Interview du commissaire Eric Belleut, Attaché de Sécurité Intérieure (ASI) à l’Ambassade de France au Niger

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Le 19 juin 2023 – Un honneur de m’entretenir avec Eric Belleut, Attaché de Sécurité Intérieure à l’Ambassade de France au Niger. Nous avons parlé défi sécuritaire, défi sanitaire et de ses missions d’ASI de manière exceptionnelle. A noter que les ASI sont dirigés par Mme Sophie Hatt, directrice de la DCIS. Puis nous sommes remontés dans le temps à la Préfecture de police de Paris (DOPC) pour terminer sur ses centres d’intérêt avec des albums photos personnels.

L’interview n’a pas suffit, il y a tant à apprendre sur le Niger et ses pays frontaliers. Je remercie Eric Belleut pour son sens de la pédagogie, sa bienveillance, et son sens de l’humour rafraîchissant.  

A savoir que M. Sylvain Itté est l’ambassadeur de France au Niger depuis le 28 septembre 2022.
L’ambassade de France au Niger se situe à Niamey, capitale du Niger.

Bonjour Eric,
Comment définiriez-vous le contexte sécuritaire au Niger aujourd’hui ?

Le Niger dont le nom officiel est la République du Niger (NE) est le seul pays à peu près stable de la région du fait de l’élection démocratique de son président Mohamed Bazoum le 21 février 2021. Au quotidien, le président de la République se heurte à de grands défis dont le défi sécuritaire.

Il est important de savoir que le Niger est entouré de pays très instables. La Libye, le Tchad, le Nigéria, le Bénin, le Burkina Faso et le Mali. Le seul pays à peu près stable est l’Algérie.

Le Niger a une superficie supérieure à 1 200 000 km2 avec de grands espaces désertiques et partage une frontière de 5900 km avec les pays frontaliers. Cela fait du Niger un pays complètement ouvert.

Le contexte sécuritaire est tendu. Le Niger dont la capitale est Niamey comptait 1100 morts en 2021 de faits de terrorisme et de banditisme. On constate une légère amélioration en 2022.

Face à cette réalité, le pays a une armée de 45 000 hommes avec 40 000 forces de sécurité pour une zone géographique deux fois supérieure à la France.
Aujourd’hui il y a une volonté politique de multiplier par deux les effectifs de l’armée et des Forces de Sécurité Intérieure (FSI) avec un recrutement fort qui est en cours. Cependant on est encore très loin du compte. D’autres chiffres : le Niger en 2022 c’est 18 000 policiers,18 000 gardes nationaux, 13 000 gendarmes.

Carte géographique du Niger © universalis.fr

Quelles sont les zones sensibles au Niger ?

La région des trois frontières est délimitée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, cela correspond, côté nigérien, à la région de Tillabéri. Les 2/3 des faits de terrorisme se déroulent ici.
Cette zone, en raison du contexte sécuritaire, a comptabilisé des dizaines de milliers de déplacés, des populations qui ont fui les zones de conflit pour se réfugier dans les agglomérations. Cette région des trois frontières est également une zone de conflit très importante entre l’Etat Islamique au Grand Sahara (E.I.G.S) et le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (G.S.I.M).

La région des grands lacs est une autre zone de tension avec 1/3 des faits de terrorisme.
Beaucoup d’opérations militaires se sont déroulées dans la région sachant que nous avons une base aérienne française à Niamey dotée de mirages et de drones.

Un drone au Niger © Eric BELLEUT

L’opération Barkhane qui s’est déroulée au Mali était gérée de manière très autonome. Aujourd’hui, les forces françaises n’agissent que sur demande expresse des autorités nigériennes. Sur le terrain, la collaboration entre les Forces Françaises au Sahel (F.F.S) et les Forces Armées Nigériennes (F.A.N) est excellente.

Le Niger est un pays de transit très important. De nombreux migrants qui proviennent de divers pays africains (Sénégal, Mali, Bénin, Ghana, Burkina, Nigéria…) passent par le Niger pour se rendre en Europe. Très peu de nigériens quittent leur pays pour rejoindre la France, essentiellement pour des raisons financières, le prix du voyage étant trop onéreux. La situation est particulièrement préoccupante à Assamaka (frontière avec l’Algérie). Depuis le début de l’année 2023, des milliers de migrants ont été sèchement refoulés par les algériens et se retrouvent complètement abandonnés au Niger. Des ONG et l’Etat nigérien ont installé des camps de fortune afin de les accueillir. Le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation du Niger M. Hamadou Adamou Souley a engagé des pourparlers avec l’Algérie afin que ce pays ne renvoie au Niger que des nigériens qui ne représentent que 10 % environ des refoulés.

