Interview de Fabienne Boulard, Majore de police formatrice

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Le 7 avril 2022 – C’est autour d’un café que l’entretien avec Fabienne Boulard s’est déroulé. Nous avions prévu une bonne heure… nous avons échangé avec sérieux et enthousiasme bien plus longtemps sur des sujets qui font l’actualité : les Cadets de la République, les formations de la police, les violences intrafamiliales, la protection des séniors, la radicalisation … De tempérament franc et direct, engagé, Fabienne Boulard nous livre des expériences qui méritent notre respect.

Les Cadets de la République, un sujet d’actualité que vous connaissez bien

Le 2 janvier 2008, je suis arrivée au centre de formation en tant que Cheffe du bureau de la formation générale de la police du 78 (Yvelines).

Ma mission était celle de former les Cadets de la République.

On recrutait des jeunes du département qui souvent étaient en échec scolaire.
Sans obtention du bac, il n’était pas possible pour eux de passer le concours de gardien de la paix.

On formait ces jeunes pendant un an et on les amenait jusqu’au concours.
Un super défi !

Nous proposions aux Cadets de la République des cours variés :

– Il y avait des cours de la Police nationale : de théorie et de pratique tels que la législation en vigueur des thématiques sur lesquelles ils seront amenés à intervenir et l’armement, le tir ou les gestes professionnels.

– et des cours de l’Education nationale pour une remise à niveau : français, maths, anglais, histoire-géo …
afin de les préparer au mieux au concours de Gardien de la Paix.

On était deux et on a fait quatre promos ! Soit une cinquantaine de jeunes.

Ma grande fierté est que tous ceux qui ont voulu être policier sont devenus policiers. Cela fait plaisir de les croiser aujourd’hui dans le département (sourire).

Aujourd’hui, je ne gère plus les Cadets de la République mais pour autant j’encourage vivement les jeunes à prendre connaissance de ce dispositif surtout lorsqu’ils n’ont pas le bac et qu’ils souhaitent intégrer la police.

Quelles sont vos missions aujourd’hui ?

Suite à mon expérience avec les Cadets de la République, j’ai poursuivi ma route et gère des formations dans le cadre de la formation continue des policiers.

Parallèlement, je commence à remettre en place des campagnes de prévention pour le grand public, notamment les séniors, ces actions de sensibilisation ont été mises à mal par la pandémie mais j’ai grand espoir que les municipalités en organisent à nouveau.

Pour les policiers, je donne des formations. En voici des exemples passés et d’actualité pour vous éclairer :

– La formation de déontologie qui avait fait suite à l’évolution du code de déontologie de la police de 2014.

– La formation sur le thème des violences conjugales que je donne depuis 2014-2015 un thème d’actualité que vous suivez. Je forme les policiers à comprendre le phénomène des violences conjugales et surtout connaître les conséquences sur les victimes comme le stress post-traumatique, la mémoire traumatique … Je reste persuadée qu’on accueille mieux une victime si on sait ce qu’il se passe pour elle et ce qui en découle.

Je sers de lien entre notre institution et nos partenaires car on n’arrivera pas à lutter contre ce fléau seuls, il nous faut travailler ensemble (associations, institutions, avocats …). Je passe aussi du temps à expliquer aux « extérieurs » en quoi consiste le travail de la police, ses missions, ses pouvoirs judiciaires et ses limites.

– Les formations à la radicalisation après les attentats de 2015 sachant que les Yvelines ont été fortement meurtries avec l’affaire de Magnanville en 2016.
Une période difficile pour tous les policiers. On avait perdu nos copains.

J’ai accepté de dispenser cette mallette pédagogique, même si c’était un sujet nouveau pour moi car c’était ma manière de lutter contre la radicalisation et le terrorisme que de former des policiers, de tenter de leur faire comprendre ce qu’est le terrorisme, la radicalisation qui peut entraîner le passage à l’acte afin qu’ils protègent au mieux la population et qu’ils se protègent mieux aussi.

– j’ai passé le diplôme de formateur en secourisme en 2017 et depuis je forme les collègues. Les policiers étant souvent les primo-intervenants sur des scènes où il y a des blessés, ils doivent être capables de dispenser les premiers secours.

Je commence à mettre en place des campagnes de prévention pour le grand public, notamment les séniors :

Les séniors sont malheureusement souvent victimes d’escrocs sans scrupules qui n’hésitent pas à profiter de leur vulnérabilité.

Cependant, il faut que ce public soit conscient qu’il peut en adoptant des comportements de protection être acteur de sa propre sécurité.

Ce n’est pas une fatalité et ils peuvent ne pas être victime en suivant simplement quelques conseils.

J’essaye de ne pas faire de ces moments d’échange quelque chose d’angoissant ou d’anxiogène mais leur donner confiance en leur capacité à se protéger.

Quels sont vos objectifs en 2022 ?

Continuer mes missions de transmission et de partage, continuer à former, informer et sensibiliser.

Aujourd’hui mes missions sont très axées sur la prévention des violences conjugales et la formation des personnes susceptibles d’être en contact avec des victimes et l’actualité me montre chaque jour que je vais avoir encore du travail pour plusieurs années.

Souhaitez-vous faire passer des messages ?

