans l’interview de mon prédécesseur Fernand GONTIER. En clair, on veut éviter des temps d’attente trop longs dans les aéroports internationaux de Paris, Nice …, les ports internationaux de Marseille, Calais…, les gares internationales accueillant l’Eurostar, le tunnel sous la Manche… Tous ces points de passage frontaliers sont considérés comme des frontières extérieures à l’espace Schengen.

Chaque pays doit s’obliger à gérer ses PPF de manière très rigoureuse. Car une fois rentrés dans l’espace Schengen, les gens peuvent circuler dans tout celui-ci. De fait, si la France laisse rentrer à l’aéroport de Roissy par exemple une personne indésirable voire dangereuse préalablement ciblée, elle peut être tenue responsable d’un défaut de contrôle.

  • Concrètement, comment la PAF gère-t-elle les PPF ces dernières années ?

En 2019, il y a eu le Covid-19 avec moins de trafic dans les aéroports et les gares… A cette période, les départs en retraite et en mutation dans ces services de la PAF n’ont pas été intégralement comblés. Et à juste titre, il fallait utiliser les policiers sur la voie publique pour d’autres missions devenues plus prioritaires.

Puis la vie a repris en fin de pandémie sachant qu’il nous manquait plusieurs centaines d’effectifs sur 12 000 au total. A l’automne 2022, on s’est retrouvé avec des flux identiques à 2019, voire supérieurs, avec des trous dans la raquette en termes RH.

Or la Coupe du Monde de Rugby 2023 et les JO 2024 approchent, impliquant l’image de la France. Les touristes étrangers n’auront pas envie de faire la queue pendant deux heures en arrivant sur notre territoire. D’ailleurs je me suis toujours étonné de constater que patienter deux heures à l’entrée des États-Unis ne suscitait aucune critique alors que faire la queue deux fois moins longtemps en France, cela n’allait va pas.

Mais je suis le premier à considérer que les temps d’attente aux arrivées comme aux départs doivent encore largement s’améliorer. Une décision du 1er ministre nous fixe un temps maximum d’attente de 45 minutes pour les ressortissants des pays tiers et 30 minutes pour les ressortissants de l’Union européenne.

C’est court et en même temps on arrive à faire passer à Roissy qui est notre plus gros aéroport plus de 200 000 passagers jour, ce qui est énorme. On arrive à traiter 98% de ces passagers en respectant ces délais. Cela est mesuré par des capteurs d’ADP placés dans les plafonds, les chiffres sont fiables et incontestables. D’ailleurs la PAF a un très bon partenariat avec ADP actuellement puisque l’on a signé avec Augustin de ROMANET, son PDG, un protocole commun pour communiquer tous les mois les temps d’attente de manière à être transparent et à montrer que la bouteille est à moitié pleine, plutôt qu’à moitié vide.

Augustin de ROMANET, PDG ADP et Fabrice GARDON, DCPAF

Malgré tout, il faut que l’on s’oblige à ne pas avoir de queue et de fait la PAF est en cours de recrutement de 1200 personnels en plus, ce qui est énorme sur un total actuel de 12000 agents. Cela revient à augmenter de 10% notre effectif sur une période d’un peu plus d’un an. Ces 1200 personnels ne sont pas des policiers mais des personnels administratifs recrutés sur titre, ou des contractuels. Nous les appelons les « assistants de contrôle frontière » (ACF). Ils assisteront les policiers pour ouvrir davantage de lignes de contrôle.

Voici donc en résumé quelles sont mes 2 principales missions.

Question 3 – Vous avez aussi un gros enjeu, et là ce n’est pas du niveau du ministre mais celui du DGPN, Frédéric VEAUX. Il s’agit de la réforme de la Police nationale.

Je suis impliqué dans ce projet depuis 2019 lorsque j’étais conseiller police du ministre de l’Intérieur. A l’époque Laurent NUÑEZ, secrétaire d’État de Christophe CASTANER, voulait lancer ce vaste chantier qui était fondé sur des réflexions qui remontaient aux années 1980/1990. Laurent NUÑEZ décide très courageusement, en accord avec le ministre, de se lancer dans cette transformation profonde et me demande d’en formaliser les contours, sachant que quelques mois plus tard le Livre Blanc allait arriver. Je commence donc les premières notes au printemps 2019 en cherchant à m’appuyer sur quelques collègues qui avaient eux aussi réfléchi depuis longtemps à ce projet. Depuis cinq ans, à un titre ou à un autre, j’ai toujours cherché à soutenir cette réforme, malgré les doutes ou les critiques de certains. Je comprends que le changement puisse inquiéter, mais je suis persuadé qu’une fois en place, cette restructuration rendra la police plus forte, enfin unifiée et en mesure d’offrir un service encore amélioré à nos concitoyens.

