#ACADEM – La parole au lieutenant-colonel (A) Claire BERTAUX, Attachée de Défense près l’ambassade de France en Finlande

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🇫🇷  Le 28 novembre 2023 se tenait le Colloque « Forces morales de la nation » dans le cadre de l’Académie de défense de l’École militaire à Paris. L’occasion de m’entretenir avec le lieutenant-colonel (A) Claire BERTAUX, Attachée de Défense près l’ambassade de France en Finlande qui intervenait à la Table ronde numéro 1 sur le thème : l’engagement de la société civile en faveur des forces armées. 

Le lieutenant-colonel (A) Claire BERTAUX nous partageait le modèle finlandais fort instructif de défense et de sécurité, socle de la résilience de la population finlandaise :

Les propos introductifs

– En vous présentant le modèle finlandais, je ne vais pas chercher à vous convaincre de le copier. En revanche, j’espère susciter votre intérêt, voire votre questionnement, sur ce modèle de défense unique au monde, car il repose surtout sur la volonté de sa population de défendre son mode de vie.

– La défense territoriale finlandaise est ancrée dans la culture du pays et inscrite dans la Constitution. Le modèle de défense finlandais est fondé sur le système de conscription et de réserve.

– Audelà des forces armées, c’est bien l’ensemble de la population et des institutions finlandaises qui sont impliquées dans la défense nationale. Les derniers sondages révèlent ainsi que 83% des Finlandais interrogés sont prêts à prendre les armes pour défendre leur pays s’il était attaqué, même dans une perspective possible de défaite. Ce chiffre impressionnant trouve son fondement dans l’histoire du pays, l’éducation de la population, et son mode de vie. L’existence d’une menace extérieure a coloré le paysage mental finlandais pendant des siècles. Ainsi, l’approche globale de défense nationale est, en fait, tout à fait cohérente avec l’expérience historique nationale.

– Avant de développer mon propos, je souhaite vous rappeler quelques chiffres :

– la Finlande obtient son indépendance en 1917

– elle comporte 5,5 millions d’habitants, 16 hab/km2 (en France 124)

– la superficie du pays correspond à un peu plus de la moitié de la France – environ 338000 km2, dont 1343 km de frontière terrestre avec la Russie (5eme pays en Europe/)

Analysons tout d’abord le système finlandais de défense

– Les personnels d’active de l’armée finlandaise ne représentent que 12000 professionnels. Toutefois, à ce jour, les autorités finlandaises peuvent mobiliser immédiatement 285000 réservistes entrainés. Ce chiffre peut atteindre 900000, correspondant à tous les citoyens ayant fait leur service militaire. Ces données peuvent vous paraitre exagérées mais elles sont bien réelles, même si la mobilisation générale n’a jamais été testée.

– En Finlande, chaque citoyen a un devoir constitutionnel de défense. Le service est obligatoire pour les hommes aptes de 18 à 60 ans et se fait sur la base du volontariat pour les femmes, de 18 à 30 ans.A l’issue du service militaire, les conscrits reçoivent un grade militaire de réserve et sont mobilisables jusqu’à leurs 60 ans.

– Les conscrits sont intégrés en grand nombre (environ 21000 conscrits formés et 28000 réservistes entrainés chaque année), car le but est effectivement de former un maximum d’hommes et de femmes au maniement des armes. Les réservistes bénéficient d’une large autonomie et sont directement rattachés à une unité, dans laquelle ils peuvent évoluer. Un réserviste peut ainsi devenir commandant d’une section d’infanterie, et être déployé en opération, à la Force intérimaire des Nations-Unies au Liban (FINUL) par exemple, où 200 Finlandais, en majorité des réservistes, y sont actuellement déployés sous commandement français.

– La législation a un rôle important car les réservistes sont libérés de leurs obligations professionnelles par décret : les employeurs doivent les libérer jusqu’à 20 jours par an, si le réserviste est rappelé. Un dialogue s’instaure entre le réserviste, son employeur et l’institution. A noter que l’employeur a lui aussi sans doute fait son service, ce qui facilite le dialogue.

– Le succès de la réserve finlandaise tient également au rôle clé des associations civiles de réservistes. Ces associations, qui sont nées pendant la guerre d’hiver de 39-40, participent à l’entrainement des réservistes. Le lien entre les forces de défense finlandaises (FDF) et ces associations façonne ainsi la résilience de la population.

