Interview de Dominique BEZZINA, Officier de liaison Criminalité transfrontalière – SSI Washington

0

Le 20 novembre 2023 – Une belle nouvelle, nous avons le plaisir de découvrir le parcours de Dominique BEZZINA de son expérience de commandant de police Chef du CRA de Mayotte à aujourd’hui dans ses fonctions de SSI Washington, en tant qu’officier de liaison Criminalité transfrontalière. Nous nous entretenons depuis des années et je suis heureuse de valoriser les services que Dominique représente à travers ses expériences.

Dominique BEZZINA est rattaché à la DCIS, Direction de Coopération Internationale de Sécurité, dont la directrice est Mme Sophie HATT et Valentine RIOULT, contrôleuse générale de la Police nationale et sous-directrice Monde à la DCIS.

Un article Tourisme Washington DC pour les curieux !

Bonjour Dominique,
Quel bilan de l’expérience de Commandant de Police Chef du CRA de Mayotte ?

Pafiste depuis très longtemps, c’est la première fois que j’endossais le costume de chef d’un centre de rétention administrative, et pas le moindre, celui de Mayotte.

Un CRA ou centre de rétention administrative est un lieu de privation de liberté dans lequel l’administration peut retenir, pour une durée limitée et sous contrôle juridictionnel, les étrangers faisant l’objet d’une procédure d’éloignement et ne pouvant pas quitter immédiatement la France.

Un LRA ou local de rétention de rétention administrative est également destiné à recevoir des étrangers en attente leur éloignement ou leur transfert dans un CRA. Doté d’un statut juridique différent, le temps de rétention y est beaucoup plus court.

Il s’agit du plus grand CRA de France, à double titre :

  • En termes de capacité de rétention : puisqu’en plus des 136 places de rétention, le chef du CRA gère plusieurs LRA (locaux de rétention administrative), pouvant contenir jusqu’à une centaine de places. Mayotte bénéficiant de dérogations en raison de la situation migratoire particulière, 3 ou 4 LRA d’une capacité totale de 112 places étaient ouverts en fonction de l’activité des forces interpellatrices, police ou gendarmerie nationales.
  • Mais aussi en termes d’activité : le CRA et les LRA de Mayotte (gérés par le Chef du CRA) a accueilli, ces dernières années, plus de 30,000 retenus par an. Cela représente plus de 65% des intégrations des 25 centres français. En 2022 par exemple, près de 5600 étrangers étaient éloignés depuis les CRA métropolitains, contre près de 25000 par celui de Mayotte !! Nous étions à une moyenne de 80 personnes reconduites quotidiennement. Ce chiffre est absolument phénoménal. Fort heureusement, j’ai pu compter sur des équipes motivées. Le professionnalisme des policiers du CRA de Mayotte nous a valu les félicitations de M. Gérald DARMANIN, ministre de l’intérieur, qui l’a qualifié « de plus grand, ayant l’activité la plus importante, et le mieux entretenu ». Je ne vous cache que j’en suis fier.
Dominique BEZZINA, ses adjoints et ses chefs de groupe du CRA de Mayotte (Repas au mess du DLEM de Mayotte) © Dominique BEZZINA

J’ai dû apprendre un nouveau métier, celui de chef d’une importante entreprise, fonctionnant 24h/24, et ne devant jamais s’arrêter. Une fermeture de zone pouvait avoir des conséquences importantes sur le travail des collègues sur le terrain, dans leur mission de lutte contre l’immigration irrégulière.

Cette expérience fut donc extraordinaire. La gestion de cette activité, hors norme, tout en améliorant le fonctionnement du CRA et les conditions de vie des retenus, fut un défi permanent. Heureusement, j’ai toujours été épaulé par mes équipes -très professionnelles- et notamment mon adjointe le Major RULP Régine BERNARDET, qui avait la même vision que moi.