En 2023, je suis très content d’être l’un des quatre directeurs nationaux préfigurateurs de la Police nationale. Je suis en effet depuis deux mois préfigurateur directeur national de la PAF. Cela permet de rendre le projet concret, je suis très heureux que les choses se concrétisent sous l’impulsion de l’actuel ministre de l’Intérieur et des outre-mer qui n’a pas changé de cap malgré certaines oppositions, venues pour certaines de l’extérieur de la police.

Et puis nous avons plein d’autres sujets.

Je pense aux moyens aériens de la Police aux frontières que l’on souhaite absolument améliorer.

En 2015, il a été décidé de rétablir le contrôle aux frontières intérieures que l’on appelle les frontières vertes. Donc on est très présent sur les frontières franco-italienne, franco-espagnole, franco-allemande… avec des brigades mixtes ou des patrouilles mixtes qui font ce travail et cela marche plutôt bien.

Mais comme vous le savez, on a trois voies d’accès migratoires principales que sont la méditerranée occidentale par l’Espagne principalement (cette voie est en recul sensible dernièrement parce que l’on travaille très bien avec les Espagnols à la frontière) ; la méditerranée centrale, avec les arrivées de l’Italie depuis la Tunisie (ce flux est multiplié par quatre depuis quelques mois) ; et la voie orientale, ce sont toutes les voies par les Balkans (également en hausse mais de façon plus mesurée).

Même si on est assez efficace, on se rend bien compte que l’immigration irrégulière et ces vagues migratoires sont davantage un problème qui est devant nous que derrière nous.

Objectivement, lorsque l’on fait un peu de géopolitique, le phénomène va s’accroître. Donc l’idée est de ne pas recruter des policiers de la PAF pour les placer chaque mètre le long des frontières pour créer une muraille, cela serait ingérable, mais de travailler par exemple étroitement avec le préfet Pierre LIEUTAUD, ancien militaire et des RG, chargé du programme dit Frontières intelligentes.

La question est de savoir : comment se servir de la haute technologie et des moyens aériens en particulier pour aider l’humain ? Donc cela demande une réflexion sur l’utilisation des drones, des avions de la PAF, des radars, de la vidéo… pour mieux détecter, exploiter et ensuite agir. Et pour cela, il y a des bonnes pratiques. Je prends l’exemple des Croates qui intègrent l’Espace Schengen depuis le 1er janvier 2023. Etant UE mais non encore Schengen, les Croates ont fait beaucoup d’efforts pour intégrer Schengen sachant qu’ils ont plus de 1300 km de frontières avec les pays des Balkans qui sont des voies d’accès migratoires importantes. Il faut savoir que les pays des Balkans ont leur propre politique de visa, ce qui peut attirer à nos portes des nationalités que l’espace Schengen ne souhaiterait pas attirer. Les Croates pour faire face à la situation ont installé des milliers de caméras fixes ou mobiles sur toutes leurs frontières, reliées à des centres de supervision où il y a des policiers de la PAF. Et dès qu’il y a des détections de mouvement par de la vidéo intelligente, les voitures de la police croate issues de tous les forces les plus proches géolocalisées vont sur les lieux. La moyenne d’intervention est d’une dizaine de minutes sur tous les points.
Sans pouvoir reproduire un schéma identique en France, il faut s’inspirer de ces stratégies. Et un des laboratoires importants chez nous, c’est le Nord de la France puisque nous avons le phénomène des migrants qui veulent rejoindre l’eldorado britannique par la mer, embarqués sur des small boats. Sur cette zone, sous l’autorité du préfet, on fait un gros travail avec tous les services français, la PAF, la Sécurité Publique, les CRS, les gendarmes, les militaires de Sentinelle. Malgré tout, 45000 personnes sont passées l’année dernière. C’est un travail très difficile sur des dizaines de kilomètres de plages et de dunes vallonnées, la nuit dans l’obscurité complète. C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. On essaie de plus en plus de compléter le dispositif de dernière ligne juste avant la mer par des méthodes de PJ appliquées à la PAF (surveillances et filatures depuis les lieux de départ dans les terres) et en développant le renseignement.