Enfin, le Niger est touché par les trafics de stupéfiants et de médicaments : résine de cannabis, tramadol. En mars 2021, l’OCTRIS (office des Stups) a permis la saisie à Niamey de 17 tonnes de résine de Cannabis qui étaient en transit pour l’Europe. Des milliers de cachets de tramadol sont régulièrement saisis par l’OCTRIS nigérien.

Un petit mot sur la situation sanitaire au Niger.

Jusqu’à l’année dernière, le Niger était classé dernier à l’indice de développement humain (IHD). A cela il faut rajouter un taux de natalité qui a été supérieur à 7 enfants par femmes en moyenne, le défi sanitaire, est énorme. Le pays compte environ 25 millions d’habitants en 2021 et en 2021 près de 4 millions de nigériens dépendaient de l’aide humanitaire. Une démographie galopante, des établissements scolaires très insuffisants. Chaque année ce sont plus de 800 000 enfants supplémentaires qui intègrent le système scolaire dans des classes déjà surchargées (plus de 60 enfants par classe).

Vous êtes Attaché de Sécurité Intérieure à l’ambassade de France à Niamey depuis septembre 2020. Parlez-nous de vos missions.

Eric Belleut, Sophie Hatt, Hamadou Adamou Souley, Sylvain Itté, Jean Mafart, Yann Jounot © Eric BELLEUT

Sous couvert de mon ambassadeur M. Sylvain Itté, je suis un peu le garant de la politique de coopération de sécurité intérieure de la France au Niger, le conseiller des directeurs généraux et de la communauté française relative à la sécurité.

Mes priorités sont le soutien des nigériens dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, le travail de stupéfiants et l’immigration irrégulière pour lesquelles la France cherche un retour en sécurité intérieure.

Pour répondre aux missions de l’ASI, j’anime un service de 8 coopérants. 2 officiers supérieurs gendarmerie, 4 policiers, 1 pompier, 1 douanier.
Les deux officiers supérieurs de gendarmerie sont conseillers techniques auprès des hauts commandants de la gendarmerie et de la garde nationale. Les quatre policiers sont les conseillers techniques du Directeur général de la Police nationale (DGPN) auprès du Service Central de Lutte contre le Terrorisme (S.C.L.C.T), du Directeur des Renseignements Généraux (D.R.G), du Directeur de la Surveillance du Territoire (D.S.T) et le dernier est un expert en investigation numérique.

En août prochain, un officier supérieur de gendarmerie rejoindra le Service de Sécurité Intérieure (S.S.I) en qualité d’adjoint. Au total, nous serons donc 10.

Ce sont tous des experts dans leur domaine qui travaillent au quotidien dans les services de sécurité nigériens. Ils réalisent une coopération technique et opérationnelle de grande qualité.

Les missions se réalisent dans un contexte sécuritaire tendu comme je vous le disais et pour aller plus loin dans mes propos, il faut savoir que depuis le mois d’août 2020, à la suite de l’assassinat de 6 humanitaires français et de deux nigériens à Kouré, la carte du Niger est totalement en rouge si l’on excepte les villes de Niamey, Agadez, et Zinder. Concrètement, pour être autorisé à sortir de Niamey, nous devons faire une demande d’escorte armée.

Dans les faits, nous sommes un peu enfermés dans Niamey, petite capitale d’environ 1 500 000 habitants, avec une vie culturelle très faible, un seul cinéma, un musée qui ne porte que le nom. Nous ne disposons d’aucun grand supermarché, d’aucun grand magasin. Il n’y a que trois grands hôtels aux normes internationales. La vie peut être très compliquée à Niamey si on ne sait pas s’occuper. Il existe un lycée français mais la plupart des coopérants viennent en célibataires géographiques.

Mon rôle est également de rechercher des financements complémentaires sachant que la DCSD, direction de la Coopération de sécurité et de défense, nous finance principalement. Nous disposons aussi de financements européens pour des projets d’équipes conjointes d’investigation qui ne dépendent pas du SSI, mai qui emploient des policiers français, espagnols et nigériens sur les sujets essentiels de la lutte contre le terrorisme et l’immigration irrégulière.
Cette coopération opérationnelle est très appréciée et très efficace. En début d’année l’équipe conjointe d’investigation contre la migration irrégulière a interpellé un Libyen qui faisait passer environ 20 migrants par semaine, soit un total supérieur à 20 000 migrants.