– Mais au-delà des forces armées, le concept de défense en Finlande a une approche globale. Il implique non seulement les forces armées, les garde-frontières, les garde-côtes, la Police, les organisations de réservistes, les industries de défense, mais aussi les autres ministères et organisations institutionnelles, et toute la population.

– Le concept global de défense nationale englobe d’autres fonctions vitales : le leadership, la sécurité intérieure, l’économie, les infrastructures, la sécurité des approvisionnements, les services à la population, l’activité de l’UE et des instances internationales et la résilience psychologique. Depuis 2013, le comité de sécurité, sous tutelle du MINDEF, est chargé d’assurer la coordination de tous les acteurs, qui coopèrent pour le bien de la Nation.

Cette approche globale est possible grâce à une identité nationale claire, un récit national unique et un esprit de défense partagé par tous. C’est cet esprit de défense que je souhaite développer un peu.

S’appuyant sur le « sisu », mot intraduisible en français, la population est prête, comme pendant la guerre d’hiver de 39-40, à résister contre une agression extérieure pour défendre son existence. En effet, la guerre d’hiver a façonné dans l’imaginaire collectif le mythe du Finlandais vaillant, résistant et décidé à se battre pour défendre son territoire. C’est à partir de cette période que les Finlandais ont vraiment éduqué leurs enfants dans l’esprit « sisu » et mis en place des associations civiles de réservistes, de volontaires, prêts à se battre. L’esprit sisu est un des élément clé de la défense nationale. Il se transmet de génération en génération et garantit la résilience de chacun, et de la société.

– Le sisu est présent dans les mœurs finlandaises dès leur naissance. Il n’est pas rare de voir des bébés – bien couverts – laissés dans leur poussette dehors, en plein hiver, les habituant dès leur plus jeune âge à résister au froid. A l’école, les Finlandais apprennent évidemment l’histoire de leur pays. La différence est que suite à la guerre d’Hiver, l’URSS puis la Russie sont demeurées perçues comme une menacepour la sécurité de la nation. Le programme scolaire des Finlandais stimule leurs compétences pratiques tout en développant leur esprit analytique et philosophique. En parallèle des matières classiques que l’on retrouve en France, les Finlandais ont des cours d’études environnementales, d’éducation à la santé, de religion, d’éthique, d’études sociales, d’arts visuels et d’artisanat, mais également de psychologie. L’accès au lycée général étant très sélectif en Finlande, le lycée professionnel est bien plus démocratisé dans le pays.

Le système éducatif est également en charge d’apprendre aux jeunes la bonne pratique des médias et des réseaux sociaux. L’école s’est associée à l’agence finlandaise de vérification des faits Faktabaari (FactBar) pour développer une « boîte à outils » d’éducation numérique pour les élèves du primaire au secondaire. Cela permet d’assurer une résistance à la désinformation dès le plus jeune âge.

– L’invasion de l’Ukraine en février 2022 a réactivé les réflexes défensifs des Finlandais et ravivé leur perception de la menace russe. En Finlande, chaque citoyen doit connaitre les réflexes en cas d’alerte, qui vont de la connaissance de l’abri antiatomique auquel il est rattaché, jusqu’au concept de 72h. Ce concept détaille la préparation à domicile, en cas de coupure d’électricité, de chauffage, ou si tous les services sont interrompus. Savez-vous que ce concept existe aussi en France ?

– Après 80 ans de neutralité, qui ont accentué l’autonomie des Finlandais, et qui leur ont permis de se préparer militairement mais également de renforcer leur résilience, la Finlande entre désormais dans une nouvelle phase, celle de l’intégration à l’OTAN. Cela ne changera pas le mode de vie des Finlandais, ni leur volonté de le défendre.

– Depuis l’invasion en Ukraine, la population finlandaise se montre encore plus désireuse de participer à la défense du pays. De plus en plus de volontaires féminins, de volontaires issus de familles binationales (notamment français, américains, suisse) ou de sportifs de haut niveau demandent à faire leur service militaire. Je vous donnerai par exemple le cas de Lauri Markkanen, ce jeune finlandais évoluant en NBA, qui a insisté pour revenir cet été faire un service militaire adapté à Helsinki.

Cela démontre la volonté des citoyens d’honorer leur devoir, les Finlandais ayant un sens aigu de ce que signifie être finlandais. Ils sont prêts à défendre leur territoire, leur identité et plus encore, leur mode de vie.

Lieutenant-colonel (A) Claire BERTAUX, Attachée de Défense près l’ambassade de France en Finlande © DR

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