Regards croisés de 3 formateurs de l’École Nationale Supérieure de la Police (ENSP)
Le 04 septembre 2023 (Regards croisés) – Jour J de la rentrée à l’École nationale supérieure de la police. Nous sommes à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (69) avec 3 formateurs : Julien RIFFARD, Nancy ROSENSTECH et Benjamin DAUBIGNY. Julien RIFFARD est commissaire divisionnaire, Chef de la Division investigation et police judiciaire, Nancy ROSENSTECH est commissaire de police, Cheffe de la Division Gestion de la Sécurité et Partenariats, et Benjamin DAUBIGNY est commissaire de police, Chef de la Division Management et Communication.
La rencontre s’est faite dans le cadre de la cérémonie à l’ENSP de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or célébrant la sortie de la 73e et le baptême de la 74e promotions des commissaires, présidée par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer M. Gérald DARMANIN, en présence du directeur général de la Police nationale, M. Frédéric VEAUX, Madame Fabienne BUCCIO, préfète du Rhône, et de Madame Martine COUDERT, directrice de l’ENSP.
Julien RIFFARD
Commissaire divisionnaire,
Chef de la Division investigation et police judiciaire
École nationale supérieure de la police
Quelle est votre mission à l’ENSP ?
Ma mission première à l’ENSP est d’enseigner l’enquête judiciaire aux élèves commissaires de police. Cet enseignement inclut des cours en amphithéâtre, des cas pratiques, des mises en situation, des travaux dirigés avec rédaction de procès verbaux, et des exercices opérationnels sur le terrain. Nous abordons notamment les acteurs de l’enquête judiciaire, les cadres d’enquête, et faisons un nombre important de focus sur des aspects techniques (constatations, géolocalisation, réquisitions, garde à vue…) et sur le rôle du commissaire de police dans un service d’enquête.
Nous faisons aussi intervenir des professionnels de certains services de police, et d’autres institutions ou partenaires (médecin légiste, avocat, associations…) pour apporter leur expertise aux élèves.
En complément de la formation initiale, j’ai en charge l’organisation de plusieurs stages de formation continue, sur des thèmes judiciaires spécifiques : techniques spéciales d’enquête, saisie des avoirs criminels pour ne citer qu’eux.
Ces stages sont réservés à des commissaires de police déjà en poste, et parfois ouverts à d’autres administrations (justice, douanes) ainsi qu’à d’autres grades de la Police nationale.
Des actualités pour la rentrée 2024 ?
Elles seront nombreuses. Nous créons cette année un module de 4 heures dédié à une première approche de la cybercriminalité.
Je prévois de développer une journée complète dédiée aux contrôles d’identité, en alliant les apports théoriques et la mise en pratique opérationnelle via des simulations, pour faire toucher du doigt aux élèves commissaires les difficultés pratiques (nombreuses !) des contrôles d’identité. C’est un sujet qui fait souvent débat dans l’espace public, et au sujet duquel beaucoup de fausses idées prospèrent. Il nécessite des développements juridiques et opérationnels spécifiques en École.
Un certain nombre d’élèves de l’École Polytechnique vont effectuer une partie de leur scolarité à l’ENSP, c’est une nouveauté 2023 ; dans le cadre du réseau des grandes écoles.
Du côté des enseignements, nous allons devoir, tout au long de l’année, s’adapter aux mutations de la Police nationale puisque la réforme de grande ampleur que nous connaissons entre dans sa phase finale, avec des échéances de mise en place le 1er septembre 2023 et le 1er janvier 2024, notamment.
Nous aurons donc la tâche de mettre à jour en temps réel toutes nos interventions pour coller à l’actualité de l’institution.
Les « dates de péremption » de certains cours vont cette année se rapprocher à vitesse grand V, tant les changements vont se succéder rapidement !
Comment avez-vous vécu la cérémonie le 23 juin à l’ENSP ?
D’un point de vue professionnel, ça a été une première, et j’ai trouvé que c’était une réussite. Ce n’est pas de l’autosatisfaction, car tous les personnels qui ont assisté à plusieurs cérémonies ont trouvé celle-ci particulièrement réussie.
Elle avait de l’allure, et de l’éclat. C’est ce qu’on attend d’une telle cérémonie. La fierté du métier, plus que jamais nécessaire, étant palpable chez les élèves.