Eric Belleut, ASI Niger, DCIS et DCSD au Niger © Eric BELLEUT

Parmi les projets phares que je conduis avec mon conseiller sûreté immigration et mon coopérant douanier, nous avons créé une Ecole Nationale à Vocation Régionale « Académie des Frontières » à Niamey au sein de laquelle nous formons des policiers, des gendarmes, des gardes nationaux, des douaniers et des personnels des eaux et forêts. La frontière est l’axe principal de la formation, elle est abordée sous l’aspect sécuritaire mais également économique et fiscal. Depuis deux ans nous avons formé plus de 300 stagiaires nigériens et des pays de la sous-région.

Le 2 juin 2023 nous avons ouvert les portes de l’ambassade de France afin de présenter les actions de coopération du Service de sécurité intérieure de la Direction de la Coopération Internationale de Sécurité (DCIS). Huit stands animés par des gendarmes, des policiers, des gardes nationaux, des douaniers, des pompiers, des personnels des eaux et forêts présentaient les différents métiers et matériels à une soixantaine d’étudiants de l’université Abdou Moumouni et une quarantaine de lycéens. Survol d’un drone de la gendarmerie acheté par la coopération française, exercice sur une scène d’attentat, désincarcération d’un conducteur accidenté, fouille d’un véhicule par les douaniers, Les directeurs généraux, hauts commandants, ou leurs représentants et le recteur de l’université honoraient de leur présence cet événement et témoignaient de l’excellence de la relation et de la collaboration avec les coopérants du service de sécurité intérieure. Merci à Sylvain ITTÉ ambassadeur de France d’avoir permis la réalisation de ce bel événement.

02 juin 2023 – Ouverture des portes de l’ambassade de France au Niger avec Sylvain Itté et Eric Belleut © Eric BELLEUT

Nous travaillons très régulièrement avec les partenaires techniques et financiers qui sont à Niamey et notamment Eucap Sahel Niger. Nos actions sont très complémentaires.

Dans le domaine de la sécurité civile nous conduisons des projets très structurants. Sur fonds du ministère de l’Europe ou des Affaires Etrangères ou de l’Europe nous avons construit une école qui formera des sapeurs-pompiers civils professionnels et mon coopérant protection civile participe à un très gros projet (Expertise France) de constructions de 14 casernes de pompiers à Zinder, Maradi et Niamey (budget 15 millions d’Euros). Il s’agit là d’une coopération qui ne prête aucunement à la critique car elle apporte un soutien très concret aux populations.

Pourquoi être parti au Niger ?

Avant mon poste d’ASI, j’étais inspecteur général et j’ai occupé les fonctions de directeur adjoint et chef d’Etat-major de la DOPC pendant 7 ans.

La DOPC, Direction de l’ordre public et de la circulation est une très belle direction de la Préfecture de police de Paris.

Eric Belleut à la DOPC, Préfecture de police de Paris © Eric BELLEUT

J’ai eu à gérer avec mes collaborateurs de l’époque de très nombreux événements de grande ampleur (Euro 2016, COP 21, dispositifs du 14 juillet, du 31 décembre sur les Champs Elysées, matchs au Parc des Princes, au stade de France, visites officielles de tous les chefs d’Etat, des crises (attentat de 2015, Charlie Hebdo, Hyper Cascher, Stade de France…). Des milliers de manifestation, 2006, contrat première embauche, 2013 Manif pour tous, Manif sur les retraites, loi Travail 2016, et les gilets jaunes.

Un de mes plus beaux souvenirs a été la dernière visite à Paris de Barak Obama en sa qualité de président des Etats Unis.

Le commissaire de police Eric BELLEUT et le président Barack OBAMA © Eric BELLEUT

Le Niger est à seulement 5h de vol de Paris avec un décalage horaire d’une seule heure. Les échanges avec mes deux filles se fait presque quotidienne et j’ai parfois l’impression que l’on se parle plus maintenant que près de 4 000 km nous séparent.

Mon aînée adore le Niger et m’a déjà rendu visite à 5 reprises et de mon côté, je rentre en France environ 4 fois par an.

Comment envisagez-vous la suite ?

A la retraite, je ne suis pas certain de rentrer vivre en France, je pense que je resterai en Afrique pour la tranquillité de la vie, si l’on veut bien excepter tout ce que j’ai pu dire précédemment.