Je souhaite m’adresser à mes collègues de police secours hyper motivés.
Les gens ne s’imaginent pas vraiment qu’il s’agit en réalité d’un sacerdoce. Je leur rends hommage car je sais combien ces missions sont difficiles et je veux leur rappeler qu’ils font un métier extraordinairement utile, que la population a de manière générale une très bonne opinion de sa police et qu’elle compte sur eux pour vivre tranquille.

Lorsque j’ai pris à bras le corps la thématique des violences intrafamiliales, je me suis rendue compte que les policiers intervenants à domicile ne pouvaient pas laisser de coordonnées utiles aux victimes, ils ne peuvent pas avoir de flyers sur eux, j’ai donc eu l’idée de créer une carte très simpliste avec seulement un QR code, qui, lorsque la victime le scanne la dirige vers un document qui récapitule toutes les infos et adresses utiles (institutions et associations) pour elle au plus près de chez elle.

Si j’avais un message plus particulier, il serait pour les auteurs, pour leur dire qu’on ne lâchera rien et qu’ils ne pensent pas pouvoir agir en toute impunité parce qu’ils exercent des violences à leur domicile, on les traquera jusque chez eux.

Miss K : J’ai un cas pratique dans le 78 actuellement, celui d’une femme qui subit ainsi que ses enfants à la maison d’un harcèlement moral fort de son mari depuis des années. Elle est fatiguée. Pas de coups et blessures, pas d’écrit que du verbal. Pas de preuves. Le commissariat propose de venir parler au mari. « A quoi cela va-t-il servir » me dit-elle ? Quelles sont les conseils que je pourrais lui transmettre ?

Il faut lui conseiller d’aller demander de l’aide à une association ou à l’intervenante sociale en commissariat dans un premier temps pour l’aider à bien caractériser les violences qu’elle subit et savoir ce qu’elle peut faire et la réponse qu’elle peut avoir.

Aller parler au mari ne servira strictement à rien puisqu’il y a de fortes chances qu’il nie les faits et qu’il reporte la culpabilité sur la victime.

Un autre sujet que je souhaite évoquer. C’est celui des relations humaines, bureau au sein de la direction départementale de la sécurité publique des Yvelines dans lequel j’ai œuvré de 2000 à 2008. J’avais comme mission d’assurer un lien entre les policiers qui rencontraient des problèmes (blessures en service, dépressions…) et les professionnels chargés de leur apporter un soutien. J’ai fait toutes les églises et les hôpitaux de la région lorsque les policiers étaient blessés ou décédés. Une période lourde d’apprentissage mais dont la mission avait un sens tellement fort. Je fais un clin d’œil à tous ceux avec lesquels j’ai travaillé à l’époque.

Un tel engagement vous permet-il de prendre du temps pour vous ?

Je suis bénévole dans plusieurs associations que je me permets de citer pour le travail extraordinaire qu’elles font même si ce sont dans des domaines diamétralement opposés.

– Women Safe & Children qui apporte une aide et un soutien pluridisciplinaire aux femmes et enfants victimes de violences et j’invite les lecteurs à aller sur leur site pour mieux connaître leur travail incroyable et bien sûr à les soutenir.

– Et Dynam’it, une association de loisirs fondée en 2014 par une bande de copains qui voulaient mettre de l’animation dans leur village, je suis des leurs depuis la création et c’est une véritable bouffée d’oxygène.
Je crois profondément aux bienfaits du bénévolat, au fait de s’engager « gratuitement » sans rien attendre en retour.

Je lis énormément avec une prédilection pour George Sand, j’aime tout, autant l’œuvre que la personne. Je pense à une citation en particulier « Les déceptions ne tuent pas et les espérances font vivre ». C’est vraiment une passion pour cette femme incroyable de talent, de précocité pour son époque et de féminisme bien avant l’heure.

Je vais en concerts, avec une préférence pour la variété française comme Véronique Sanson, Jean-Jacques Goldman, Grand corps malade, Zazie … Je partage notamment ces moments avec la famille, mes garçons et mes amis.

Un désespoir familial, j’aurais adoré chanter juste et c’est catastrophique (rire). Je suis blacklistée en karaoké ! Mais cela ne m’empêche pas de chanter de temps à autres.

Je fais du sport, du foot féminin, de la course à pied pour me dépenser.

Un grand remerciement Fabienne pour votre sens de l’engagement à l’égard de la population et des policiers. Un engagement avec une pleine humanité.

Suite à notre entretien, j’ai reçu un mot et un message de Fabienne que je vous transmets : « Je vous envoie une photo qui me tient particulièrement à coeur et qui me permet de rendre hommage à Daniel, mon citoyen volontaire et mon ami avec qui j’ai écumé les routes des Yvelines pour sensibiliser les seniors et qui nous a brutalement quitté au mois d’octobre dernier ».

Fabienne Boulard et Daniel © DDSP 78 Communication Police nationale

Note importante

Il est strictement interdit de copier tout ou partie du contenu de l’interview sans autorisation préalable écrite de Valérie Desforges. Il est strictement interdit d’utiliser les photos sans autorisation préalable écrite de leurs propriétaires : Photo en Une © Valérie Desforges. Photo en fin d’interview : © DDSP 78 Communication Police nationale

 

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