Lors de la remise de l’Ordre National du Mérite Dominique BEZZINA et le B/M Régine BERNARDET © SIRPA

Passionné par notre métier, nous avons mené à bien de nombreux projets : une gestion informatisée des retenus et des différentes zones du CRA, une aire de jeu avec graphismes muraux dans l’espace famille, une salle de justice… le tout grâce au soutien et à la confiance des deux sous-préfets successifs, Mme Nathalie GIMONET et Frédéric SAUTRON. Nathalie m’a fait citer à l’ordre National du Mérite et Frédéric m’a délivré la médaille d’honneur de l’engagement ultra-marin. Je suis extrêmement honoré de ces deux distinctions. Ils sont devenus des amis.

Lors de la remise de l’Ordre National du Mérite Dominique BEZZINA avec le B:M Régine BERNARDET et le sous-préfet M. Frédéric SAUTRON, sous-préfet en charge la LIC à Mayotte © Dominique BEZZINA

Enfin, du fait de mon passé de pafiste, je me suis lancé dans les éloignements dits « lointains », c’est-à-dire hors Comores et Madagascar, les îles voisines de Mayotte. Nous avons réussi à mettre en place des missions extraordinaires vers le Sri Lanka, le Bangladesh, et les pays d’Afrique des Grands Lacs, comme la République démocratique du Congo, le Rwanda… Ce fut long et compliqué mais nous y sommes arrivés. Dans le projet, avec l’aide de Laurent Le Goff, ASI en poste à Djibouti (et je le remercie pour m’avoir fait confiance), nous avons obtenu un accord avec les services de l’immigration du Kenya pour pouvoir faire transiter nos missions d’éloignement, avec ou sans escorte, par l’aéroport de Nairobi. Une belle victoire avec des conséquences opérationnelles largement positives.

D’un point de vue professionnel, cette expérience de chef de CRA n’aurait pas pu être plus enrichissante et gratifiante. Lors de ces déplacements à Mayotte, le Ministre de l’Intérieur, M. Gérald DARMANIN, a reconnu l’excellente tenue de ce CRA, et a apprécié les innovations développées en interne.

Lors de la remise de l’Ordre National du Mérite avec le ministre de l’intérieur M. Gérald DARMANIN et Dominique BEZZINA et ses enfants © Dominique BEZZINA

Au 1er septembre 2023, vous avez pris vos fonctions de SSI Washington, en tant qu’officier de liaison Criminalité transfrontalière. Nous sommes en novembre 2023, quel est votre premier retour d’expérience ?

Je suis effectivement affecté depuis le 1er septembre au sein du service de sécurité intérieure des États-Unis à Washington DC. La particularité est que je suis basé 4 jours par semaine au sein du NTC du CBP.

Le CBP, Customs and Border Protection, est le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis. Fondé à la suite du 11/09, il est une agence du DHS, département de la sécurité intérieure américain.

Ses deux missions principales sont d’éviter l’intrusion terroriste sur le territoire des USA et l’introduction d’armes mais également la lutte contre l’immigration illégale aux États-Unis. Elle joue également un rôle équivalent à la douane française. Elle lutte contre l’introduction sur le territoire américain de drogues, de contrebande, de produit non autorisé sur le territoire, comme les produits agricoles issus de milieu tropicaux qui sont sujets à une forte surveillance pour éviter la propagation d’une contamination. Enfin, cette agence protège également la propriété intellectuelle.

Le NTC, National Targeting Center, est une division du CBP. Fonctionnant 24/7/365, sa mission est de stopper les voyageurs et de détecter les cargos qui menaceraient la sécurité nationale. Pour cela, il observe le trafic aérien et les activités commerciales, rassemble et vérifie les renseignements. Le NTC comprend plusieurs divisions, notamment : NTC-Cargo, NTC-Passenger, Counter-Network, National Targeting Center – Investigations (NTC-I) ainsi que le ITC (international Targeting center) qui comprend de nombreux ODL. Il y a en premier lieu un douanier et un policier français -moi- mais aussi des policiers espagnol, brésilien, colombien et des douaniers japonais et colombien. Ensuite sont représentés les « Five Borders », que sont les anglais, canadien, australien et néo-zélandais. Il s’agit d’une déclinaison des « Five Eyes », qui désigne l’alliance des services de renseignement.

