Interview Exclusive – David Le Bars dresse le bilan de son mandat de Secrétaire général du SCPN, Syndicat des Commissaires de la Police nationale

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Le mercredi 29 novembre 2023 se tient le 41ème Congrès du Syndicat des commissaires de la Police nationale, SCPN, à Nanterre. L’ordre du jour est celui de la sortie de David LE BARS, Secrétaire général du SCPN, et de l’entrée de Frédéric LAUZE, Secrétaire général du SCPN. En présence le Directeur général de la Police nationale, M. Frédéric VEAUX, des hautes autorités et des commissaires de police.

Dans les jours précédents, c’est à Paris que je me suis entretenue avec David LE BARS pour une interview exclusive sur son bilan de mandat au Syndicat des commissaires de la Police nationale. Un honneur puisque David LE BARS est très sollicité, et aussi une joie puisque j’avais déjà eu le plaisir de l’interviewer le 18 mai 2020 sur sa personnalité, son parcours à la Police nationale et son arrivée au SCPN. De fait, je remercie David LE BARS pour sa confiance renouvelée.

Bonjour David,
Nous sommes à l’heure du bilan de votre mandat de Secrétaire général du Syndicat des Commissaires de la Police nationale (SCPN). Que dire de l’expérience de 5 ans ?

Un remerciement pour votre confiance également.
Je suis presque pris de court tellement l’expérience a été dense.

Je vais commencer par la logique, par la première démarche que j’ai faite.
Je suis allé voir Céline BERTHON qui à l’époque était Secrétaire générale du Syndicat des Commissaires de la Police nationale (SCPN) pour une raison simple : j’en étais à 20 ans de sécurité publique, et je voulais changer. J’avais choisi des endroits difficiles, j’ai vécu des choses un peu particulières, notamment à Saint-Denis (93) où j’ai connu les attentats et d’autres choses. J’en profite pour parler d’un policier pour lequel j’ai beaucoup d’affection, Yann SAILLOUR, un collègue de la BAC qui a reçu deux balles dans la tête et qui aujourd’hui va pour le mieux et auquel je pense souvent.

A vouloir changer d’horizon, j’ai accepté sans trop hésiter de rejoindre le SCPN. C’est l’acte 1 de mon mandat.

Les choses vont ensuite assez vite : je dis « oui » pour succéder à Céline BERTHON, et cela s’est fait dans un temps très court (10 mois) alors que le poste d’adjoint dure en général deux ou 3 ans. Heureusement j’étais entouré de deux collègues : Pierrick AGOSTINI et Jérémie DUMONT déjà présents au sein du syndicat et qui se sont engagés avec moi pour monter l’équipe suivante.

On arrive à la date de l’élection, l’acte 2, le 04 avril 2018 où je me retrouve dans le fauteuil de Secrétaire général avec mes deux collègues SG Adjoints, et la grande aventure commence.

David LE BARS et Gérard COLLOMB entourés de Jérémie DUMONT (gauche) et Pierrick AGOSTINI (droite) au 38e Congrès du Syndicat des Commissaires de la Police nationale © David Le Bars

Et là il se passe de nouveau quelque chose que je n’avais pas prévu.
Je pensais que j’allais pouvoir organiser mon agenda dans le cadre de cette grande aventure et cela n’est pas le cas puisque le 1er mai 2018, soit à peine un mois après mon élection, une polémique énorme éclate qui fait suite aux manifestations du 1er mai avec le Blackbloc qui casse tout au pont d’Austerlitz à Paris.
A l’époque et cela peut faire sourire aujourd’hui, la polémique était inversée puisque les medias relaient une opinion publique qui se plaint que la Police nationale laisse faire les casseurs, qu’elle n’agit pas. C’est incroyable de se dire cela, c’était il y a 5 ans. Mais les jours passent et la polémique de la police en retrait et qui n’agit pas enfle. Ce sont mes premiers plateaux télé. J’ai donc débuté le mandat 25 jours après avoir été élu en faisant BFMTV à 19h00 où j’ai dû essayer toutes mes chemises, toutes mes cravates et tous mes costumes pendant deux heures pour me décider. Je n’en revenais pas du stress dans lequel j’étais. Et me voilà à 19h00 chez BFMTV avec Ruth ELKRIEF et je peux vous dire que cela ne s’oublie pas. Je me souviens me dire « C’est une heure de grande écoute sur BFMTV et en plus avec Ruth ELKRIEF, je n’ai pas le droit de me planter ». Lors de l’interview je me suis figé le corps et je me suis concentré sur le discours technique et cela s’est plutôt bien passé. C’est l’acte 3 : l’arrivée dans les médias.