D’un point de vue plus personnel, je l’ai vécu sous un angle bien particulier, car j’étais ce qu’on appelle « l’officier d’ordonnance » du ministre de l’lntérieur, monsieur Gérald Darmanin.
Mon rôle était de le guider à chaque étape de la cérémonie, de la façon la plus discrète possible, en étant toujours à portée de son regard et en lui indiquant la prochaine étape de la cérémonie.
Cela m’a permis de marcher en le devançant pendant la cérémonie et, ce faisant, de la voir sous différents angles, au sens propre comme figuré.
C’était une place privilégiée que j’ai grandement appréciée.
Un mot dédié à la promotion sortante et un mot à la promotion entrante ?
J’ai très peu connu la 73ème promotion, sortante, étant arrivé au cours de leur scolarité à l’école.
En revanche, la 74ème promotion est la première que j’ai connue. Elle est entrée à l’École en même temps que moi.
J’ai donc un lien particulier avec cette promotion, qui est à mes yeux de haute valeur humaine, avec d’excellents potentiels, des personnalités riches et attachantes, et des policiers d’expérience très compétents.
Je leur souhaite le meilleur en stage, puisqu’ils attaquent une grosse période de stage de plusieurs mois.
Je serai ravi de travailler avec bon nombre d’entre eux à l’avenir, si notre route se recroisait dans un de mes futurs postes.
Quel message souhaitez-vous passer aux jeunes qui s’intéressent au métier de policier et qui n’ont pas encore franchi le pas ?
C’est avant tout la mission qu’il faut considérer, avoir pour horizon et point cardinal de sa boussole personnelle.
S’engager pour protéger les autres, pour empêcher les voyous et les délinquants de nuire, pour les chercher et les arrêter afin de les déférer à la justice, voilà le cœur du métier.
Ce métier s’organise autour de cette mission de protection de la population, en particulier des victimes, bien sûr.
La Police nationale est au service du bien commun, de la nation, du peuple.
La période actuelle est difficile pour l’institution : violences subies dans le cadre des événements d’ordre public, tribunal médiatique souvent insistant voire à charge sur les « violences policières » (je récuse le terme).
C’est justement dans des moments difficiles qu’il faut que la jeune génération passe le pas, ose et vienne incarner l’avenir de la Police nationale et de ses nobles missions. La France en vaut la peine.
Nancy ROSENSTECH
Commissaire de police,
Cheffe de la Division Gestion de la Sécurité et Partenariats
École nationale supérieure de la police
Quelle est votre mission à l’ENSP ?
Je suis chargée de formation, cheffe de la division gestion de la sécurité et partenariats. Ma mission est donc d’assurer les enseignements inhérents à cette matière, en formation initiale comme en formation continue. Il ne m’incombe pas nécessairement d’assurer ces enseignements (selon les thèmes), cela peut aussi vouloir dire trouver les intervenants spécialisés sur certaines questions.
C’est à nous de trouver la balance entre les enseignements issus de nos savoirs propres, de nos spécialités et expériences, et ceux qui nécessitent de choisir un intervenant expert dans le domaine que l’on souhaite traiter.
Ce poste de chargée de formation nécessite également de notre part que nous définissions les sujets qui doivent être abordés, en formation initiale comme en formation continue, ainsi que la meilleure manière de les aborder : je pense ici aux techniques pédagogiques mises en œuvre (exposé/conférence, table ronde, TD, simulations…). L’objectif étant bien entendu d’assurer un enseignement de qualité à nos élèves ou collègues, aisément transposable dans le cadre de leurs (futures) fonctions et présentant donc un caractère opérationnel, professionnalisant.
Des actualités pour la rentrée 2024 ?
Une augmentation forte du nombre d’élèves nécessite de notre part une adaptation des techniques pédagogiques mises en œuvre.
La réforme en cours de l’organisation de la Police nationale entraîne une appropriation de cette réforme par l’école.
Et donc une adaptation parallèle de la répartition des missions entre les différents chargés de formation.
Comment avez-vous vécu la cérémonie le 23 juin à l’ENSP ?