Vous l’avez compris, la PAF ce n’est pas uniquement le travail de garde-frontière qui reste malgré tout essentiel puisqu’il est le premier rempart contre les menaces de toutes natures qui arrivent de l’étranger, mais aussi le moyen d’éviter que des personnes recherchées par la justice fuient le pays et leurs obligations.

La PAF c’est aussi tout le travail de recherche, d’enquête.
L’OCRIEST, Office en charge de démanteler les réseaux de trafics de migrants devient l’OLTIM, l’Office de lutte contre le trafic illicite de migrants. L’Office devient beaucoup plus interministériel avec l’intégration en cours de douaniers, de gendarmes, de fonctionnaires de la DGFIP, Direction générale des Finances publiques, et aussi peut-être un magistrat de liaison. L’idée est de mettre le paquet sur le démantèlement des filières. Il faut savoir qu’il n’y a pas un migrant qui traverse l’Europe qui ne passe pas par un réseau.
Si je prends le passage sur un small boat de la France en Grande Bretagne, c’est 3000 euros. Et cela est uniquement le dernier passage, vous imaginez tout ce que le migrant a payé pour arriver en France ? Certains dépensent des sommes énormes, 10 K€ ou 15 K€ pour circuler depuis l’Afrique jusqu’en Grande Bretagne en passant par la France. Ces trafics sont aussi lucratifs que les trafics de stupéfiants. D’ailleurs le niveau des peines encourues par les trafiquants de migrants est en train d’évoluer pour davantage punir. Il en reste qu’aujourd’hui il est plus intéressant d’être trafiquant de migrants que de stupéfiants sur le plan judiciaire et plus facile car il y a peu de querelles de territoires comme c’est le cas pour les points de vente de stups dans les cités.

Question 4 – Un remerciement pour toutes ces précisions passionnantes.
Nous allons maintenant changer de sujet.
Afin de mieux vous connaître, quelles sont les grandes étapes de votre parcours ?

D’abord je suis fils de policier.
Mon père aujourd’hui Major à la retraite était chef de la Bac à Grenoble. Il travaillait la nuit et passait parfois nous dire « Bonsoir » à la maison. A l’époque il patrouillait en 4L banalisé. Mon grand plaisir était de lui demander de passer en bas de l’immeuble en activant son gyrophare ! J’étais un gamin heureux et déjà envieux de ce boulot de flic de terrain…

Et puis après il y a eu les films de Bébel, comme Peur sur la ville ou le Marginal. Cela peut paraître étonnant, mais tout cela m’a donné un objectif, celui d’être commissaire de police et de travailler au 36 Quai des Orfèvres, à la brigade des Stups, inspiré par les films sur la PJ parisienne. C’était ce qui me faisait rêver.

Donc je fais mes études à Sciences-Po Grenoble et je réussis dans la foulée mon concours de Commissaire dès la première tentative. Je n’avais aucun plan B, il valait mieux !

J’ai la chance de sortir bien classé ce qui me permet de débuter à la fameuse « PJPP », la police judiciaire parisienne. Pas tout de suite au 36 mais assez vite quand même. Cela a été une très bonne expérience sur le terrain, notamment à la brigade des stups : filatures, interpellations en pleine rue… un vrai plaisir du matin au soir.

Fabrice GARDON – Dans son bureau à la brigade de répression du proxénétisme de Paris en 2004 © Fabrice GARDON
Fabrice GARDON au laboratoire de police scientifique du FBI à Quantico en 2004 © Fabrice GARDON