Je n’ai pas plus le temps de respirer puisque je résumerais mon mandat comme un mandat de « crise au pluriel » avec des crises externes et des crises internes.

Des conflits : sans doute le métier de syndicaliste est-il un métier de conflit puisque défendre les autres, même si on y met l’élégance parce que l’on est commissaire de police c’est s’opposer, c’est dire « non ». Donc finalement c’est toujours du conflit.

Le conflit suivant vient très vite puisque c’est l’affaire BENALLA. On peut se demander « quel est le rapport avec le SCPN ? ». Il y a plusieurs commissaires de police concernés dans cette affaire donc je me retrouve au cœur du sujet, avec notamment un jeune collègue en commission devant le Sénat. On se retrouve face à une meute de journalistes et toute la commission. C’est une affaire sensible, très politique, très excessive. C’est vraiment quelque chose de particulier.

Après l’affaire BENALLA c’est la crise des Gilets jaunes qui est sans doute une des crises les plus intenses de ces 30 dernières années. La période est terrible, elle est brutale, elle est inédite. La France descend dans la rue. Un grand nombre de profils de manifestants n’est pas connu des services de police et de justice et n’a pas la connaissance des règles et usages dans les manifestations. Cela se passe très vite mal. L’effet media et réseaux sociaux fait que cela dure plusieurs mois et tout cela est très pénible.

L’ancien Directeur général de la Police nationale disait que « le maintien de l’ordre ne fait jamais de belles images », et arrivent les polémiques. Je m’en souviendrai toujours parce que j’ai vécu en temps réel la bascule sur les plateaux télé et très vite j’ai senti que le thermomètre n’était plus bon au sujet des armes intermédiaires.
Le sujet dure quelques semaines puis on bascule dans la réthorique des « violences policières » dans les médias. Une réthorique extrêmement dure parce qu’elle associe un mot à un autre alors qu’ils n’ont aucun lien entre eux puisque la violence légitime de la police doit être acceptée. Ce sont les excès et les violences illégitimes qui doivent être pointés. Je comprends alors que des gens, l’extrême gauche et ses soutiens, veulent affaiblir la police. Je découvre au grand jour sur tous les plateaux des gens qui déroulent leur haine de la police, et plus largement. Pour autant, sur chaque plateau, dans chaque débat, dans tous les médias, je me suis efforcé de rester technique, calme, mesuré, afin de représenter le corps et plus largement la Police nationale avec recul et sang-froid.

Je continue parce que si cela c’était arrêté là, cela aurait été trop beau.
Des crises il y en a d’autres : la crise du Covid-19 où d’un coup le monde se ferme, il ne se passe plus rien. Je me retrouve à contacter tous les commissaires de France autant que je peux pour prendre des nouvelles. On est enfermé, il n’y a plus de vie. Au sein des forces de sécurité, on a des gens malades, confinés avec des gens gravement malades et que l’on a perdu. C’est une réalité. Comme dans la population. Je pense à nos collègues disparus ou qui ont souffert lourdement pendant cette période.

Il y aura d’autres conflits et cela serait trop long de tous les citer. Je pense aux nombreux attentats, et à celui qui m’aura le plus marqué. J’étais en voiture, veille de week-end et j’entends à la radio qu’un professeur a été décapité, c’était Samuel PATY.
France Info m’appelle tout de suite, j’arrête la voiture et je veux donner une interview. On vient de neutraliser le terroriste.

En 2023 je mesure le nombre de crises au sein de la société auxquelles la Police Nationale a dû faire face.