Vécue avec beaucoup d’émotion, pour plusieurs raisons qui ne sont pas présentées par ordre d’importance :
– rappel de ma propre cérémonie de sortie qui est toujours un moment émouvant pour les élèves et leurs familles, et qui nous rend tous fiers du travail accompli jusque-là et de celui qui nous attend sur le terrain ;
– émotion due à la symbolique de la cérémonie, qu’il s’agisse de la sortie d’une promotion ou du baptême d’une autre. Je dirais que la réunion de tous ces symboles (épée, écharpe tricolore, drapeau…) vient nous rappeler que nous appartenons tous à une même famille. La cérémonie de sortie est pour nous, chargés de formation, le moment où nous regardons les élèves partir sur le terrain, en espérant le meilleur pour eux dans leurs fonctions et aussi très égoïstement que nos enseignements auront été à la hauteur de ce qui les attend.
Un mot dédié à la promotion sortante et un mot à la promotion entrante ?
A la promotion sortante, je dirais juste : « si vous aimez ce que vous faites, vous réussirez » (A.Schweitzer) car le moment de la sortie et de la prise de fonction peut souvent s’avérer source d’inquiétudes et cette citation me paraît particulièrement apaisante à cette étape de leur carrière.
La promotion entrante a déjà un an de scolarité derrière elle et s’apprête à partir en stage. Je serais donc beaucoup plus pragmatique les concernant en les invitant durant ce stage à la plus grande des curiosités : faire le tour des services, discuter avec tout le monde : collègues de tous grades, partenaires extérieurs, concitoyens. C’est un temps important pour enrichir leur expérience, se nourrir de celle des autres, poser des questions…
Quel message souhaitez-vous passer aux jeunes qui s’intéressent au métier de policier
et qui n’ont pas encore franchi le pas ?
Pour ceux qui hésitent encore, je dirais que c’est un métier extrêmement riche, tant par la diversité des missions, que par le lien privilégié entre les hommes et les femmes qui l’exercent (car il existe une grande solidarité au sein de la PN), et entre les policiers et la population.
Pour exemple, je crois que la simple vue d’une fillette sur les Champs-Élysées arborant une pancarte « merci de nous protéger » lors du passage de la police lors du défilé du 14 juillet suffit à nous rappeler les raisons pour lesquelles nous avons choisi ce métier. Je sais qu’il peut paraître difficile (et il l’est à maints égards), mais ce simple petit message vaut bien toutes les difficultés que nous rencontrons à mon sens.
Benjamin DAUBIGNY
Commissaire de Police,
Chef de la Division Management et Communication
École nationale supérieure de la police
Quelle est votre mission à l’ENSP ?
A l’ENSP, je suis chef de la Division du Management et de la Communication, et en tant que tel, je suis chargé de la formation dans ces domaines. Cela s’entend comme la formation initiale des promotions de commissaires de police, pendant leur phase d’apprentissages en école à la réussite du concours, auxquels s’ajoutent les cadres de police étrangers formés par l’ENSP. Mais cela recouvre aussi la supervision ou l’animation de stages en formation continue pour des publics plus larges de « managers » (tous corps confondus), au cours de leur carrière.
Cette mission de formation et de transmission nécessite bien entendu un travail de recherches, pour proposer des contenus actualisés, comparés, réfléchis. Ensuite, il y a un travail de conception, avec un contenu pédagogique de savoirs et des exercices pratiques (cas concrets, simulations…). Enfin, il y a un travail d’évaluation et d’amélioration permanente. Par conséquent, au-delà de l’animation de cours ou de stages, il existe une mission importante pour que les formations proposées par l’ENSP soient à la hauteur des enjeux de la Police nationale et de la valeur d’excellence de l’établissement.
Des actualités pour la rentrée 2024 ?
Les actualités de la rentrée 2024 sont multiples, mais nous pouvons en retenir deux.
En formation initiale, le défi est de former davantage de commissaires de police, puisque les promotions connaissent une augmentation non négligeable : on passe de 66 élèves-commissaires à 84, auxquels s’ajoutent les élèves-commissaires luxembourgeois également formés par l’ENSP. L’enjeu, pour les chargés de formation, est d’adapter les méthodes pédagogiques à un public plus conséquent, tout en conservant un équilibre entre les apports théoriques indispensables et les exercices pratiques que nous renouvelons sans cesse pour adapter aux réalités de terrain.