Je pense qu’avoir fait ainsi une dizaine d’années sur le terrain m’aide aujourd’hui, je n’ai rien oublié. Cela me permet de me mettre à la place du policier qui est en bout de chaîne lorsque je prends des décisions. Je ne veux pas être un directeur hors sol qui va donner des instructions pour se couvrir mais qu’il sait inapplicables. Et puis je veux prendre des décisions qui sont efficaces, utiles, pragmatiques.
Lorsque je repense à cette période de terrain à la PJ, c’était génial, on serrait les voyous dans la rue… et les gens nous applaudissaient comme s’ils pensaient qu’on tournait un film. Se retrouver par exemple à la frontière espagnole, poser des balises tracking sur les voitures (on n’avait pas encore les balises GPS) et attendre qu’elles remontent du Maroc chargées de cannabis était un grand moment, malgré le danger des opérations. A leurs retours, les balises nous envoyaient des Bip Bip de plus en plus rapides, signe qu’elles se rapprochaient de nous. Là on se réveillait dans les bagnoles où on attendait parfois des journées et des nuits entières, et en 2 minutes on se mettait en filature sur des centaines de kilomètres jusqu’à la région parisienne. Dès que la bonne fenêtre de tir se présentait, on interpellait tout le convoi et si possible les clients ou commanditaires à l’arrivée. Cette période de ma carrière était vraiment exceptionnelle, j’avais réalisé mon rêve de gosse.

J’avais deux autres objectifs en tête : faire de l’anti-terrorisme et travailler à l’Évêché, le siège de la PJ marseillaise, autre lieu mythique à part le « 36 ».

Le « terro » je l’ai fait grâce à des grands chefs qui ont marqué ma carrière.
Je pense tout particulièrement à Martine MONTEIL et à Frédéric VEAUX.
Un poste à la DNAT, Division nationale antiterroriste, devenue SDAT par la suite, m’est proposé par Martine MONTEIL en 2005. Un gros challenge car ce poste de chef de la division du terrorisme international était moribond avec une poignée d’enquêteurs chargés de presque aucun dossier vivant et avec la succession de 3 commissaires en moins de 3 ans sur le poste. En réalité Martine MONTEIL était visionnaire avec Frédéric VEAUX, alors patron de la DNAT. Elle pensait qu’il fallait que la SDAT (Sous-direction antiterroriste) soit positionnée sur le terrorisme islamiste de manière à être prête en cas d’attentat. De fait, elle me dit avec Frédéric VEAUX : « Vous recrutez 40 enquêteurs, vous montez une division antiterroriste internationale, vous travaillez avec les RG et on redémarre !». Cela a été une aventure extraordinaire. J’ai passé 4 ans sur le poste avec des jeunes policiers très motivés parce qu’ils faisaient tout. On travaillait avec les méthodes polyvalentes que j’avais apprises à la PP, on gérait de la filature jusqu’à l’interpellation, en passant par les écoutes et la coopération internationale. Et on a fait de nombreuses affaires de djihadistes qui partaient combattre à l’époque en Irak. Cela nous a permis d’arrêter par exemple les frères CLAIN de Toulouse qui ont par la suite revendiqué les attentats de novembre 2015, ou encore le frère de Mohamed MERAH. J’ai quitté cette équipe de la SDAT il y a plus de 10 ans et on s’organise toujours des repas régulièrement. Quel que soit notre grade, on a noué des liens amicaux très forts. C’est la force du collectif dans la Police, c’est remarquable.

Fabrice GARDON, SDAT 2007 – opération contre le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) à Marseille © Fabrice GARDON
Fabrice GARDON et son équipe de la SDAT en 2007 après une saisie d’armes et munitions sur des djihadistes en partance pour l’Irak © Fabrice GARDON
Fabrice GARDON, SDAT en 2008 – opération de saisie d’armes et munitions sur un réseau de djihadistes © Fabrice GARDON

Après un passage par la PJ de Montpellier de 2009 à 2012, ce fut enfin l’opportunité de travailler à Marseille.

Fabrice GARDON, PJ de Montpellier 2009-2012 – grosse saisine de cocaine sur un voilier © Fabrice GARDON
Fabrice GARDON, PJ Montpellier, sur une opération Stups dans une cité de Nîmes © Fabrice GARDON