Je viens maintenant sur les crises internes de la Police nationale qui sont mon cœur du métier de syndicaliste : porter la défense des intérêts individuels et collectifs des commissaires, et cela est d’une densité exceptionnelle avec des réussites et des échecs aussi parce qu’il faut être honnête. Des immenses réussites parmi elles je pense au protocole historique de la police qui fait suite au Beauvau de la Sécurité. Ce protocole profite aux commissaires de police mais plus largement, et avec satisfaction, aux autres corps, et c’est très important.

Il y a un sujet plus délicat qui est celui de la Réforme de la police que je ne peux pas ignorer puisqu’il a semé du désarroi et des doutes. La réalité est qu’une réforme d’ampleur, et là on peut utiliser le terme « systémique », doit être réalisée avec la plus grande proximité humaine et RH. L’institution Police nationale a encore des efforts à faire, et le syndicat n’a pas à se vanter car il doit mieux faire aussi lui-même pour avoir cette proximité permanente avec tous ses adhérents.

Je vous en dis beaucoup sur le mandat, ce fût une longue et intense ligne droite, et je me rends bien compte que j’en oublie. Il s’est passé tellement de choses pendant 5 ans.

Un remerciement pour la réponse spontanée. Comment vous sentez-vous ?

Je me sens très fier d’avoir tenté cette expérience, j’y reviendrai. Très fier aussi de passer la main à une équipe, je vais en dire un mot car je sais à quel point elle va s’engager, aux côtés de Frédéric LAUZE.

Frédéric LAUZE a à la fois le courage et l’audace de le faire et je crois que tout le monde a conscience que venir à la tête d’un syndicat policier dans le contexte actuel exige une grande motivation. Donc je salue l’équipe montante avec tous les métiers, les femmes, les jeunes, c’est une équipe paritaire, je tiens à le dire. Je souhaite une pleine réussite à toute cette nouvelle équipe et surtout de réussir partout où moi je n’ai pas réussi. On est dans un métier où on ne peut pas tout réussir, il faut accepter les échecs et ne surtout pas mentir. Soit parce que l’on n’a pas réussi à les faire, soit parce que l’on n’a pas eu le temps de les faire, soit parce que l’on n’a pas obtenu les réponses pour les faire. Mais cela donne aussi de la matière pour les suivants.

Je ne peux pas dire que je me sens libéré parce que c’est sans doute aujourd’hui le poste le plus fantastique que j’ai eu. Il m’a fait grandir, j’étais beaucoup plus petit avant d’intégrer le syndicat. Je ne peux pas citer toutes les personnes avec lesquelles j’ai travaillé, mais ce fût un travail d’équipe qui a impliqué beaucoup de monde. Je les remercie chaleureusement. Une mention particulière pour Christophe GRADEL avec lequel je termine ce mandat et qui a été un binôme plus que précieux.

J’ai fait des rencontres formidables dans la sphère de la sécurité intérieure et très au-delà, y compris dans les sphères de gens qui ne nous aiment pas et qui au final, malgré les apparences et les idées reçues décloisonnent. Je me souviens de rencontres complètement improbables avec des gens très anti-flics et très crispés qui après des plateaux télé, des interviews, des rencontres viennent avec le sourire et me disent des choses comme « finalement vous êtes sympa ». Rien que cela me fait dire qu’il y a beaucoup d’idées préconçues et qu’il y a des choses à faire.

J’ai fait des rencontres au plus haut sommet de l’État puisque je me suis retrouvé en table de discussion avec le président Emmanuel MACRON et un nombre incalculable de fois avec les ministres de l’Intérieur qui se sont succédés : Gérard COLOMB, Christophe CASTANER avec Laurent NUÑEZ en Secrétaire d’État et Gérald DARMANIN. A un moment je me suis dit « ce n’est pas normal, les ministres passent trop vite » et je vois que le ministre Gérald DARMANIN reste ce qui permet d’avoir le temps d’approfondir les sujets, d’obtenir des réponses et même des résultats sur le plan statutaire, catégoriel ce qui est très important.