En formation continue, les stages de communication, régulièrement très prisés, vont prendre une teinte nouvelle. En effet, le stage « Face à la caméra » va s’inscrire dans un contexte spécifique. En effet, la médiatisation de la Police nationale, déjà évidente et nécessitant une démarche professionnelle de la part de ses agents, va être également concernée par les J.O. 2024. L’ENSP doit ainsi contribuer à donner aux responsables de la Police nationale les outils et les clés permettant de communiquer efficacement dans cette dimension. Ce stage est également ouvert aux magistrats, dans le cadre d’un partenariat avec l’École nationale de la magistrature (ENM), et offre régulièrement des échanges de qualité entre stagiaires, pour une meilleure approche institutionnelle de la communication.
Comment avez-vous vécu la cérémonie le 23 juin à l’ENSP ?
En tant que chargé de formation, j’ai eu la chance avec plusieurs de mes collègues de participer activement à cette cérémonie, en étant présent sur la place d’armes, à l’instar des promotions. C’est donc un moment de partage intense avec celles-ci, où la symbolique de la transmission (du drapeau, entre promotions, avec les cadres de l’école, avec les cadres de police étrangers, avec les générations représentées…) est pleinement aboutie. C’est également un moment solennel très fort, où écouter les attentes institutionnelles et ministérielles à l’égard des commissaires de police nous oblige, et où le serment solennel du major de promotion nous rappelle la force de notre engagement.
A titre plus personnel, la présence de Madame Martine MONTEIL, éponyme de la 74ème promotion de commissaires de police, a été une émotion particulière : elle était en effet présidente de mon jury de recrutement il y a quelques années.
Un mot dédié à la promotion sortante et un mot à la promotion entrante ?
La 73ème promotion, qui vient de prendre son premier poste de commissaire de police, est prête. Son parcours de formation initiale lui a donné les premières clés utiles à cette belle mission. Je souhaite à l’ensemble de ces collègues autant de réussite dans l’approche collective et missionnelle de leur métier, que de plaisir dans la gestion de leur équipe et de leur service.
Pour la 74ème promotion, avec laquelle nous venons de vivre le défilé du 14 juillet, il leur reste près d’une année avant sa prise de fonctions. Cette année va nécessiter de redoubler d’efforts dans l’investissement de formation, notamment lors de périodes de stages, pour faire aboutir le processus de maturation professionnelle de son parcours. Tous les commissaires-stagiaires vont continuer à être accompagnés, afin de devenir d’excellents chefs de service.
Quel message souhaitez-vous passer aux jeunes qui s’intéressent au métier de policier et qui n’ont pas encore franchi le pas ?
Certains jeunes acquièrent très tôt la conviction de leur envie professionnelle, et se dirigent avec une forte conviction vers les métiers de la Police nationale.
D’autres ont besoin de passer par des étapes de stages, de rencontres, de réflexion, avant d’embrasser ces carrières. A tous, la Police nationale ouvre ses portes, et quand je vois aujourd’hui la grande diversité des profils des commissaires de police, aux parcours aussi riches qu’intéressants pour l’institution, je me réjouis de savoir que les approches sont multiples. En outre, au vu du grand nombre de fonctions différentes existant dans la Police nationale, il y a une place pour beaucoup de personnes, et pour des parcours de carrière différenciés. L’essentiel réside dans le sens que l’on porte à ce service public, dans les valeurs déontologiques que l’on fait vivre au quotidien, et dans la relation aux autres.
Je pourrais résumer cela en une boussole des 4 H pour les commissaires de police :
Humilité, car on apprend tous les jours, de nos équipes et des évolutions de la société, du droit, des technologies ;
Honnêteté, que l’on attend naturellement sous forme de probité, mais aussi intellectuellement, avec le droit à l’erreur ;
Hiérarchie, car le commissaire de police doit assumer son positionnement de chef, avec toutes ses responsabilités, et ne pas oublier qu’il s’inscrit lui-même dans une hiérarchie supérieure à laquelle il doit la loyauté ;
Humanité, qui doit animer le chef à l’égard de ses collaborateurs, et tout policier à l’égard du public.
Si des candidats aux concours se retrouvent dans cette approche : qu’ils n’hésitent pas à tenter de nous rejoindre.
Un remerciement appuyé pour votre engagement à former les commissaires. Il ne reste plus qu’à vous souhaiter une excellente rentrée : formateurs, élèves… Madame Martine Coudert et Madame Martine Monteil.
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