En 2012 un poste de préfet de police plein se créait à Marseille sur le modèle du préfet de Police de Paris. Jean-Paul BONNETAIN prend le poste et cherche un conseiller « police ». Je postule, je suis pris. Là j’ai passé 2 excellentes années où je n’ai pas fait de PJ mais j’ai mis en place avec lui ce que l’on avait appelé à l’époque « l’approche globale ». Il s’agissait d’un dispositif de reconquête des cités marseillaises. La stratégie était la suivante : on arrête les opérations coups de poing parce qu’elles ne servent à rien (on fouille tout pendant 3 heures et les trafics reprennent dès que la Police est partie). Là il s’agissait de traiter cité par cité pendant plusieurs semaines et de dérouler plusieurs phases. On partait du répressif, on interpellait les trafiquants à l’issue d’enquêtes montées en amont et ensuite on tenait le terrain durablement. Avec les CRS, on sécurisait la cité et on déroulait tout ce que l’on pouvait en termes de politiques publiques comme rouvrir des permanences de Pôle Emploi, lancer des chantiers d’insertion ou reprendre des travaux que les bailleurs ne pouvaient plus réaliser à cause des trafiquants. Et là, ça devenait visible et concret pour les habitants de ces cités en termes de reconquête du territoire.
A partir de là, je me suis dit : tiens j’aime la PJ mais ce que je fais là de différent me plait aussi.

Puis, j’ai eu l’opportunité d’être N°2 à la PJ de Marseille de 2014 à 2019. J’ai passé 5 années incroyables entre les gros trafics et les règlements de comptes. Je n’avais jamais vu autant de cadavres et de scènes de crime de ma carrière. J’ai eu de la chance parce qu’à peine arrivé, j’étais sur le terrain un soir sur un règlement de comptes par BBQ (cadavre brûlé dans un coffre de voiture) et nous avons interpellé les hauteurs en flag dans la nuit ! C’est très rare. Et trois jours avant que je parte de la PJ de Marseille, de nouveau un flag de règlement de comptes dans une cité du nord de Marseille, la BRI était présente sur l’équipe, les Kalachs étaient encore chaudes. Marseille, en termes de lutte contre le narco-banditisme, c’est véritablement aujourd’hui « the place to be » pour l’enquêteur de PJ qui aime ce travail.

Fabrice GARDON à la PJ (Police judiciaire) de Marseille entre 2014 et 2019. Source : CNEWS

Et ensuite en 2019 j’ai une opportunité formidable qui me donne un coup de booster sur le plan intellectuel et pour l’évolution de ma carrière. Laurent NUÑEZ que j’avais connu comme préfet de police à Marseille puis qui était parti à la DGSI, me recrute comme conseiller police alors qu’il est nommé Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur.
J’arrive au cabinet sachant qu’il n’y avait jamais eu de conseiller police du ministre issu de la PJ. Je n’étais d’ailleurs pas le candidat du DGPN de l’époque. Laurent NUÑEZ me donne ma chance et j’ai voulu prouver qu’à la PJ on savait faire autre chose et s’adapter, sachant que mon expérience avec Jean-Paul BONNETAIN pouvait m’aider dans ce poste.

Lors de la phase de recrutement, je me suis retrouvé seul dans le bureau de Christophe CASTANER pour passer un entretien, habitué à des questions classiques de l’Administration. J’ai été très surpris par les questions du ministre : « Qu’est-ce que vous pensez de moi ? » ce qui est quand même déstabilisant, ou encore « Quelle différence faites-vous entre réforme et transformation ? », « Dites-moi en une phrase en quoi vous me seriez utile ». A cette dernière, je répondais en deux phrases et il me reprenait aussitôt « En une phrase, je vous ai dit !».
J’ai finalement été sélectionné malgré une prestation que j’ai moi-même jugée assez médiocre… Je me souviens en reparler au ministre quelques semaines plus tard, lui faire la remarque de la complexité de l’entretien et d’entendre sa confidence : « Vos attitudes m’intéressaient, pas vos réponses ».

Tout cela pour vous dire que toutes ces expériences de la vie endurcissent et donnent confiance en soi.
Au début je me sentais comme un gamin au cabinet du ministre. Lorsque je parlais 15 secondes à des ministres plusieurs années auparavant lors de visites officielles dans les services, je tremblais. Et puis c’est devenu normal avec le temps. Un autre point : cette fonction de conseiller est une lessiveuse, elle exige un travail de 08h00 à minuit tous les jours, week-ends compris. En plus on a connu la crise des gilets jaunes, la crise du Covid, et malgré l’actualité chargée il fallait « faire du fond » et avancer sur la réforme de la police, tout comme sur l’écriture du « plan stupéfiants » ou du « schéma national du maintien de l’ordre ». Le grand écart permanent…