Les agents du CBP et les ODL échangent donc des renseignements opérationnels sur les thématiques mentionnées, la finalité étant la lutte contre le crime organisée sous toutes ces formes (Stupéfiants, armes, trafic de migrants, terrorisme…).

C’est donc un rôle très opérationnel que j’occupe.

Je ne suis en poste que depuis 2 mois mais les premiers sentiments sont extrêmement positifs. Tout d’abord, les États-Unis sont un pays que j’affectionne particulièrement. Le travail à l’étranger me plait énormément. C’est ma troisième expatriation, après un poste d’officier de liaison à Hong Kong et un détachement de 9 mois au sein du département des opérations des Nations-Unies en Haïti.

Lorsque j’étais à Hong Kong, j’occupais le rôle d’officier de liaison à dominante immigration. Il était similaire à celui que j’occupe actuellement mais davantage axé sur l’immigration irrégulière et la fraude documentaire. Je couvrais les régions administratives spéciales de la Chine, HKG et Macao, mais aussi Taiwan. L’ASI français de l’époque, en poste à Singapour, Lucas PHILIPPE, n’ayant pas d’OLI dans son équipe, m’avait donc confié sa zone de responsabilité. J’exerçais donc également à Singapour, en Malaisie, aux Philippines, au Laos, au Vietnam, et à Brunei. J’effectuais beaucoup de formations au bénéfice des compagnies aériennes en matière de règlementation Schengen, de fraude documentaire et de profiling afin de détecter les passagers présentant un risque migratoire.

En Haïti, j’ai eu la chance d’être rapidement promu à un poste à responsabilité. J’ai été choisi pour être directeur central de la police administrative au sein du pilier des opérations. Étaient donc sous ma responsabilité la police de la route, les 3 frontières (terrestre, maritime et aérienne), les BIM (brigades d’intervention motorisées) et le service d’incendie. Ce fut un poste très enrichissant.

En mission pour l’ONU en 2013, visite d’un camp de déplacés à Port au Prince en compagnie de Lambert WILSON, qui soutenait la Paix en Haiti © Dominique BEZZINA

Le poste à Washington est particulier car je suis implanté au cœur du CBP, l’une des plus grosses agences américaines. Travailler en permanence avec des agents US et d’autres officiers de liaison est passionnant. Je traite une grande partie des aspects opérationnels du SSI États-Unis, en étant l’interface des services de police ou de gendarmerie français et nos homologues américains. Les requêtes, qu’elles parviennent du partenaire américain, de la police ou la gendarmerie françaises, par le biais de H24, voire des autres officiers de liaison sont nombreuses et multiples, principalement de la criminalité transfrontalière bien évidement mais pas uniquement.

Je suis ainsi saisi de toutes les demandes concernant l’immigration irrégulière. Sans dévoiler des dossiers en cours, les États-Unis sont actuellement ciblés par des individus transitant par la France ou ayant des liens en France. La police française coopère également avec les forces de l’ordre américaines en matière de lutte contre l’extrémisme, le trafic de stupéfiant et le crime organisé, les atteintes sexuelles, la délinquance financière et le cybercrime. Avec mes autres collègues du SSI, j’apporte un soutien aux enquêteurs français, qu’ils soient de la police ou de la gendarmerie nationales. Nous offrons également une assistance à la communauté française installée aux États-Unis. Leurs problèmes sont divers et variés, d’une simple question concernant un visa à une disparition inquiétante, en passant par un homicide. Enfin, nous participons à l’organisation des voyages officiels, Ministres, Secrétaires d’État français, et des déplacements des directeurs généraux de nos forces.

Cet aspect fait qu’on ne s’ennuie jamais et il n’y a pas de monotonie.

Quelles étaient vos motivations premières ? 

Enfant, je souhaitais être pilote de chasse dans l’armée de l’air mais mes idées ont changé quand j’ai eu l’âge de regarder les séries télévisées policières. J’avais donc trouvé une nouvelle voie : arrêter les bandits et les mettre en prison.