J’ai aimé passer des années à Paris, à la DOPC parce que j’ai été au cœur des événements les plus importants qui ont rythmé la vie de la capitale. Et puis la DOPC m’a permis une évolution de carrière incroyable. Mais il y a eu des moments assez durs à vivre et aujourd’hui j’aspire au calme, à retrouver du temps pour lire (Gracq, Hermann Hesse, Stephan Zweig, Strindberg, Joë Bousquet…) et les loisirs.

Afin de supporter, le stress et la pression de la vie parisienne et de mes précédentes fonctions je courais énormément, 10 marathons, une Diagonale des Fous à la Réunion et trois marathons des sables dans le désert sud marocain.

J’ai également beaucoup voyagé, les souvenirs les plus marquants sont la Thaïlande, le Vietnam, l’Ile Maurice, les Seychelles, la Tanzanie, Zanzibar, le Costa Rica, le Mexique. D’ailleurs cette année j’irai avec ma fille au Sri Lanka.
Lors de ces voyages, je fais régulièrement de la plongée sous-marine. La plongée, c’est le calme, la tranquillité, et un spectacle inouï pour les yeux, c’est un moment de sérénité.

Le souvenir d’un voyage et de plongée sous-marine en Thaïlande © Eric BELLEUT

Ces voyages permettent de s’enrichir, de mieux comprendre les différentes populations. Je suis impressionné par les Nigériens qui ont une résilience incroyable face aux difficultés qu’ils rencontrent au quotidien. Alors qu’en France on fait un scandale d’une panne d’électricité, ici ils se battent tous les jours pour trouver de la nourriture, font face au terrorisme… Un bel exemple pour notre jeunesse dorée. En dehors de cette philosophie de la résilience, le nigérien est un adepte de l’échange, de la discussion. Il n’aime pas le conflit et toute mésentente doit se conclure par un accord aux termes duquel aucune des parties ne sera perdante. 

Des photographies, le souvenir de paysages nigériens (légendes* et copyright en fin d’interview). 

Des photographies, le souvenir de rencontres au Niger (légendes** et copyright en fin d’interview). 

Je me réjouis chaque jour de ce choix professionnel. J’invite mes collègues à tenter cette expérience à l’international. Cela n’est pas toujours réalisable en raison de parcours professionnels ou de contraintes familiales, mais c’est tellement enrichissant.


Depuis la publication de l’interview, la situation au Niger a évolué.

Direction : Ministère des Armées / Publié le : 05 octobre 2023

« En application de la décision du président de la République, la France débute cette semaine le désengagement de ses militaires et de ses moyens militaires présents au Niger.

Le 24 septembre dernier, en raison de la fin de la coopération militaire avec le Niger, Emmanuel Macron a ordonné le rapatriement des militaires français et des moyens militaires français déployés dans le pays depuis dix ans. Le désengagement effectif débute cette semaine. Cette manœuvre doit permettre le retour de l’ensemble des militaires avant la fin de l’année.

La coordination avec les armées nigériennes étant essentielle à la réussite de cette manœuvre, toutes les dispositions ont été prises pour que les mouvements se déroulent en bon ordre et en sécurité ».

🇫🇷 Très heureuse de rencontrer Eric Belleut, ASI Niger, de retour de Niamey ! Nous sommes à la Terrasse du 7e à Paris autour d’un café à échanger.

Je témoigne de la pleine forme d’Éric et lui souhaite de profiter pleinement de sa famille et de ses proches.

Je cite ” Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont soutenu tout au long de cette épreuve, et plus particulièrement l’équipe de la Direction de la coopération internationale de sécurité “, Eric Belleut.

Une pensée pour M. Sylvain Itté rentré lui aussi en France.

Eric BELLEUT, ASI NIGER et Miss Konfidentielle, octobre 2023 © Valérie Desforges

Note importante : il est strictement interdit de copier tout ou partie du contenu (rédactionnel et photos). Toutes les photos appartiennent à Eric Belleut (sauf la dernière avec Miss K).

Les légendes* rédigées par Miss Konfidentielle des paysages :
Un paysage, 3 silos à grains quelque part au Niger 
Les dunes nigériennes, le sable et le soleil chaud 
Un paysage au ciel lumineux au Niger 
Un paysage au ciel oranger quelque part au Niger 
Une photo de paysage prise dans le désert au Niger 

Les légendes** rédigées par Miss Konfidentielle des portraits :
Des enfants souriants au Niger
Un vieil homme aux champs au Niger
Un vieil homme dans ses pensées au Niger
Une maman au joli visage au Niger
Une petite fille attentive au Niger

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Le colonel Laurent Lesaffre
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