Lorsque l’on sort d’une période comme celle-ci, on peut exprimer des souhaits, suivis ou non…
J’avais plus de 20 ans de PJ au compteur, j’adore cette maison, elle restera ma maison de cœur, et aujourd’hui encore je me sens toujours dans la peau « d’un flic de PJ ». Je pense que je le serai jusqu’à la fin de ma carrière parce que c’est comme cela que j’ai été formé. Mais ce n’est pas parce que l’on a un profil PJ que l’on ne peut pas exporter son savoir-faire et se diversifier. La réforme de la police arrivait avec la volonté de prôner la polyvalence dans les parcours de carrière, cela me semblait cohérent d’aller travailler en sécurité publique avec de nombreux enjeux portés par le ministre. Et donc je deviens en janvier 2021 directeur zonal de la sécurité publique pour la zone sud-est, basé à Lyon.

Fabrice GARDON sur une opération en 2022 comme directeur zonal de la sécurité publique à Lyon © Fabrice GARDON

J’étais très bien à Lyon espérant y passer 4 ou 5 ans avec ma famille que j’avais délocalisée de Marseille. Et mi-août 2022, on me demande d’être à Paris fin août pour diriger la PAF. Malgré les grosses contraintes que cela générait sur ma vie personnelle, j’ai accepté et je ne le regrette absolument pas. La PAF est vraiment une direction méconnue, je dirais presque sous-estimée. Il y a des policiers extrêmement motivés sur ces missions essentielles, et les gens n’imaginent pas à quel point elle est utile à toute la police et aux Français.
Et c’est d’ailleurs un des axes que l’on veut développer : la communication interne et externe pour valoriser la PAF, parce qu’elle le mérite. C’est une direction très attachante de 12000 personnes sur les 150000 policiers, dont les 30000 de la Préfecture de police. Ce qui signifie qu’à peu près 1 policier sur 10 de la DGPN appartient à la PAF, métropole et outre-mer comprises.

Question 5 – Quels sont vos liens de travail à la DCPAF avec les autres directions ?

En police, on a des liens très forts et quotidiens avec trois grandes directions : la sécurité publique, la police judiciaire, et la DCIS (Direction de la coopération internationale de sécurité) dirigée par Sophie HATT. On a des liens également avec les autres directions mais plus ponctuels.

Hors police, on a des liens forts avec la DGEF, la Direction générale des étrangers en France, qui est une autre grande direction générale du ministère de l’Intérieur.

Mon chef est le Directeur général de la Police nationale Frédéric VEAUX même si la DCPAF travaille aussi quotidiennement avec la DGEF. On doit arriver à travailler en harmonie avec ces deux DG et en pratique cela se passe remarquablement bien.

On travaille beaucoup également en direct avec le cabinet du ministre compte tenu de la technicité de nos sujets, avec l’accord du DGPN. C’est sans doute une particularité de la PAF par rapport aux autres filières de la police.

Question 6 – Avez-vous des messages à faire passer aujourd’hui, notamment auprès des jeunes ?

La grande force de la police c’est le collectif contrairement par exemple aux métiers de la magistrature qui sont globalement assez solitaires, et même dans d’autres administrations.

Je dis souvent aux équipes que le plus important n’est pas le travail que l’on fait mais avec qui on le fait. Et donc se retrouver avec des gens qui ont cet esprit de solidarité, ce véritable esprit d’équipe est vraiment irremplaçable. Et même si on dit que la nouvelle génération est plus individualiste, en police on a toujours le sens du collectif et ce quel que soit le service. Quand on vient le matin, savoir que l’on va retrouver des copains et même si on doit être rigoureux, respectueux des règles en interne et de la déontologie, on peut aussi avoir un esprit de camaraderie sans se prendre au sérieux. Et cela j’y accorde énormément d’importance.

Un autre avantage indéniable pour les jeunes qui intègrent la police, c’est l’ouverture vers des centaines de métiers différents. On sait que la nouvelle génération n’a pas globalement envie de faire le même métier pendant 20 ou 30 ans. La police offre cette opportunité de changer de métier tout en restant dans la même maison ce qui se trouve plus difficilement dans le privé.