Des belles rencontres aussi avec des anonymes qui font des démarches. Je me souviens d’un jeune étudiant qui voulait me rencontrer car il hésitait à rentrer dans la police, et voulait en parler. Il est policier aujourd’hui. Ou d’un papa qui a eu besoin d’aide dans une affaire très sensible et qui ne savait pas quoi faire, et que j’ai convaincu, et aidé, à parler à une brigade des mineurs. J’ai beaucoup d’exemples de gens qui ont besoin de connaître mieux la police, et c’est une charge qui doit tous nous incomber.

Un point que je n’ai pas souligné : j’ai acquis une connaissance de la Police nationale que je n’avais pas. On s’évade à un certain niveau et on a une vision complète des métiers de la police, y compris ceux que je ne connaissais pas.
Cela m’a permis d’aller en Outre-mer, de rencontrer des collègues dans des petites îles où je dis aussi que « quand on est à Mayotte ou en Guyane par exemple, on n’est pas au soleil ou à la plage. On est dans des conditions de travail très dures ». Ils sont très contents que le syndicat vienne les voir.
Donc une hauteur de vue qui fait que je sors grandi et j’en suis parfaitement conscient.

Des vacances sont-elles prévues après 5 années de « marathon » et avant le prochain poste ?

Dans un monde idéal, j’aimerais bien. Il y a une sorte de décompression qui à mon avis est nécessaire si elle est possible pour amortir un peu la sortie, parce qu’après être rentré dans un métier anormal, le retour est une démarche particulière. C’est une particularité du SCPN d’avoir une alternance régulière de ses Secrétaires généraux, qui viennent du terrain, et qui repartent ensuite en poste. Cela nécessite une certaine adaptation et de savoir se remettre en question, de se « challenger » comme on dit. D’ailleurs j’aimerais dire quelque chose que l’on ne voit pas de l’extérieur : le syndicalisme policier peut paraître parfois brutal, certains disent que c’est de la cogestion. Moi je dis une chose : en cas de crise, le syndicalisme policier se range collectivement derrière l’intérêt général et dans l’intérêt des policiers et de la maison, et on oublie les corps, les carrières et les conflits. Cela a le mérite de permettre de faire tenir une institution qui est extrêmement sollicitée. J’ai été admiratif de cette cohésion que nous avons eue dans des affaires très douloureuses, lorsqu’un collègue est tué ou lorsqu’il y a une crise. Au lieu de souffler sur les braises, on est là au contraire pour serrer les rangs. Je salue mes collègues Secrétaires généraux et leurs adjoints. C’est important.

Une petite décompression dans un monde idéal serait d’envisager mon prochain poste après les vacances d’hiver, mais si c’est un peu moins je ferai le nécessaire pour enchaîner.

Le congrès du Syndicat des Commissaires de la Police nationale (SCPN) se tient aujourd’hui à Nanterre. Nous y sommes. La main est passée à Frédérique LAUZE et la nouvelle équipe. L’opportunité de nous annoncer votre prochain poste ?

J’ai annoncé officiellement ma sortie du SCPN l’été dernier et j’ai organisé le Congrès SCPN. Je sors heureux pour le syndicat qui a une continuité.

A l’heure ou je vous parle mon sort n’est pas encore fixé, menant moi-même une réflexion. J’ai plusieurs pistes possibles, dont je discute aussi en famille car je suis très attaché à ce dialogue et cet équilibre personnel. Je n’ai pas d’inquiétudes, tout cela va s’éclaircir dans les prochains jours. Mais aujourd’hui, c’était le jour du congrès SCPN, qui clôture une page de presque 6 ans pour moi. Je suis un peu ému mais je sais une chose : j’ai tout donné, ce fût dense mais tellement enrichissant aussi. Je salue tous mes collègues, je leur souhaite le meilleur, et je les retrouverai au gré de nos affectations respectives.

Frédéric LAUZE et David LE BARS au 41 eme Congrès du Syndicat des commissaires de la Police nationale (SCPN) © Valérie Desforges

De retour du 41ème Congrès du SCPN, je conclus en souhaitant un poste enthousiasmant à David LE BARS, et un mandat constructif à Frédéric LAUZE pour le bien collectif. 

Une pensée pour Gérard COLLOMB prononcée dans le cadre du congrès décédé le samedi 25 novembre 2023. 


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