À l’issue de mon baccalauréat scientifique, j’ai effectué des études de droit à l’université Robert Schuman de Strasbourg, jusqu’en licence, pour passer le concours d’officier de police.

La réforme des corps et carrières de 1995 m’empêcha de passer le concours d’inspecteur de police. Ces policiers vêtus d’une panoplie passe-partout, jean et blouson de ville, fusionnaient avec les officiers de paix, qui portaient une tenue.

Cela ne m’a absolument pas rebuté et j’ai donc passé le concours de Lieutenant de Police. J’étais absolument fier de porter cette tenue. Je l’ai toujours été et le serai toujours, puisque j’ai occupé plusieurs postes en tenue, que ce soit en sécurité publique ou au sein de la police aux frontières.

Lorsqu’on intègre la police nationale par conviction, comme c’est mon cas, il faut savoir faire des concessions familiales. En effet, c’est un investissement personnel important, car on est « flic » 24 heures sur 24, 7 jours du 7. Parfois, il faut savoir sacrifier un repas de Noël ou un repas d’anniversaire d’un de ses enfants.

La police nationale n’est pas un métier, ce sont des centaines de métiers différents. Chacun peut y trouver sa voie, sa passion. Entre la voie publique, en tenue ou en civil, l’investigation, les brigades spécialisées, comme les VTT, les canines ou les équestres, les opportunités sont infinies.

Je rebondis sur vos loisirs et passions. Sont-ils nombreux ?

Bien que je sois passionné par mon travail, j’essaye quand même de garder un peu de place pour les loisirs. Il est absolument nécessaire d’avoir des loisirs ou des passions pour s’évader un peu et se changer les idées.

Ma famille et moi adorons les voyages. La découverte d’autres cultures, identités, nourritures, est absolument merveilleux. Nous avons eu l’occasion de découvrir de nombreux pays, sur tous les continents – Asie, Océanie, Afrique, Amérique du nord et du sud, Europe – et chaque nouvelle découverte est un immense plaisir. Ces voyages sont également synonymes d’une énorme ouverture d’esprit pour nos deux enfants. Ma fille a 11 ans et mon fils 16. Mes différentes affectations et nos voyages leurs ont permis de découvrir le monde, et de parler l’anglais. Ils sont d’ailleurs scolarisés dans le système américain, ici, en Virginie. Il s’agit d’une expérience extraordinaire. Le système est différent de l’éducation nationale française mais ils se sont rapidement adaptés et intégrés.

Dominique BEZZINA en voyage familial au Japon en 2016 © Dominique BEZZINA
Vue de Hong Kong, depuis le Peak, où nous habitions lorsque j’étais affecté au SSI Chine (2015) © Dominique BEZZINA

Je suis également passionné par la photographie, que j’ai le plaisir d’exercer lors de nos différents voyages et randonnée. Ma femme et moi aimons randonner. Lors de notre séjour à Mayotte, notre destination favorite était l’île de la Réunion. Une parfaite bouffée d’oxygène et un ressourcement total. Les possibilités de marches y sont infinies, et les paysages d’une beauté incroyable. Nous sommes tombés amoureux de ce lieu magique. Nous avions besoin de cette échappée car les années passées à Mayotte n’ont pas été les plus simples.

Vue de Grande-Terre depuis Petite-Terre, coucher de soleil (Mayotte 2020) © Dominique BEZZINA

Enfin, je suis passionné de moto. Et ce depuis très longtemps. J’essaye de pratiquer quel que soit mon lieu d’affectation : métropole, Guyane, Hong Kong, Mayotte ou ici aux États-Unis. Je viens d’ailleurs de m’inscrire dans un club, un MC – motorcycle club – comme disent les américains, dédié aux forces de sécurité : les Blue Knights.

Je vous souhaite Dominique une pleine réussite dans votre mission actuelle !
Un remerciement pour votre disponibilité 7/7 efficace et bien sympathique.

Toutes les interviews de la DCIS.
Des actualités récentes à lire sur le réseau LinkedIn !


Note importante : il est strictement interdit de copier tout ou partie de l’article (contenu et photos). 

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.