On peut travailler en tenue dans des cités et se faire viser par des tirs de mortiers, lutter contre les rodéos, faire des flags et puis se retrouver avec une veste et rédiger des notes lues par le ministre ou par des grandes autorités si on travaille dans le renseignement par exemple. Ou alors faire des enquêtes sur la criminalité organisée, ou partir à l’étranger et être en poste en ambassade. C’est hyper varié et c’est une richesse énorme qu’offre la police.

  • Quelles sont les voies d’entrée à la police ?

Rejoindre la Police c’est en fait s’assurer de pouvoir découvrir des métiers très variés. Pour cela, il y a 3 portes d’entrée : gardien de la paix, officier et commissaire. Et dans chacun de ces corps, la moitié des postes est réservée à la promotion interne. Il y a donc ce côté promotion sociale qui est important dans la police.

Question 7 – La plus indiscrète. Avec le peu de temps que vous consacrez au non-travail, que faites-vous ?

Déjà ma famille parce que je suis marié avec deux enfants.
J’ai fait des célibats géographiques lorsque j’étais au cabinet du ministre ou plus récemment à la PAF, et malgré tout j’ai fait déménager ma famille déjà quatre fois.  Alors j’aime passer du temps avec mon épouse et mes ados. En ce moment on est sur Parcoursup pour ma fille qui passe le bac, on fait du sport aussi avec mon fils.

Après j’ai des amis de 20 ou 30 ans avec lesquels je suis très lié, je pense que l’amitié, cette complicité est très importante, c’est de l’humain.

En termes d’activité pure, je pratique le sport pour m’entretenir. Ma hantise serait de faire des restos tous les midis et d’affoler l’aiguille de la balance, alors je fais de la course à pied, beaucoup de tennis parce que c’est un sport mental, technique et ludique. Je suis Grenoblois d’origine, je fais aussi du ski et du VTT… quand j’en ai le temps !

Pour les passions, j’adore la Formule 1 depuis tout petit et je crois avoir donné ce virus à mes enfants à tel point que mon fils se voit pilote de F1. Je lui ai dit que cela allait être compliqué parce que l’on n’est pas dans un système où je l’emmène sur les pistes de karting tous les week-ends mais il se voit diriger une équipe de Formule 1 plus tard. L’époque d’Alain Prost et d’Ayrton Senna m’a marqué.

Je terminerais en disant qu’il y a beaucoup d’analogie entre la police et le sport individuel ou d’équipe de haut niveau, sur la façon dont un coach va prendre une équipe, comment on va gérer un moment difficile, comment on va pérenniser un succès … Je ne vous dirai pas J’aurais aimé être un artiste, mais j’aurais aimé être un sportif de haut niveau ! Me battre pour mon pays, gagner une médaille ou un titre en équipe avec le maillot bleu sur le dos en écoutant la Marseillaise lors de la remise du trophée…

Une photo souvenir que je partage avec joie avant de conclure 

Fabrice GARDON sur le parcours de trail dans le parc de la FBI National Academy à Quantico en 2004 © Fabrice GARDON

Un remerciement Fabrice pour l’entretien passionnant.

Je tiens à vous remercier ainsi que l’ensemble des équipes et des partenaires qui font un travail difficile, complexe. Tous méritent à mon sens davantage de mise en lumière dans les médias et auprès des citoyens avec le plus grand respect. 

___________________

Note importante :
il est strictement interdit de copier tout ou partie de l’article, contenu rédactionnel et photos.

Photo en Une : cérémonie de remise de la Légion d’honneur de M. Frédéric VEAUX, DGPN, à M. Fabrice GARDON, DCPAF, en 2021.

 

1 commentaire
  1. DJEDJI Jovite dit

    Bonjour, je félicite Mr Gardon pour sa nomination et lui souhaite le meilleur dans son service. J’ai une question personnelle. Je suis ivoirien. J’ai perdu ma carte de séjour. J’ai obtenu une main courante depuis le 28 juin. J’ai mon passeport en règle. J’ai obtenu une attestation de dépôt de demande de duplicata depuis le 28 juin. Je pars le 11 juillet pour la Côte d’Ivoire. Pourrai-je partir en congé et revenir le 24 août en France dans l’espoir d’obtenir une décision favorable pour mon duplicata d’ici là ? La police aux frontières va-t-elle me faire des difficultés? Puisque je n’arrive pas à obtenir une réponse par le numéro de renseignement de la police aux frontière. J’essaie par cette voie. Merci.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.